Brushing parfaitement en place, tailleur chic et choc couleur kaki, talons aiguilles aiguisés à souhaits, des anneaux dorés sertis de diamants aux oreilles et toute une ribambelle sur ses annulaires, Rita s'avance en serpentant à travers le bâtiment de l'école de sorcellerie esquinté, avili, saccagé. Sa plume à papote s'agite dans son sac à main. Elle s'impatiente. Envoyée spéciale, elle a été chargée de rédiger un article sur l'attaque survenue au château, deux jours plus tôt. Toutefois, Rita a d'autres projets en tête. La parution de sa biographie sur Dumbledore l'a propulsée du rang de simple journaliste de la rubrique « potin » à celui de « journaliste émérite en charge de l'investigation ». Plus que jamais, le succès lui sourit, les galions pleuvent. Elle a donc secrètement décidé de s'attaquer à écorcer et romancer la vie de Rogue, dans les moindres détails.
Déambulant dans les couloirs calcinés, où pullulent les insectes morts et les décombres, Rita demande son chemin à une élève de cinquième année.
« Oh, adorable jeune fille, sais-tu où je pourrais trouver le bureau du professeur Rogue ? »
Son ton se veut plaisant, et son sourire laisse transparaître ses plombages, en or.
L'élève lui répond avec la candeur et la fraîcheur inhérente aux élèves de son âge.
« Non, allez vous faire voir !
-Si j'avais autant de boutons que toi, et des cheveux aussi sales, j'irais me cacher dans un placard, répond-elle sarcastiquement. Mais, apparemment, tu as choisi la solution d'être moche et désagréable, mauvaise pioche. »
Elle se volatilise le plus rapidement possible, et sa plume s'extirpe de son écrin en cuir de dragon. Elle la file, comme son ombre, suit le fil de ses pensées, et par magie, un parchemin apparaît. La plume rédige sous sa dictée les mots que lui inspirent l'atmosphère sombre et glaciale.
Elle s'aventure toujours plus loin dans le château, essayant de se souvenir où était le bureau du directeur du temps où elle était elle-même élève.
Par chance, elle aperçoit une pièce, qui semble être le lieu tant recherché. Elle y pénètre.
Son investigation commence.
La salle est miraculeusement intacte, bien qu'elle ait été mise à sac. L'esprit de Rita accouche des phrases rocambolesques afin de créer un parfait chaos.
« Non, raye la dernière ! Lui ordonne-t-elle ».
La pensée étalée par la plume dans une encre verte est subitement avortée, et remplacée par d'autres, tout aussi noires et nébuleuses, dont la tournure a pour unique but de capter l'attention du lecteur. Son style est reconnaissable entre mille, sa patte est remarquable, elle laisse une trace indélébile dans l'esprit de ses lecteurs si... subtiles ?
Rita poursuit son enquête.
Elle aperçoit des livres rangés par ordre alphabétique dans la bibliothèque, dont les noms sont ennuyeux à mourir : Précis de Potions volume 3, Art subtile de la Magie, Législation des créatures classées nuisibles, Propriétés insondables des herbes magiques et autres champignons, Dialectique de la Potion, Art subtile de la Magie, Défense et Attaque, précis de sortilèges. L'un d'eux s'intitule : Combattre l'échec. Il n'a pas du l'ouvrir souvent celui-ci.
Ses yeux s'attardent sur les manuels, dont elle ne retire rien, sinon quelques notes éparses et commentaires inégaux sur les paragraphes. Elle poursuit son chemin vers la pensine, laquelle a été balancée au sol. Inutilisable.
Elle fouille le moindre coin, le moindre espace, tandis que son esprit grouille de pensées et de vérités arrangées. La plume s'active.
En ouvrant un tiroir du bureau, elle découvre une boîte noire, de forme octogonale. Sur chaque coin, luit une opale. Le bois, ébène, semble cristallisé par un vernis aux reflets argentés. Ses pensées sont captivées par ce mystérieux coffret. Son esprit fourmille d'hypothèses à vérifier.
Avec la délicatesse inhérente à un jeune troll des montagnes, elle l'agite. Que se cache-t-il à l'intérieur ?
Elle la pose sur le bureau. Elle tente de l'ouvrir à coup de baguette magique. Inutile. Elle lit l'inscription sur le couvercle : « Seul un vrai magicien peut m'ouvrir. »
Qu'est-ce que ce tordu a encore inventé ? De toute évidence, il n'avait aucune envie que quelqu'un mette le nez dans ses affaires, en déduit-elle. Elle réfléchit. Seul un vrai magicien pourrait ouvrir la boîte.
« Abracadabra ! S'exclame-t-elle. »
La boîte s'entrouvre légèrement sans toutefois dévoiler son contenu, mime un bâillement, puis se referme aussi sec. Elle ne tardera pas à retourner faire une sieste dans son tiroir, car elle en a déjà assez de cette mascarade.
« Ouvre-toi ! Lui ordonne-t-elle. »
La boîte n'en fait rien.
« Un vrai magicien...Ouvre-toi, s'il te plaît, tente-t-elle. »
La boîte s'exécute. Le couvercle se soulève avec douceur et lenteur. La curiosité de Rita atteint son paroxysme.
Ni manuels de magie noire, ni correspondance secrète, ni journal intime y ont été enfermés. Il n'y a pas de potions étranges, de filtre d'amour, de bouteille de jus de citrouille, d'invention facétieuse, de sortilèges puissants, de souvenirs personnels, d'objets non identifiés. La boîte contient des photos de joueurs de Quidditch dans leur plus simple appareil, dont la virilité est cachée par un souaffle, un balai, une serviette, et dont les regards appuyés et les positions suggestives laissent rêveuse une femme comme elle. Elle reconnaît rapidement le calendrier duquel les photos ont été découpées.
« Les Dieux du stade ? Après, tout, pourquoi pas ? »
Intéressant, Rogue, depuis toutes ces années, était donc secrètement attiré par des sorciers ?
Parfait ! Voilà qui sera vendeur. Elle imagine d'emblée le titre.
« Note ! Assigne-t-elle sèchement à sa plume ». Les pensées fusent dans son esprit et fusillent la mémoire du professeur.
Pour parfaire sa page, il ne manque plus qu'une photographie.
Se saisissant de sa baguette, elle déplace les affaires, puis, tout naturellement, crée des éboulements afin de dramatiser l'espace.
Tout est à présent parfait, comme elle se l'imaginait, comme elle l'a décrit.
Son collègue, qui prenait un jus de citrouille au premier étage en compagnie du professeur Slughorn, accourt. Il regrette qu'elle n'eût pas été atteinte par l'éboulement. Elle lui somme de photographier l'endroit. Maladroitement, il brandit l'appareil et l'immortalise.
« Que dirais-tu de faire un sujet sur les joueurs de Quidditch ? Lui demande-t-elle tout en s'empressant de s'éloigner. »
Quelques semaines plus tard, à Fleury et Bott, Harry parcourait, sans les regarder, les titres des ouvrages. Il avait accepté d'accompagner Hermione et Ron (mais surtout Hermione) s'acheter des livres. La jeune femme avait décidé de reprendre ses études, et passer ses examens, entraînant avec elle Harry et Ron dans cette aventure.
Entre les romans de Gilderoy Lokhart et les livres scolaires, les exemplaires du nouveau livre de Rita Skeeter recouvraient un présentoir. L'affiche aux couleurs criardes trônant au-dessus interpellait la ménagère de moins de cinquante ans : « Après le franc succès de l'autobiographie de Dumbledore, Rita Skeeter s'est plongée dans les sombres secrets du professeur Rogue. A lire d'urgence ! »
Harry en attrapa une et l'ouvre machinalement, dont le sous-titre Ange ou démon ?, lui rappellait les romans moldus pour adolescents. Il tomba sur une page au hasard.
« Rogue, si mystérieux, avait l'humeur plutôt maussade, comme en témoigne cette jeune fille de troisième année, à Serpentard : « Il nous accordait rarement un regard, et, au fond de lui, on savait qu'un sombre secret le tourmentait. »
Harry leva un sourcil suspicieux, se demandant non pas qui avait dit une telle chose, mais à quel point les mots avaient été détournés de leur sens originel.
Il poursuivit sa lecture, amusé.
« Maintenant que nous avons démontré la corrélation entre Rogue et les Arts de la magie noire, il est temps à présent de visiter le bureau de l'ancien directeur... »
Le chapitre s'intitule : « Les secrets de la vie intime du professeur Rogue, enfin dévoilés ! »
La page suivante présente une photo dudit bureau sous les décombres.
« Depuis la bataille engagée avec les mangemorts, Poudlard est lieu de désolation et de mort. Quelle tristesse ! Un champ de ruines se dresse devant mes yeux. Les élèves sont démunis suite aux meurtres et au carnage. J'aperçois, sur ma gauche, une élève avachie, dont les yeux larmoyants semblent vous demander : « pourquoi ? ».
Je m'avance jusqu'au bureau de l'ancien directeur, dont le rôle, comme vous le savez, a été crucial dans cette guerre sans merci. Le bureau, n'a, hélas, pas été épargné par le saccage. Par chance, j'ai tout de même pu consulter quelques livres, encore intacts. Sa bibliothèque déborde de livres sur la magie noire ; et nous prouve une fois encore, son profond attachement aux défenses contre les forces du mal. De son bureau, j'ai retiré un coffret en ébène, sertis de diamants et d'opales, dont la beauté eut subjugué le dieu de l'amour lui-même. Il me faut beaucoup de calme et de patience pour l'ouvrir, car celui-ci est protégé par mainte sortilèges. Une fois déjoués, j'ouvre enfin le précieux écrin. Mes mains tremblent, car je sens au fond de moi que je touche à secret intime et bien gardé. Ce qui va suivre risque de vous choquer. En effet, quelle n'est pas ma surprise, lorsque je découvre des photos d'hommes dénudés dans ce coffret ! Celles-ci viennent de percer le voile épais de mystère entourant sa vie intime, et que j'ai vainement tenter d'élucider moi-même. Le professeur Rogue avait un penchant pour les hommes. Je suppose que cette préférence a été décisive dans sa relation avec Lord Voldemort, dont il pouvait se targuer d'être l'un des plus proche...le plus proche peut-être ? »
Harry referma le livre, à la fois outré et amusé. Tout de même, Rita aurait pu se douter que ce coffret n'appartenait pas à Rogue, mais à son prédécesseur, non ?