« Victoire, il y a une musique dans ma tête. »
Elle a ce don, Dominique, de dire les choses de la manière la plus étrange qui soit. Ce n’est pas sa faute, les gens ne s’en étonnent même pas, l’anglais n’est pas sa langue maternelle. Elle est française, Dominique. Elle est née en France et il y a vécu pendant des années. Et tous les anglais savent que tous sonne plus dramatique en français.
« Qu’est-ce que tu as voulu dire, Sweetie ? »
Mrs Watson fixait Dominique, en attendant qu’elle explique ce qu’elle-même ne comprenait pas vraiment. La vieille sorcière avait le visage même de l’empathie, avec ses cheveux d’un blanc tirant sur le bleu clair, ses pommettes roses et son sourire bienveillant. Son cabinet était chaleureux, il y avait même des cookies homemade sur la table. Mais Dominique a toujours eu du mal à se livrer à une inconnue, et ça, c’est bien son côté anglais. Et elle n’aimait pas vraiment cette façon qu’elle avait de l’appeler. Ni la façon qu’ont tout les anglais de tutoyer tout le monde ou de ne vouvoyer personne. Sa mère dit toujours qu’elle est née du bon coté de la Manche, celui de la politesse
« Tu peux parler librement, ici. Ces murs ne laissent jamais rien sortir. »
Les yeux insistants de Mrs Watson papillonnèrent dans la pièce, se posant sur chaque petit objet sur les étagères de bois comme si chacun d’eux avait une histoire qu’elle seule connaissait. Le regard de Dominique se posa un instant sur l’étagère ou s’entassait des dizaines de vieux vinyles.
« Reprenons du début, déclara-t-elle après une minute de flottement. Est-ce que tu sais pourquoi tu es ici ? »
Dominique réfléchit un moment. Elle avait beaucoup de mal à penser tranquillement, jauger une situation était trop difficile avec le bruit de fond dans son crâne.
« Parce que vous croyez que je suis folle. Vous voulez m’envoyer en asile. »
La vieille dame ne parut pas surprise. Elle avait surement beaucoup de patient en déni, pensa Dominique.
« Pas du tout. Je veux juste t’aider, Dear.
— Je m’appelle Dominique. »
Cette fois ci, Mrs Watson fit des yeux ronds.
« Je sais très bien… c’est juste une manière de parler… Sans jouer sur les mots, réfléchis bien et dis-moi la raison pour laquelle tu es venue, aujourd’hui. »
La jeune fille se concentra. Ca datait de la semaine dernière. Quand Victoire lui avait demandé qu’est-ce qui n’allait pas, pourquoi elle regardait par la fenêtre avec le regard vide de ceux à qui quelque chose échappe. C’était sorti, comme ça. Elle avait toujours eu envie de le dire à quelqu’un. Et sa sœur n’était-elle pas la meilleure personne pour confier ses peurs ? Victoire avait toujours essayé de la comprendre. En apparence, au moins. Pourtant ce jour-là, elle l’avait fixée, interloquée, avec au fond une lueur de pitié, comme si elle était malade. Ce regard qu’on a pour les vieux en fin de vie.
« Et qu’est-ce que tu voulais dire par « une musique dans ma tête » ? »
Mrs Watson nota patiemment sur son carnet en attendant que Dominique trouve ses mots.
Ce n’était pas une invention, ni un moyen de se rendre intéressante. Oui, c’est vrai, la musique était devenue plus forte ces derniers temps, mais elle avait toujours été là. Tapie dans les idées les plus noires comme dans les plus jolis souvenirs. Un fond sonore qui faisait entièrement partie d’elle, de sa tête. Qui avait toujours accompagné ses pensées, et qui se répète, en boucle. Comme une feuille houlée par le vent, qui sort, qui vole, qui vogue, qui s’époumone, qui cogne le sol et s’envole encore. S’essouffle, puis revit. Cinq notes, deux temps. Juste deux temps, toujours deux temps, ça ne change jamais. Rien d’entraînant, c’est plutôt monotone ; Dominique n’est même pas sûre qu’il y ait un rythme. Elle n’arrive pas à le fredonner. Mais la musique, elle est bien là. Toujours les mêmes notes qui bouclent, s’embouclent et se débouclent. Qui résonne dans sa tête et que personne n’entend. A part elle. Si bien que, petite, elle croyait que c’était une chanson dont elle n’arrivait pas à se souvenir, juste une chanson. Ça arrive, des fois, qu’on ait une musique si ancrée dans la tête qu’on a l’impression qu’elle en fait partie. Mais dans ce cas, ça finit par passer. En quelques heures, quelques jours tout au plus. Mais Dominique, sa musique, elle n’est jamais passée. Il y a des jours où elle chuchote seulement et où son murmure devient à peine audible. Elle est fatiguée, elle se repose, c’est ce que ce dit Dominique ces jours-là. Parce qu’elle revient toujours, plus puissante. Piano, Forte. Surtout Forte, en fait.
« Est-ce que tu reconnais ces notes »
Elle acquiesce. Mrs Watson lui tend un papier pour qu’elle y inscrive les cinq notes.
« Do, mi, do, la, sol… Plutôt ennuyeux, n’est-ce pas ? »
Dominique eu envie de répliquer que n’importe quelle partition peut être ennuyante sans tempo, mais elle avait trop peur de se ridiculiser. Elle n’y connaissait rien à la musique, après tout. C’était James qui lui avait tout appris. Elle n’avait pas osé lui en parler, de sa musique, à James, elle lui avait juste dit qu’elle faisait des recherches, pour un article. Elle avait trop peur qu’il se moque. Ou qu’il ait le drôle de regard. Ou pire, qu’il en parle aux autres, comme Victoire, et qu’ils l’envoient chez une vieille qui discute avec les fous.
« Est-ce que tu as remarqué que les deux premières sont aussi les quatre premières lettres de ton prénom. »
C’est James qui le lui avait fait remarquer, en premier. Peut-être parce qu’il avait toujours eu des surnoms pour elle. Dom’, Domie, Domino. Elle l’aime bien, James, c’était le seul de la famille qui ne la considérait pas comme une française, juste une Weasley. Même si des fois, elle avait l’impression de ne pas être à la hauteur de ce nom. Cette même impression que lorsqu’on se rend compte que le pantalon qu’on vient d’acheter est trop grand et qu’on ne peut pas l’échanger. Elle a la petite carrure des napoléons, Dominique.
« Oh, tu sais, l’inconscient…. il n’y a jamais de hasard dans ce qui se passe là-dedans. »
Mrs Watson tape deux coups contre ses tempes. C’est facile de faire ça pour elle, c’est le silence dans sa tête. Deux coups, ce ne sont jamais rien que deux coups. Dominique avait essayé de taper, elle aussi, pour interrompre la musique. Mais comme un oiseau moqueur, elle n’avait été que plus insistante. La narguant, elle et ses bosses, ses ecchymoses.
« Qu’est-ce qui s’est passé récemment ? Il y a eu un changement dans ta vie ? »
Un léger, pensa Dominique, avec ironie. Pour être franche avec elle-même plus qu’avec Mrs Watson, elle devait avouer que la musique était devenue insupportable depuis qu’elle était venue vivre en Angleterre. Elle l’aimait beaucoup ce pays, avant. Aussi loin qu’elle s’en souvienne, elle y avait passé chacun de ses Noëls. Elle y retournait une deuxième fois dans l’année, en mai, pour l’anniversaire de Victoire. Non pas pour la commémoration d’une guerre dont elle ignorait tout, pour l’anniversaire de sa soeur. Même si sa famille passait ce jour à Poudlard, à pleurer un oncle qu’elle ne connaissait pas. Son père avait toujours été très clair là-dessus : « le 2 mai, c’est le jour de notre Victoire ». Il avait été très clair avec Victoire, pas avec elle. Elle, il ne lui parlait pas beaucoup.
« Et donc, si on doit resituer l’époque où la musique est devenue plus forte, ça serait en mai ? Il y a un peu plus de quatre mois, donc. »
Merci, Captain Obvious. Comment sa mère avait-elle pu penser que cette vieille dame pouvait faire taire le bruit qui l’empêchait de dormir et de se concentrer.
« Ta sœur, son nom, c’est en rapport avec la Commémoration aux morts ? »
Dominique acquiesça, répétant la même histoire qu’elle avait raconté à ses cousins anglais, des années auparavant. « Victoire doit son nom à la fin de la guerre, moi, aux vacances de mes parents en Dominique antillaise et Louis… Louis, c’est leur petit roi. » Et James avait rit : « alors, toi, t’es leur soleil. » Il a ce don, James, de dire les choses de la manière la plus simple qui soit.
« Donc, Victoire vit en Cornouailles avec ton père, quant à toi et Louis, avec votre mère, en France. Vos parents sont séparés ? »
Dominique hocha la tête, dans l’incapacité de dire quoi que ce soit. Les boucles musicales s’intensifiaient, tapant contre ses tempes comme des Cognards détraqués. Elles s’accompagnaient de quelques images, floues, des souvenirs oubliés, mis de côtés volontairement. La cuisine au Terrier, un dessin de gnome, son père dehors. Le soleil qui lui brûle les yeux. Un disque rayé qui écorche ses oreilles d’enfant impatiente et qui répète les cinq mêmes notes.
« Mais si toi, ton frère et ta mère êtes revenus vivre en Angleterre, c’est parce que tes parents se revoient de nouveau ? Excuse-moi, je ne veux pas être indiscrète, mais il me semblait que c'était le cas quand ta mère est venue prendre rendez-vous. Si ce n'est... »
La voix de Mrs Watson se noya dans les notes, de plus en plus fortes, douloureuses. Dominique serra les paumes contre ses oreilles, ignorant la migraine. Les images oubliées défilaient, en désordre, dans sa tête. Au bout de quelques boucles, le souvenirs lui revint en mémoire, obligeant Mrs Watson et son cabinet à disparaître.
C’est une belle journée de printemps, le début du mois de mai est plus doux en Angleterre qu’en France, cette année. Le soleil s’invite dans la cuisine par la fenêtre, il baigne le gnome qu’elle vient de dessiner dans une lueur étrange. Etrange, surtout parce qu’il y a ce morceau de musique qui sort du tourne-disque, qui boucle, qui l’agace. Elle se demande pourquoi les grands continuent d’y mettre des disques, dans cette vieille machine. Elle soupire, même à cinq ans, ça irrite. Alors, elle va chercher son père pour lui dire que le disque est rayé. Il est dans le jardin, avec sa grand-mère, ils ont l’air sérieux. Plus que d’habitude.
« Je suis certain que Fleur n'est pas sérieuse, elle ne quitterait jamais, laisse lui juste du temps. »
Son père soupire, puis fait non de la tête.
« Non, c’est fini. Depuis la naissance de Dominique… Ça ne va plus entre nous. »
Elle a envie de pleurer, Dominique. Elle couvre ses oreilles de ses mains, elle ne veut plus rien entendre, surtout l’horrible morceau rayé. Elle court se cacher parce que James et Lucy descendent et qu’elle ne veut pas qu’ils la voient comme ça.
« Dominique ? Tu m’entends ? »
Mrs Watson s’est penchée au dessus d’elle, l’air inquiet.
« Ça va ? »
Dominique hocha la tête ; la musique s’était atténuée, un peu.
« Ce n’est pas de ma faute. »
La vieille dame vint s’asseoir à côté d’elle sur le divan et posa sa main sur son épaule. Les boucles de notes infernales semblaient se reposer en attendant la prochaine attaque.
« Je sais, Sweetie. Ce n’est de la faute de personne, surtout pas de la tienne. »
Le regard de Mrs Watson se posa, une fois de plus, sur les vinyles, sur l’étagère. Elle laissa cinq bonnes minutes à Dominique pour se calmer puis demanda :
« Tu accepterais de revenir pour quelques séances ? Je suis sûre que je pourrais faire taire cette horrible musique. »
Ça fait plus de trois mois que j’ai rien posté. C’est temps-ci, je commence beaucoup de textes et puis au bout de quelque lignes, au mieux quelque paragraphes, plus rien. Le vide qui fruste et donne envie de jeter son ordi contre le mur. Alors quand j’ai pu finir ce texte, même s’il est court et un peu nul, je me suis sentie revivre (non, je n’exagère pas du tout…). C’est Dominique, c’est de la musique. Pour ça on remercie Yume et son fabuleux concours. Bonne lecture !
Voilà. Je vous conseille d’allez lire les autres textes de ce concours, parce que la musique c’est quand même la plus jolie chose du monde. [mode hippie OFF]