Une ombre attendait sur le quai de la gare. Une valise de cuir cuivrée en main, elle tirait la fumée d’une cigarette mentholée. Elle regardait la pendule, patiemment. Elle semblait soupirer.
Accoudée sur le mur, en verre d’un abri, elle s'affalait légèrement sur la gauche.
Soudain, elle se redressa.
Une robe attira son attention.
Un tissu de soie blanche, un vêtement pareil à celui qu’elle portait lors de leur premier rendez-vous.
La fine dentelle, qui le parsemait, virevoltait lorsqu’elle avançait. Les chaussures d’une même couleur étaient taillées dans un cuir terne, vieilli.
Soudain, la jeune femme qui portait cette robe, commença à courir davantage. Ses pas furent rythmés par cette envie oppressante de le voir une dernière fois.
Il se tenait là, accoudé à la vitre ébréchée, sa valise en main.
La lumière du soleil éclairait la fumée qu’il expirait.
D’ici, elle pouvait sentir cette délicate odeur de menthe qui montait haut dans le ciel.
L’avait-il vue ?
Aurait-il remarqué sa robe ?
L’ombre se décolla de l’abri. L’homme décolla ses yeux de la jeune fille pour regarder l'heure apparaître. Tout se terminerait, bientôt. Et elle, elle courait vers lui, les cheveux lâchés dans le vent, dans le bruit des trains qui quittaient la gare. Autour d’elle, les valises à roulettes se pressaient de monter dans les wagons. Les trains partaient dans un fracas assourdissant. Personne ne faisait attention à cette blanche robe, qui s’élançait vers ce costume gris délavé. Aucun passager ne voyait ce jeune homme qui ne pouvait plus la quitter du regard, et qui s’apprêtait à l’accueillir dans ses bras.
Elle plongea vers lui, il la reçut dans ses bras, et la serra fort.
Le flou du décor s’intensifia lorsqu’il passa une main tremblante dans ses cheveux.
A terre, sa cigarette et sa valise, gisaient. Il les avait lâchées, jetées, comme si elles n’étaient plus rien. Comme si le reste du monde n'avait soudainement plus d'importance.
La jeune fille passa ses bras autour du cou du jeune homme, pour caresser ses cheveux flamboyants, comme elle l’avait déjà fait mille fois. Cette fois-là fut différente, comme si cet effleurement, était le premier. Puis, elle descendit ses doigts dans le creux de son cou qu’elle frôla, avant de revenir plaquer ses mains sur sa bouche.
Elle ne voulait pas qu’il parlât, que de ses lèvres hier encore innocentes, achèvent cette harmonie indésirable de l’absence qui se préparait.
Et il ne fit rien, il se contenta de la contempler encore, de nager dans ses yeux noisette avec la gourmandise d’un enfant. Il continuait de promener ses yeux sur les formes qui émergeaient de sa robe, légèrement transparente. Il la bloquait contre elle, enveloppant son corps dans ses bras rassurants.
Les aiguilles tournaient, leur étreinte les figeait, là, dans le coin paisiblement ensoleillé d’une gare.
On siffla un train.
Et chaque seconde qui les sépara les plongèrent dans l’ombre d’une absence, bien top pesante, bien trop présente.
Il avait délaissé ses bras, s’était retiré de son corps, qu’il avait serré fort, tellement fort, qu’il avait pénétré son cœur. Et elle avait baissé la tête, renoncé à la voluptueuse douceur de sa bouche ronde, à cette odeur de menthol mêlée aux parfums de la fumée des trains. Elle tenait sa tête entre ses mains, il courrait vers son train, sa valise en main, espérant que les portes se refermeraient le plus tard possible.
Elle aurait voulu lutter contre le temps, s’émerveiller encore de son étreinte sensuelle.
Il aurait voulu renoncer au temps, se rendre heureux d’être l’unique promesse de sa vie.
Et le temps se pressa. Les roulettes accentuaient leurs bruits grinçants. Elle entendait les sifflements perfides des contrôleurs annonçant le départ imminent. Il la regardait elle, perdue au milieu de la foule.
Les portes se fermèrent.
Le train démarra.
Elle tourna la tête, espérant l’apercevoir encore, toujours.
L’ombre du train avançait, inlassablement, toujours plus vite. Alors, elle courut. Les dentelles semblaient voler, ses cheveux, danser dans l’air du temps. Elle ne pourrait jamais rattraper les wagons, et surtout, elle ne pourrait jamais rattraper le temps. Bientôt, le train quitta la gare. Elle continuait de cavaler sur le quai. Il disparaissait derrière chacune des fenêtres de son wagon, pour continuer à la voir, pour courir avec elle. Il atteignit bientôt la dernière, déjà ouverte, qui laissait passer l’air.
Alors il lui cria, il le lui dit.
Et ces paroles inaudibles, qui se perdaient dans la clameur générale de la gare, avaient déjà tracé leur chemin sinueux vers le cœur de la jeune fille.
Elle lui répondit qu’elle l’aimait aussi.
Et elle se laissa tomber sur le quai de la gare, elle s’écrasa sur le sol brûlant, pleurant des larmes perlées de sa douleur langoureuse.
Et il se laissa tomber dans son siège, il écrasa sa cigarette à peine allumée, en laissant couler ses larmes dans une langueur douloureuse.
Et le train était parti.
Mais, leur amour était là, encore, toujours plus fort.