Min Jeong était de Sang-Pur. Son père, Kim Ji Hwan était un éminent personnage, bras droit du Président de l’Alliance Magique de Corée et sa mère était l’une des chercheuses les plus brillantes de son temps. Pendant sa tendre enfance, Min Jeong était restée seule dans sa grande maison Hanok. Certes, Gumiho, ce renard à neuf queues qui effrayait tant les Moldus, ne l’avait jamais quittée, restant à ses côtés plus fidèlement encore que son ombre. Mais lorsque le temps était venu pour lui de partir, Min Jeong s’était retrouvée une fois de plus dans un silence morbide, assise dans le noir avec pour seule compagnie le grincement de la maison.
Lorsqu’elle eut atteint sa majorité, la jeune sorcière quitta sa famille. Sa mère eut du mal à accepter que son unique enfant échappe à son contrôle et à son amour surprotecteur. Son père, quant à lui, fut fier de voir à quel point sa fille avait grandi et était devenue une sorcière forte et ambitieuse. Cependant, l’ambition n’avait été en rien le motif de départ de la jeune femme. La curiosité avait été un bien meilleur moteur. Alors, Min Jeong avait visité une dernière fois chaque pièce de ce qui avait été sa prison, chaque recoin de la forêt qui l’avait avalée tant de fois puis recrachée, sûrement insatisfaite, et du temple auquel elle avait tant de fois prié. Et, lorsque tout cela avait été fait, elle s’était emparée d’un unique bagage avant de quitter ses parents sans une larme.
Depuis deux ans qu’elle était en Angleterre, Min Jeong avait fait de nombreuses rencontres. Elle s’était fait des amis au Ministère, où elle avait fini par trouver un travail convenable grâce à l’influence de son père. Tout s’était déroulé parfaitement, elle avait découvert un autre monde, avait tissé des liens solides, avait trouvé l’amour. Mais depuis la mort de Scrimgeour le 1 août 1997, tout son univers, tout ce en quoi elle croyait s’était effondré. Avec l’avènement de Voldemort, tout avait changé. La Gazette, le Ministère, tout était tombé sous son commandement. Des nouvelles lois avaient été instaurées. Le monde sorcier succombait peu à peu à une terreur sans précédant.
Ce matin-là, Min Jeong eut en se réveillant, l’impression que tous les évènements des trois dernières semaines n’avaient été qu’un cauchemar. S’étirant, la jeune asiatique quitta son lit protecteur et vint ouvrir la ridicule fenêtre qui donnait sur un square verdoyant. Quelques rayons de soleil vinrent lui caresser la joue et elle ferma les yeux, profitant de la fraicheur de la matinée qui contrastait avec la chaleur qui envahissait son visage. Ce fut le journal qui la ramena à sa triste réalité. Une liste, longue d’une cinquantaine de noms et prénoms s’étalait à nouveaux sur la première page de la Gazette. Tant de personnes arrêtées, tuées, condamnées pour être nées moldues. Avec frayeur, Min Jeong posa sa tasse de café dans l’évier et parcourut la liste à la recherche de noms qu’elle connaissait. Rien. Soulagée, elle jeta le journal sur l’unique table qui trônait au centre de son studio et sur laquelle une dizaine d’autres journaux gisaient sans avoir été ouverts. La sorcière avait depuis longtemps perdu le courage et la force de lire les horreurs qu’on racontait dans la Gazette. Elle avait fini d’attendre avec espoir qu’on parle du célèbre Harry Potter, qu’on parle d’une rébellion. Car elle le savait, personne ne pourrait les sauver.
Personne.
Et la seule raison qui la forçait à rester à Londres, dans l’œil du cyclone, était William Hurd.
Min Jeong arriva sept minutes en avance devant l’entrée du Ministère mais déjà, plus de trente personnes s’amassaient devant le passage si inconvenant que les employés étaient obligés de prendre. Contrairement à l’époque dont plus personne ne pouvait parler, personne ne souriait. Aucun bavardage, même les salutations ne traversaient plus les lèvres des sorciers et sorcières qui se croisaient. Un simple signe de tête en gage de politesse était parfois trop demander. Les hommes étaient tous vêtus de costumes cérémonieux et les femmes d’un tailleur presque identique à celui que la jeune coréenne portait. Parfois, il lui prenait de s’habiller aux couleurs de son pays, revêtant des robes respirant la joie et aux coloris vivants. Mais ce jour-ci, Min Jeong se fondait dans la masse sombre et froide des employés du Ministère de la Magie.
- Tout de même, nous faire passer par des "toilettes", se plaignit alors une voix derrière elle. Je suis vraiment… révoltée. Heureusement que ça ne laisse aucune trace sur nos chaussures. Vous vous rendez-compte ? Cette paire m’a coûtée pas moins de trente-et-un Gallions et cinq Noises !
Sa voisine acquiesça d’un léger grincement de la voix. Baissant la tête pour éviter d’avoir l’air de comploter avec les deux femmes qui se trouvaient derrière elle, Min Jeong maudit ces deux mégères qui n’allaient au final que s’attirer des ennuis à être aussi bavardes. Fermant les yeux, la jeune femme fit deux pas en avant et tenta de faire abstraction de ce qui l’entourait. Elle revoyait les cheveux clairs de William dans lesquels le soleil perdait sa lumière. Imaginant son sourire espiègle et ses fossettes qui se dessinaient, provocantes, sur son visage parfait, elle sourit. William avaient les yeux aussi clairs qu’elle les avait sombres. Il avait un nez abîmé par trop de match de Quidditch disputé à Poudlard. Il y avait dans son visage quelque chose de sauvage et blessé à la fois qu’adorait Min Jeong. Il était grand. Très grand et à peine musclé. William Hurd était de Sang-mêlé et était allé à Poufsouffle, la maison où l’amitié primait sur le reste, d’après ce qu’il lui avait expliqué. Il était très populaire et était toujours entouré. Rien d’étonnant vu son caractère facile et charmeur. Le plus intriguant était qu’il l’ait remarquée, elle. Une simple bousculade, un regard, il ne leur avait fallu que ça.
Poussée en avant, Min Jeong rejoignit une cabine. Réprimant une grimace de dégout, elle grimpa dans la cuvette des toilettes qui lui faisait face et tira la chasse. Aspirée, elle eut cette désagréable impression d’être étirée comme de la pâte à Sonmyon. Lorsqu’elle atterrit dans l’une des cheminées du grand hall du Ministère, la sorcière se redressa et tira sur sa jupe qui remontait un peu trop court sur ses cuisses. Le dos courbé comme elle le faisait toujours, le regard rivé sur ses pieds, elle se mit en chemin se faisant encore plus petite qu’elle ne l’était déjà. N’attire pas le regard, se répétait-elle. Pourtant, elle n’avait rien à craindre vu le statut de son sang. Mais elle ne savait pourquoi, elle avait ce besoin viscéral d’être invisible, de se fondre dans la masse jusqu’à y disparaître. Dès qu’elle atteindrait la Salle qui lui était assignée, ce mystérieux endroit où elle pouvait se cacher du monde extérieur, Min Jeong serait enfin rassurée.
Sans faire attention aux gens qu’elle doublait ou bousculait parfois, elle s’engouffra dans le premier ascenseur qui se présentait à elle et appuya sur le bouton qui menait au niveau neuf. Elle ne se rendit compte qu’après cinq essais qu’un autre bouton brillait déjà, signe qu’on avait appelé la cabine. Dans une secousse qu’elle n’avait jamais appris à contrer, l’ascenseur descendit à une vitesse presque effrayante. Arrivée au cinquième étage, les grilles s’ouvrirent sur une femme que Min Jeong connaissait très bien. Celle-ci pénétra dans le petit espace et lui offrit un de ses plus charmants sourires.
- Bonjour, Min Joung, la salua-t-elle tandis que les portes se refermaient et que l’ascenseur allait rejoindre le neuvième niveau.
- Bonjour, Maria. Et mon nom se prononce Min Jeong. C’est Kim Min Jeong.
- Ah oui, pardonne-moi, s’excusa la femme par pur réflexe. Alors… Le problème avec la Nébuleuse d’Orion a été réglé ? J’ai entendu dire que vous aviez des difficultés à la garder stable.
Souriant plus pour elle-même que pour les paroles de sa collègue, Min Jeong se remémora l’interminable bataille qui s’était déroulée la veille dans la Salle de l’Espace, sa salle. La Nébuleuse s’était emballée pour une raison encore trop mystérieuse et semblait avoir eu l’envie insatiable d’engloutir le Système Solaire. Cette vieille harpie de Marshall, sa chef, avait fini par voir ses cheveux gris se dresser sur sa tête lorsque la planète HD 209458 b, connue sous le nom d’Osiris, lui avait explosé au visage.
- Oui, tout est réglé, répondit Min Jeong tentant de reprendre son sérieux. Et…
L’ascenseur s’arrêta dans une brusque secousse. Coupée dans son élan, la jeune fille se tut et descendit silencieusement. Suivie de Maria, elle pénétra dans le Hall qui menait aux différentes salles qu’on pouvait trouver au Département des Mystères. En silence, les deux femmes se rendirent jusqu’à une pièce ronde où se trouvait un homme à la mine renfrognée assis derrière un bureau. Augustus Rookwood les dévisagea de son regard froid et impénétrable. Loin d’être tentée de défier ses yeux froids qui parcouraient son corps sans aucune gêne, Min Jeong se courba encore plus. Cet homme était répugnant au plus haut point, surtout depuis que tout le monde savait de quel côté il s’était rangé. On entendait dire qu’il avait trahi l’Ordre qui combattait Vous-Savez-Qui.
- Quel personnage répugnant, se plaignit Maria quand elles l’eurent dépassé. Et tu as vu ses cheveux gras et son air patibulaire ? Il me donne froid dans le dos.
L’asiatique se contenta d’hocher la tête, heureuse que sa collègue partage son avis. Mais cette peur incontrôlable d’être remarquée l’empêcha de prononcer le moindre mot.
- Maria ! hurla alors une voix dont semblaient s’écouler des dizaines de cailloux. Maria Perez !
Sursautant, les deux femmes se retournèrent pour voir un vieil homme boitiller jusqu’à elles. Il passa sans un regard pour Rookwood qui était prêt, semble-t-il, à lui cracher au visage. Permettre qu’un Cracmol travaille au Ministère n’était pas bien vu pour la plupart des pro-mangemorts. Pourtant, Edgard Banner faisait exception. Même si personne ne voulait l’avouer, on avait besoin de lui. Personne ne connaissait mieux les prophéties, personne ne pouvait mieux s’en occuper que lui. Maria était devenue son apprentie depuis un peu plus d’un an et elle aimait ce qu’elle faisait. Un coup du destin, une simple rencontre, un café et le vieil homme avait trouvé comment perpétuer son art. Claudiquant, une boite en carton à moitié défoncée dans la main, Edgard Banner arriva à leur hauteur.
- Maria, es-tu sûre que tu t’es adressée au fournisseur habituel ? s’énerva aussitôt l’homme. Regarde-moi dans quel état on nous a livré les supports ! Non mais vraiment, c’est un scandale ! Une infamie !
Sans s’offusquer le moins du monde, Maria récupéra le carton et entraîna son patron le plus loin possible de la Langue-de-Plomb qui continuait à leur jeter des regards sombres.
- J’en suis certaine, fit-elle calmement. Vous savez, avec ce nouveau gouvernement, tous les envois, les lettres et les colis sont fouillés et vérifiés. Il manque juste à ces braves gens de la… délicatesse.
Min Jeong pu voir ses yeux se plisser, signe qu’elle riait silencieusement. Bien évidemment, la quarantenaire n’en croyait pas un mot, mais ça l’amusait vraiment de faire tourner ce pauvre Banner en bourrique. En effet, l’homme la dévisagea avec un air de dégout sur le visage. Lorsqu’il comprit qu’elle faisait dans l’ironie, il baissa la tête et accéléra le pas.
- Bon, vous comptez coucher ici ? râla-t-il voyant qu’il n’était plus suivi. Non mais vraiment… les jeunes de nos jours… Je vous jure ! Ah ! Bonjour Min Jeong.
La jeune femme lui rendit son salut, à peine surprise qu’il ne l’ait pas remarquée plus tôt. Edgard Banner restait fidèle à lui-même. Et pour l’instant, il n’avait jamais rien fait qui puisse entacher sa réputation de vieillard grincheux indigné de tout.
- Je tourne là, les informa Min Jeong de sa petite voix.
C’était inutile car ils le savaient pertinemment, mais elle avait appris les bonnes manières et s’excusait toujours d’un petit signe de tête lorsqu’elle quittait quelqu’un. Des mœurs Coréennes qui ne partiraient jamais, même frottées à la javel. Leur tournant finalement le dos, Min Jeong s’éloigna de ses deux collègues et pénétra dans la Salle de l’Espace. Elle salua Max, un homme à la barbe foisonnante qui fronçait constamment les sourcils, sûrement préoccupé par ce qu’il étudiait. Refermant la porte derrière elle afin de plonger la salle dans une semi-obscurité, la jeune femme s’accorda un court instant pour respirer. Elle était à l’abri, plus rien – ou presque – ne pouvait la toucher. La femme effacée pouvait enfin redevenir elle-même. Redressant le dos et laissant ses épaules s’affaisser légèrement, elle sourit à l’homme barbu. D’un pas serein, elle rejoignit le bureau qui lui était destiné dans une petite pièce et y déposa ses affaires. Elle prit la tasse de café qu’avait laissée à son égard la petite stagiaire dont le nom lui échappait toujours. Il lui en fallait toujours plus d’un pendant la matinée pour se sentir prête à affronter sa triste vie. Le café était sa drogue et ça lui avait jusque-là plutôt bien réussi. Se brûlant la langue, elle avala goulument une gorgée du liquide noir et se saisit d’un papier qui traînait sur son bureau. Elle avait noté la veille le début des prévisions dont elle se chargeait. Min Jeong s’occupait des aléas des planètes de première division, celles qui régissaient la cueillette et la confection de certaines potions. En effet, c’était grâce au travail qu’elle effectuait que certains sorciers pouvaient à leur tour exercer leur métier. Son regard parcourait les notes griffonnées à l’encre sans grand intérêt. Elle aimait ce qu’elle faisait. Peut-être étaient-ce les conditions dans lesquelles elle exerçait qu’elle supportait moins, mais elle n’avait plus vraiment le choix. Elle avait décidé de rester, décidé d’être courageuse, et il était à présent trop tard pour faire machine arrière.
Soufflant sur la tasse pour affoler la fumée qui s’en échappait, Min Jeong se replongea dans ses souvenirs. Elle aurait préféré, parfois, ne pas les avoir eu, ne pas les avoir connus. Ce qu’on ne connait pas ne peut nous manquer, non ? Elle en aurait été bien plus heureuse enfin, c’est ce qu’elle se répétait constamment. Ce n’était pourtant pas des souvenirs tristes, des souvenirs qui faisaient mal. Non, ils étaient tous joyeux, lui faisant gouter pour la première fois au bonheur. Mais si Min Jeong n’avait pas connu William, elle n’aurait pas eu à subir cette constante pression en restant à Londres et parfois, lorsqu’elle se permettait quelques pensées égoïstes, la jeune femme parvenait presque à se convaincre qu’avoir rencontré William était une mauvaise chose. Cependant, ce n’était en aucun cas la vérité.
Elle se souvenait parfaitement de leur rencontre, dans le Grand Hall du Ministère. Elle portait ce jour-là une robe aux couleurs pâles et ses longs cheveux tombaient avec fluidité sur ses épaules. Sans aucune raison apparente, elle s’était fait belle, par plaisir sûrement de se sentir bien dans sa peau. C’était un de ces jours brillants où tout le monde se souriaient encore en se croisant, un de ces jours où la vie semblait vous paraître si formidable qu’on oubliait tous les petits tracas du quotidien. Pour finir, c’était l’une de ces journées que Min Jeong regrettait de toute son âme.
Ce jour-là, donc, elle marchait d’un pas insouciant, s’arrêtant çà et là pour saluer poliment quelques collègues à qui elle ne parlait à présent plus. En se retournant pour avancer, elle avait percuté quelqu’un. Sous l’impact, elle était ridiculement tombée au sol et avait lâché les dizaines de parchemins qui contenaient ses notes. Comme dans un film, l’homme le plus charmant qu’il soit s’était platement excusé et dans un sourire séducteur, l’avait aidé à ramasser ses affaires. Rouge de gêne, elle avait à peine eu le temps de le regarder droit dans les yeux et elle s’était échappée sans un mot de plus. L’après-midi même, quelqu’un du département des Sports et Jeux Magiques la demandait. C’est avec surprise qu’elle s’était retrouvée face à cet homme aux yeux si clairs que le ciel lui-même en était jaloux. Il lui avait rendu un parchemin qu’elle n’avait pas récupéré et avait insisté pour l’inviter à dîner en gage d’excuses pour l’avoir bousculée.
Avec William, tout s’était passé très vite. Il leur avait fallu très peu de temps pour apprendre à se connaître, et encore moins pour s’aimer. Min Jeong se revoyait, sa petite main enfermée dans la sienne si large et si rude, trainer des heures au bord du lac de Hyde Park aux côtés de cet homme qu’elle aimait tant. Souriant bêtement, elle repensait aux lèvres de William perdues dans son cou qui remontaient pour chuchoter à quel point il l’aimait. Parfois, il se plaisait à l’appeler Madame Hurd, comme pour lui glisser discrètement qu’il n’avait qu’une envie : l’épouser. Mais Min Jeong ne voulait pas. Pas maintenant. L’heure n’était pas à la fête ni au mariage. Ni même au bonheur, en réalité.
Cet homme qui avait capturé son cœur lui parlait même de prendre la fuite. Qu’ils quittent tout et s’échappe de Londres pour partir dans un pays où il y faisait meilleur de vivre. La jeune coréenne regrettait de ne pas avoir accepté tout de suite. Elle avait pensé à la famille de son homme, à ses amis, son travail, et elle ne s’était pas résolue à lui demander un tel sacrifice. Pourtant, maintenant qu’elle voulait sortir de l’œil de la tempête, ils n’avaient plus la possibilité de le faire. Les entrées et sorties des sorciers du pays étaient strictement surveillés et l’ascendance de William faisait qu’il était bien trop dangereux de prendre ce risque. La famille Hurd était principalement moldue. Un grand-père et une tante sorcière le sauvait partiellement de la condamnation sans appel mais pourtant, des suspicions planaient encore et toujours sur lui si bien que Min Jeong était effrayée qu’un matin, en se levant, elle voit son nom sur la première page de la Gazette. Sans lui, elle ne pouvait simplement pas vivre. Il était devenu sa moitié, plus important encore que sa propre existence.
Un claquement de langue dédaigneux sortit la coréenne de ses rêveries. Dans le bureau d’en face, Marshall, la directrice de ce département, incendiait la petite secrétaire. Repliée dans un coin, presque tremblant d’effroi, elle semblait ne pas pouvoir détourner son regard du visage rouge et terrifiant de la vieille sorcière.
- Tu appelles ça du café ! hurlait la femme. J’appelle ça de la pisse de Scrout ! Et regarde ce que tu as fait !
Par curiosité, Min Jeong s’était approchée et elle voyait clairement les marques de cafés sur les papiers classés "urgents". Son cœur eut un raté et elle resserra sa poigne autour de sa tasse jusqu’à blanchir les jointures de ses doigts. Elle aurait voulu prendre la défense de cette pauvre stagiaire dont elle eut honte d’ignorer le prénom. Mais s’exposer ainsi était au-dessus de ses forces, c’est pour cela que ses jambes refusèrent de la porter plus en avant encore. Le plus dur fut de voir la vieille harpie au corps sec et aussi laid que son caractère, éclabousser la fillette du café brulant. Retenant un petit cri, cette dernière s’écrasa encore plus contre le mur et se mit à pleurer silencieusement.
- Tu n’es pas mieux que ce café dégoutant, persifla Marshall. Une moins que rien, qui nous prouve que tu es bien une sorcière, hein ? Tu me dégoutes…
S’en fut trop pour Min Jeong qui, malgré toute sa bonne volonté, détourna le regard de cette scène horrible. A moitié honteuse, elle retourna lentement jusqu’à son bureau jusqu’à un nouveau bruit sourd la fasse se retourner brusquement. Max venait juste de jeter violemment un rapport sur le bureau de la chef du département. Cette dernière qui avait d’ores-et-déjà oublié la jeune secrétaire se retourna vers lui, choquée.
- Qu’est-ce qu’il vous prend, Max ? couina-t-elle de sa voix insupportable.
- Ce qu’il me prend ? gronda le barbu. Vous martyrisez cette pauvre fille ! Si vous n’êtes pas satisfaite du café qu’elle vous prépare, allez le faire vous-même !
- Comment… comment osez-vous ? Vous savez que je pourrais vous faire renvoyer pour vos paroles insolentes ?
D’un revers de main, Max balaya toutes ses paroles. Il avança vers la pauvre femme aspergée de café et fit apparaître une serviette d’un coup de baguette. Avec précaution voire avec affection, il la déposa sur ses frêles épaules qu’il maintenu entre ses mains épaisses.
- Faites-le, si ça vous chante, reprit-il. Mais vous savez pertinemment que sans moi, vous êtes tout simplement perdue. Et même si Min Jeong est qualifiée, seule, elle ne pourra pas vous être plus utile qu’un Elfe aux mains coupées. Sans t’offenser, sourit-il bienveillant à l’égard de la coréenne.
Elle lui fit signe que non, qu’elle avait l’habitude et qu’en aucun cas elle était offensée et Max se retourna vers Marshall pour la fusiller des yeux.
- Et ce n’est pas vos piètres compétences qui vont prédire quoique ce soit. Sur ce, excusez-nous.
Sans ajouter un mot de plus, il entraîna la secrétaire à sa suite tout en lui parlant à demie voix sûrement pour la rassurer. Pétrifiée, elle se contentait d’hocher discrètement la tête de temps en temps. Humant son café, Min Jeong les regarda s’éloigner, comme tous les autres membres du bureau. Marshall donna un coup rageur dans son bureau puis lança un regard glacial à la jeune femme.
- Vous n’avez pas du travail, vous ? cracha-t-elle de colère. Dégagez de mon bureau !
L’asiatique s’exécuta sans demander son reste et retourna s’asseoir à son bureau à pas de course. Posant sa tasse, elle tenta de s’atteler à son travail mais le courage et l’acte de Max la hantait. Certaines personnes n’avaient donc pas abandonné. Il restait un espoir, même infime, un simple geste, une petite idée qui ferait bouger les choses. C’était grâce à des gens comme Max que le Ministère finirait par tomber. La question qui restait était la suivante : ferait-elle parti des insurgés, des sorciers qui s’élèveraient contre Voldemort et ses Mangemorts ? Même si elle aurait aimé se montrer forte et courageuse, Min Jeong savait au fond qu’elle n’était qu’une parmi tant d’autres, parmi ceux qui regardaient faire et détournaient le regard sur les horreurs quotidiennes que leurs collègues subissaient. Comme tous les autres, elle était aveugle. Et au final, elle n’était qu’une meurtrière de plus, à faire semblant de ne rien voir. Peut-être ne valait-elle pas plus que ces autres qu’elle méprisait silencieusement. Elle avait honte, oui, mais pourtant elle resterait effacée, gardant le regard rivé sur ses pieds.
Min Jeong regarda par-dessus son bureau. Les étoiles et les planètes tournoyaient avec grâce dans la grande salle centrale. Un jour, elle serait aussi brillante que celles-ci. La jeune femme se le promis. Un jour, elle montrerait qu’elle existe et laisserait entendre sa voix. Un jour, la femme effacée se dévoilera aux yeux de tous et leur dira ce qu’ils ne veulent pas entends, leur montrera ce qu’ils ne veulent pas voir.
Ce qu’ignorait alors la sorcière, c’était que ce jour arriverait bien vite. Même peut-être trop.
Ce jeudi, tout était calme au Ministère. Bien trop calme pour que cette ambiance soit rassurante et réconfortante. Depuis deux jours, il n’y avait eu aucune arrestation et les suppôts de Voldemort commençaient à s’ennuyer. Tous les employés étaient à cran, tiquant à chaque bruit suspect ou encore ne prenant même plus la peine de lever les yeux pour saluer leurs voisins. Ils étaient simplement tous terrorisés.
Min Jeong, tournant autour de Xi Ursae Majoris et Alula Borealis pour mesurer l’angle d’incidence entre les deux étoiles et leur force d’attraction, se sentait loin de tout ça. Dans sa petite salle, elle était à l’abri des persécutions gratuites et les bousculades brutales. Pourtant, lorsque Marvin, le coursier du département des jeux et sports magiques, déboula le souffle court dans au milieu des planètes, Min Jeong su immédiatement que plus rien n’irait.
- Ils viennent d’arrêter William, haleta-t-il.
Ce fut tout. Elle vit dans ses yeux que trop de pensées se bousculaient dans son esprit. Cependant, dans le sien, tout était calme. La jeune fille n’arrivait tout simplement plus à réfléchir. Lentement, elle retourna jusqu’à son bureau et prit son sac. Bien sanglé autour de son torse, elle le vida de tous les papiers inutiles qu’il contenait et y déposa sa baguette et une lettre qu’elle avait reçu de sa famille quelques jours plus tôt. Elle tira sur son chemisier jaune pâle et retourna dans la pièce principale. Marvin l’attendait toujours, visiblement bien plus pressée qu’elle.
- Vite, répétait-il paniqué. Vite !
- Je te suis.
Sa voix était calme, presque anesthésiée. Comme si toute sa volonté lui avait échappée, elle se laissa entraînée par le coursier qui la tira par le bras. En quelques secondes ils atteignirent l’ascenseur qui descendait jusqu’à ce niveau et une fois à l’intérieur Marvin martela le bouton qui menait au hall d’entrée.
- Ils sont venus l’arrêter dès qu’il a pénétré dans le bâtiment. Je pense que ça fait plusieurs jours qu’ils cherchent à l’atteindre, déblatéra-t-il. C’est un attroupement là-haut. La première arrestation depuis plusieurs jours. Mais le pire, c’est que personne ne fait rien…
- Indignés, aveugles et meurtriers, murmura Min Jeong reprenant peu à peu ses esprits.
- Quoi ?
- Non rien.
Elle était si calme que ça l’effrayait presque. Mais elle le savait, c’était comme si elle avait attendu ce moment depuis plusieurs semaines. Ça devait arriver, c’était inéluctable. Toutes ses pensées, travaillées encore et encore depuis un moment déjà lui revenait en mémoire. Ces gens qui regardent, ces gens qui s’indignent, ces gens qui ignorent, ces gens qui laissent mourir. Le jour était venu pour elle de se détacher d’eux.
D’un coup, elle devint nerveuse. Lorsque les portes de l’ascenseur s’ouvrirent sur une foule de gens, elle crut que son cœur allait sortir de sa poitrine. Elle fit quelques pas en avant mais les dos de tous les badauds l’empêchaient d’avancer plus vers le centre de cet attroupement.
- Par-là, la guida le jeune homme.
En un rien de temps, ils arrivèrent vers William. L’homme était maintenu violemment par deux sorciers portant des capes aussi noires que la nuit. Ils portaient sur eux des masques de méchanceté à en terrifier le plus courageux des sorciers. Poussant la femme la plus près d’elle, Min Jeong s’élança vers le groupe de quatre personnes que tout le monde dévisageait. Selwyn, l’un des Mangemorts les plus proches de celui dont on ne doit pas prononcer le nom, jouait négligemment avec la baguette de William. Il prenait un malin plaisir à rabaisser ce dernier et à se montrer en spectacle.
- Pour la dernière fois, Hurd, persiffla-t-il, à qui as-tu volé cette baguette ?
- Pour la cinquième fois, cette baguette m’a été donnée par Ollivander à mes quinze ans suite à la destruction de ma première. Vous le savez aussi bien que moi, Selwyn, je suis un sorcier. Et bien meilleur que vous, d’ailleurs. La rancœur vous motive donc tant que ça ? C’est à cause de quoi, hein ? C’est parce que je vous battais toujours au Quiddicth ? Ou trouverez-vous encore plus puéril pour vous ridiculiser ?
- Silence ! hurla le Mangemort.
Il fit un signe de tête à l’un de ses subordonnés et celui-ci frappa violement William au ventre. Ç’en fut trop pour Min Jeong qui s’élança vers l’homme de sa vie en criant son nom. Ignorant tous les regards qui lui brûlaient la nuque, elle se jeta contre William. De ses petites mains, elle prit son visage en coupe et le força à la regarder. Elle remarqua le léger saignement au coin de sa bouche et des cernes bien trop prononcées.
- Vas-t-en, murmura William en collant son front au sien. Tu ne devrais pas être là, tu risques vraiment gros.
- Je ne te laisserai pas, trancha Min Jeong.
- Mon amour, ça ne vaut pas le coup. Vas-t-en…
Sa voix était implorante. Il savait qu’elle jouait sa vie elle aussi en se tenant à ses côtés.
- Je ne te laisserai pas, répéta-t-elle obstinément.
- Tu es folle.
- Non. Je t’aime, tout simplement…
Sur cette note tragique, les deux amants s’embrassèrent. Seulement, au bout de quelques trop courtes secondes, Min Jeong fut écartée. Selwyn avança de quelques pas qui résonnèrent dans le grand Hall silencieux. Il applaudit, moqueur et hautain.
- Très touchant, merci pour ce charmant spectacle. Maintenant, revenons aux choses sérieuses… Vous deux, emmenez-le, je pense qu’il va falloir le questionner plus sérieusement…
- Et elle ?
Le Mangemort fit un signe négatif de la tête. Tant que Min Jeong restait écartée de cette affaire, son statut du sang la protégeait de toute arrestation. Cependant, elle signa son arrêt de mort en s’opposant aux trois hommes. Ils s’étaient mis en route et sans même réfléchir, Min Jeong leur barra la route. Son regard sombre plongé dans celui jubilatoire de l’homme, elle faisait de son corps la dernière barrière qui empêcherait ces Mangemorts d’emmener son homme.
- Pousse toi avant qu’il ne t’arrive quelque chose de fâcheux, sourit l’homme tel un carnivore face à sa proie. Ça serait regrettable de devoir te blesser inutilement. Une si jolie personne…
Sans desserrer la mâchoire, Min Jeong continua de le fusiller du regard, dans l’espoir futile que cela pouvait marcher. Puis, elle posa les yeux sur William qui avait cessé de se débattre. Il avait les yeux humides et perdu. Il ne voulait pas qu’elle s’en mêle, il ne voulait pas qu’elle prenne sa défense, ça Min Jeong le savait. Mais le jour était venu de faire face.
- Pourquoi ? commença-t-elle alors d’une petite voix. Pourquoi ne faites-vous rien ? Vous vous alarmez pour des chaussures, des colis mal livrés, des cafés… mauvais. Mais voir des innocents se faire arrêter, ça ne vous fait rien ?
Au fur et à mesure qu’elle s’emportait, Min Jeong prit de l’aplomb et bientôt, sa voix porta jusqu’au bout de la salle. Cherchant avec difficulté et soin ses mots dans cette langue qu’elle ne pratiquait pas excellemment, elle tentait de convaincre les sorciers de réagir. Se tournant vers eux, elle s’approcha des deux dames qu’elle avait entendues se plaindre de l’entrée du Ministère, quelques jours plus tôt.
- Vous trouvez ça si terrible, de mettre vos pieds dans de l’eau qui, de toute façon, ne vous mouille pas ? C’est… viscéral ? ça vous horripile à ce point ? Et ça alors ?
La jeune femme arracha la Gazette des mains d’un autre sorcier.
- Et ça, ça ne vous fait rien ? Tous ces gens condamnés sans réelles preuves, ça vous laisse de… de marbre ? Et quand bien même certains n’ont aucune ascendance sorcière, est-ce une raison ? Tous ces gens sont-ils des voleurs ?
Paniquée, elle s’approchait de tous les sorciers qu’elle croisait mais tous sans exception détournait le regard quand elle arrivait à sa hauteur. Elle était seule. Seule face au monde. Seule face à la fatale et triste fin qui l’attendait. Avisant Maria, elle accourut jusqu’à elle et reprit :
- Et toi Maria ? Toi qui dis toujours que ces gens… ces Mangemorts sont des pourritures, pourquoi tu ne fais rien ? Je sais que tu penses comme moi ! Je sais que tu veux que ça cesse !
- Désolée, Min Joung, murmura-t-elle en baissant les yeux.
- Saisissez-là, gronda alors la voix de Selwyn.
Une main large et puissante la saisit alors à la gorge et la souleva de quelques centimètres. Suffoquant, la sorcière tenta de trouver le sol de la pointe des pieds.
- Repose-la au sol ! s’énerva alors le Mangemort. Tu ne vas pas nous en faire une martyre en plus de ça. Bon… emmenez-moi ces deux-là. Vous le mettez dans une des salles du deuxième niveau. Quant à elle… laissez-la-moi.
Pouvant de nouveau respirer, Min Jeong mordit la main de l’homme qui tentait de la maîtriser et courut jusqu’à William. Son regard était douloureux. Il s’en voulait.
- Je t’aime, lui glissa-t-elle alors. Je t’aime.
Il lui sourit tristement, voyant derrière elle, l’homme aux mains d’acier s’approcher dangereusement.
- Moi aussi je t’aime, Min Jeong. Plus que n’importe quelle chose dans ce monde.
Ils n’eurent le temps d’échanger quoique ce soit car l’homme saisit la sorcière par le cou et la tira en arrière. Se débattant, William tenta de retourner vers elle, de retrouver son amour, mais le sorcier qui le maintenait avec force l’emporta à travers la foule. Des larmes de détresse coulant en abondance sur ses joues, Min Jeong le regarda partir, sans pouvoir ne serait-ce que protester.
Devant elle, Selwyn la regardait, fier. Les bras croisés sur son torse, il fit un signe de tête à son autre subordonné. Min Jeong se sentit soulever dans les airs. Donnant des coups de pieds rageurs dans le vide, elle disparut du grand hall en hurlant à tous les sorciers présents :
- Ce qui me dégoute, moi, c’est vous. Vous tous !
Puis la porte se referma et la salle fut replongée dans un silence pesant.
Recroquevillée dans sa petite cellule, la sorcière se cognait la tête contre le mur. De ses lèvres sèches et sa gorge endolorie, elle répétait à voix basse :
- Mon nom est Kim Min Jeong. Je suis une sorcière. J’aime William Hurd.
Elle faisait souvent une pause à ce moment-là, ressassant des souvenirs douloureux. Lorsque les gardiens passaient, elle leur demandait toujours un journal, où s’ils savaient si un William Hurd était enfermé à Azkaban, tout comme elle. Mais lorsqu’elle insistait trop, on lui envoyait les Détraqueurs. Min Jeong ne savait pas depuis combien de temps elle était enfermée. Elle avait même du mal à se souvenir de la dernière fois où elle avait mangé. Le pire était de se demander pourquoi elle avait été envoyée dans cette petite cellule.
Alors, tandis que ses souvenirs lui échappaient peu à peu, la jeune femme se répétait :
- Mon nom est Kim Min Jeong. Je suis une sorcière. J’aime William Hurd. Et m’indigner l’a tué