She blows back the hair from her face
She turns to the window to sway in the moonlight
Even her shadow has grace
La maison est silencieuse, mais je n’arrive pas à trouver le sommeil. Si j’étais chez moi, je me serais levé et je serais descendu à la cuisine me faire une tasse de lait chaud. C’est ce que ma mère me faisait tout le temps, quand j’étais plus jeune et que je n’arrivais pas à dormir. Mais je ne suis pas chez moi. Je suis chez Bill Weasley, que j’entends ronfler à travers le mur.
Je me retourne dans mon lit, tentant pour la énième fois de la nuit de trouver une position confortable, quand j’entends un craquement sur le palier. Je me fige, tendant l’oreille, mais il fait trop noir, je ne vois rien qu’une silhouette qui passe devant ma porte entre-ouverte. Je jette un coup d’œil à ma gauche ; Harry et Ron sont toujours profondément endormis.
Je n’entends plus rien venant du corridor, mais un petit sourire touche mes lèvres. Je me glisse silencieusement hors de mon lit et sors de la chambre, mes pieds nus ne faisant aucun bruit. J’évite la troisième marche de l’escalier, j’ai appris il y a un moment qu’elle craque, et quand je pose les pieds sur le sol froid de la cuisine, je la vois devant la fenêtre, ses longs cheveux emmêlés dans son dos. Luna.
Ce soir, ça fait dix jours qu’on est là, les uns par-dessus les autres, dans cette petite maison qui est à peine assez grande pour nous. Souvent, c’est trop pour moi, je me laisse déborder par Harry et sa mission, Gripsec et sa mauvaise humeur, Bill et ses réunions. Alors je sors, je m’assieds sur les rochers, là où je n’entends personne parler de guerre, de Vous-Savez-Qui, et je regarde les vagues. Ça me détend. Luna a pris l’habitude de se joindre à moi, quand elle n’est pas avec Ollivander, et contrairement à ce qu’on pourrait croire, connaissant Luna, elle me détend aussi. Elle a toujours le mot pour faire sourire. Elle est un rayon de soleil dans la noirceur qui nous entoure.
Dans la cuisine, Luna se détourne de la fenêtre et se dirige vers la porte d’un pas léger, presque dansant. Elle ne m’a pas vu ; elle ouvre la porte silencieusement, la referme derrière elle. J’attends quelques secondes, pour être sûr qu’elle soit partie, puis je prends sa place à la fenêtre.
She lifts her hands up to the sky
She moves with the music
The song is her lover
The melody's making her cry
Je la cherche un instant dans l’obscurité, puis je l’aperçois, descendant le petit chemin de pierres vers la plage. Ses longs cheveux sont détachés et volètent un peu autour de son visage, poussés par le vent qui vient du large. Elle atteint le bout du chemin et reste un instant sans bouger. Elle me fait dos, mais je peux m’imaginer son sourire en sentant le sable sous ses pieds nus. Puis elle avance vers l’eau, son ombre gracieuse la suivant pas à pas. Elle s’arrête à nouveau, les vagues venant chatouiller ses orteils, et passe un long moment immobile, face à l’océan. Je fronce les sourcils. Que fait-elle ? Qu’attend-elle ?
Au moment où je m’apprête à sortir de la maison à mon tour, elle lève lentement les bras vers les étoiles, s’étirant jusqu’à être sur la pointe des pieds, et se met à tourner sur elle-même, lentement d’abord, puis de plus en plus vite. Ses cheveux forment un halo autour de sa tête, ses pieds soulèvent des gouttelettes d’océan qui scintillent à la lueur de la lune. Elle ne porte qu’une nuisette blanche, prêtée par Fleur, qui volète autour de ses jambes. Le tissu est presque transparent et je distingue la silhouette de son corps filiforme, tout en douceur et en courbes délicates.
La mélodie qu’elle entend n’est que dans sa tête, mais elle ne la transporte pas moins pour autant. Je la vois valser sur le sable et je peux presque m’imaginer les notes qui guident ses pas. Les vagues qui se cassent sur le sable, le vent qui bruisse dans les hautes herbes, les rares oiseaux qui sont réveillés à cette heure nocturne font l’orchestre qui l’accompagne. Elle est trop loin pour que je voie son visage, mais je l’imagine sourire. Je sens son sourire. Je sens aussi des larmes qui mouillent ses joues.
Sans ses boucles d’oreilles loufoques, ses vêtements originaux, elle a encore plus l’air d’une petite fille. Une petite fille qui danse sur la plage en pleine nuit, ses longs cheveux volant autour d’elle, sa robe la drapant comme un voile. Elle est si simple, comme ça. Si Luna.
Si belle.
In and out of the crowd like a glance
This romance is
From afar calling me silently
Alors elle danse.
Elle tournoie, ondule, vole, ses pas légers la portant sur le sable mouillé. Elle disparaît parfois derrière un bosquet de hautes herbes et je la perds de vue, tantôt juste le temps d’un coup d’œil, tantôt pour ce qui me semble une éternité. Je me rappelle soudain du bal de Noël, lors de ma quatrième année. Ces jolies filles que je dévorais des yeux qui se mouvaient à travers la foule telles des papillons, apparaissant et disparaissant au gré de ses mouvements.
Ici, il n’y a pas de foule. Que Luna, la mer, la plage, les dunes, la lune. Ce sont eux, sa foule. Eux qui l’observent, qui l’applaudissent, qui l’admirent. Qui l’aiment.
Et moi, aussi. Même si elle ne me voit pas.
But how will I know where to start
She's spinning between constellations and dreams
Her rhythm is my beating heart
Je peux m’imaginer ce que me dirait Seamus, s’il était là. « Mais tu attends quoi pour bouger, mec ? Prends une chance, allez, c’est quoi le pire qui peut t’arriver ? Et puis si ça se trouve la fin du monde est pour bientôt, tu veux vraiment aller dans l’au-delà avec des regrets ? » Ça serait de bonne guerre, puisque je l’ai poussé ainsi l’an dernier quand il n’osait pas parler à Katie.
Mais par où commencer ? Avec Ginny, ça avait été simple : quelques échanges de lettres, une rencontre au Chemin de Traverse, une glace partagée, un baiser… Mais Luna… Même si ce n’était pas la guerre, si je pouvais simplement l’inviter au restaurant sans craindre pour notre vie, ce ne serait pas assez bien.
On disait souvent de Luna qu’elle vivait sur une autre planète. Luna, toujours la tête dans les étoiles. Loufoca, qui prend ses rêves pour la réalité. Quand on ne la connaissait pas, on la trouvait ridicule, on se moquait d’elle, on l’insultait. Moi-même j’avais dû étouffer plus d’un fou rire lors des premières réunions de l’AD en sa présence, quand elle se mettait à épiloguer sur les Jobarbilles ou autres créatures de son invention.
Mais aujourd’hui, je donnerais n’importe quoi pour pouvoir la rejoindre sur sa planète.
I give up this view just to tell her
Sans avoir le souvenir d’avoir pris une décision consciente, je m’éloigne du comptoir contre lequel j’étais appuyé et traverse la cuisine à pas de loup. J’ouvre la porte silencieusement et me glisse dans l’air frais de la nuit anglaise, l’air du large faisant frissonner mon t-shirt contre mon torse. Rapidement, je suis sur la plage à mon tour, le sable crissant sous mes pieds nus. Je m’approche de Luna, qui ne m’a pas entendu la rejoindre, et je pose une main sur son épaule nue.
Elle ne sursaute pas. Peut-être m’a-t-elle entendue, après tout. Elle se retourne vers moi et me sourit. J’ouvre la bouche pour lui dire… En fait, je ne sais pas ce que je veux lui dire. De toute manière, elle pose un doigt fin sur mes lèvres. Il faut rester silencieux. Ne pas déranger la mer qui dort.
Elle pose une main délicate sur mon épaule, enlace les doigts de son autre main dans les miens. Je ne sais pas quoi faire de ma main libre, alors la sienne quitte mon épaule pour l’installer sur sa taille. Je la regarde un instant. Elle détonne, une grosse main d’homme brune sur le délicat tissu blanc de la nuisette.
Je n’ai pas le temps de me poser de questions qu’elle repart dans sa danse, m’entraînant cette fois à sa suite. Je n’ai jamais été un bon danseur, mais Luna me transmet sa légèreté, la musique qui habitait sa tête prend domicile dans la mienne aussi, et je virevolte avec elle. Nos pieds tapent en cadence la plage, soulevant des volutes de sables, des éclaboussures quand les vagues se rendent jusqu’à nous.
Son petit visage est levé vers moi, ses grands yeux bleus scintillent à la lueur de la lune. J’ai envie de me pencher, d’embrasser ses lèvres si douces, roses, innocentes. Mais quelque chose me dit d’attendre, que ce n’est pas le moment de briser notre valse.
Je la soulève dans mes bras et la fais tourner ; son rire faire écho au son des vagues.
The spotlights are bright on you and me
We've got the floor
And you're in my arms
How could I ask for more
Nous dansons ainsi pendant quelques minutes, quelques heures, une éternité, puis finalement le monde se calme, arrête de tournoyer autour de nous. Elle passe ses bras autour de mon cou et niche sa tête contre mon épaule. Je sens les effluves du shampooing à la violette avec lequel elle s’est lavé les cheveux ce matin – ou plutôt hier matin, il est sans doute après minuit.
Son cœur bat tout contre ma poitrine. Sent-elle à quel point le mien va vite ? Elle frissonne contre moi et je resserre mes bras autour de son corps gracile. C’est vrai qu’il fait frisquet, sur la plage, le vent du large nous frappant de plein fouet. On n’est qu’à la fin avril, il ne faudrait pas encore se découvrir d’un fil. La maison n’est pas loin derrière nous, avec son feu permanent qui réchauffe les petites pièces. On serait bien mieux, enlaces sur le fauteuil du salon, face à la cheminée. Mais je ne veux pas partir d’ici. Luna se fond encore un peu plus dans mes bras, les yeux fermés, laissant échapper un soupir de contentement. Je pose mon menton sur le haut de sa tête et ferme les yeux à mon tour.
Il me vient à nouveau une vision du bal de Noël. Pas un souvenir, cette fois ; je n’avais pas dansé pendant cette soirée. Les yeux fermés, je m’imagine dans la Grande Salle. Je sens la lumière des projecteurs sur nous, sur tous les couples qui nous entourent. Le doux tissu de la nuisette sous mes doigts devient la soie d’une robe de soirée ; le sable sous mes pieds, les dalles du château ; le chuchotement du vent dans les hautes herbes sèches est le son, étouffé, des conversations de tous les élèves qui nous entourent, qui nous regardent.
Qui la regardent.
In and out of the crowd like a glance
This romance is
From afar calling me silently
Le son de la porte qui se ferme derrière moi me tire de mon rêve éveillé. Et ce n’est qu’à ce moment-là que je me rends compte que c’est tout ce que c’était. Je ne suis jamais sorti de la cuisine, je n’ai pas dansé avec Luna. Je suis resté appuyé contre le comptoir à l’observer par la fenêtre et, perdu dans mes rêveries, je ne l’ai pas vue revenir vers la maison.
Je me tourne vers le son et elle est là, devant la porte, face à moi. Ses pieds ont entraîné un peu de sable dans la maison – Fleur se demandera d’où il vient dans quelques heures – et ses joues sont roses. De joie ou de froid, je n’en sais rien.
— Dean ? dit-elle à voix basse, ses yeux encore plus larges que d’habitude trahissant son étonnement de me voir là.
À ce moment, je décide que je ne peux pas rester ici éternellement, à l’observer subrepticement. Je traverse la cuisine en trois grandes enjambées et je prends ses mains froides dans les miennes. Elle lève les yeux vers moi, interrogateurs, et je lui souris.
Après quelques secondes, elle y répond.
And I'm givin' up this view just to tell her