5 juillet 1999 – La Chaumière aux Coquillages.
Un an. Deux mois. Trois jours. Quatre heures. Cinq minutes. Six Secondes.
Des traces de pas dans le sable. Les épaules voûtées par la tristesse, il avance vers la mer sans grande conviction. Ses cheveux de feu au vent, il regarde au loin le soleil qui, doucement, pointe le bout de son nez. Les rayons chauds de l'astre touchent un à un les joues délicates et pleines de taches de rousseurs du jeune homme.
Cela fait très peu de temps que les larmes ont cessé de couler à flots. Il lui arrive encore la nuit de pleurer sa moitié, mais moins qu'avant. La moitié qu'on lui a enlevé il y a un peu plus d'un an.
Il s’assoit face à la mer et au soleil, et enfonce ses pieds dans le sable encore froid. L'étendue d'eau est très calme. On entend juste quelques mouettes et oiseaux matinaux qui volent le long de la côte. C'est pour ça que tous les jours à l'aube, il aime venir sur cette plage à côté de la Chaumière aux Coquillages. Il y reste une heure à ressasser le passé, à penser au présent et à réfléchir à son futur. Il parle également avec son frère, lui parlant de diverses choses. Bill le trouve là tous les matins, en plein milieu de la plage, mais le laisse tranquille, respectant l'intimité de son frère. L'heure venue, George rejoint son grand frère pour se rendre au Chemin de Traverse, où le vacarme est incessant.
Partout où il va, le jeune Weasley a toujours l'impression que son jumeau est à côté de lui, comme s'il était toujours vivant. Parfois au magasin, il se retourne en voyant des cheveux roux, mais ce n'est que Ron qui parle à un client, ou il entend son rire quand il fait une blague qui n'est pas marrante. Il se dit que c'est un client pour ne pas devenir fou, et il a sûrement raison, beaucoup de gens rigolent dans leur magasin de farces et attrapes. Leur magasin. Pour George ça sera toujours leur magasin.
Quand il vient ici, il est tout seul. Mais il y a toujours cette présence. Il s'imagine Fred, assis à côté de lui. Il ne peut pas le toucher, mais le savoir ici le réconforte : il sait qu'il peut parler, quelqu'un est là pour l'écouter.
***
Et oui Georgie, je suis là.
À chaque instant je suis là et je t'écoute. Il n'y a pas qu'ici que tu me parles. Tu me parles quelquefois à voix haute. Tu me demandes mon avis sur un produit que Ron vient d'inventer. Je te réponds. Tu ne m'entends pas, et fais tes propres choix en pensant à ce que moi j'aurais choisi. Et tu fais les bons choix, me rendant très fier.
Maman et Papa essaient de m'oublier, même si ça leur est impossible. Dès qu'ils te voient, tu leur rappelle que je suis parti, et que je ne reviendrais pas. Ils essaient de sourire, mais c'est une chose qui leur est difficile... Le temps viendra où ils réussiront à faire la paix avec l'idée de ma mort.
Toi aussi tu as du mal à me laisser partir. En même temps nous étions toujours fourrés ensemble. Nous sommes connectés, et ça pour l'éternité. N'oublies jamais ça Georges.
Quand tu dors, je dors. Quand tu pleures, je tente de ne pas pleurer car il faut bien que l'un de nous réconforte l'autre. Mais que c'est dur ! J'aimerais pouvoir te dire que c'est inutile de verser autant de larmes, et que je serais là pour toi à jamais.
La mort nous a séparé. Je suis de l'autre côté, mais je te vois. Tandis que toi, tu passes devant moi sans me voir. J'ai beau grimacer, te raconter des âneries auxquelles tu aurais ri, tu demeures sourd à mes propos, stoïque...
Parfois tu souris, et je suis alors le plus heureux des morts.
C'est quand Angelina est là que tu souris le plus. Avec toutes les anecdotes que vous échangez, vous parvenez à vous accrocher l'un à l'autre. Je sais que tu l'aimes. Ce n'est pas à cause de moi que tu t'es rapproché d'elle – comme le pensent les autres, qui voient d'un mauvais œil votre relation. Ça te tourmente et tu te demandes si c'est la bonne chose à faire. Tu ne peux pas m'entendre, mais j'aimerais tant te dire de foncer, d'aller la voir et de l'embrasser ! Promis, je ne regarderais pas !
D'ailleurs... On peut dire qu'Angelina elle a des bons goûts... Toi, moi, que de perfection !
Je viens de te faire un clin d’œil, et j'en rigole tout seul, me rappelant encore un fois que tu es aveugle à tout ce que je fais. C'est stupide hein ? Même si on a fait bien pire, avec toutes nos bêtises ! Toi aussi tu parles tout seul en même temps... Tu ris de tes propres paroles, du fait que tu parles dans le vide et que tu trouves ça complètement débile. Mais j'aime t'entendre me raconter les derniers potins du magasin que tu tiens avec notre petit Ronald chéri. Je n'aurais jamais pensé le voir en vendeur aussi performant. Comme quoi la vie nous réserve bien des surprises !
Et voilà... Tu te lèves pour partir. Tu ne me proposes toujours pas ta main pour que je me relève... Tant pis, je me lève tout seul, comme un grand. Tout en essuyant le sable qu'il y a sur tes mains, tu regardes une dernière fois le soleil. Les rayons illuminent ton visage marqué par le chagrin et font ressortir tes yeux... mes yeux... nos yeux...
« Tes yeux sont vraiment magnifiques... »
Je me rappelle de cette phrase que tu avais l'habitude de me dire quand nous étions gosses. Elle faisait rire toute la famille, ce qui d'ailleurs, nous encourageait à continuer. Et voilà que je rigole encore tout seul.
Nos fous rires me manquent... Et surtout faire rire les autres : notre spécialité.
Mais l'on n'y peut rien. Ni toi, ni moi.
Nous étions deux corps, mais nous étions une seule et même entité. Désormais, tu te crois seul, pensant que tu n'es plus entier, qu'une part de ton âme s'est évanouie. Tu remarqueras un jour que cette petite part que tu cherches est en toi : elle croît lentement, comme une jeune pousse de mandragore. Tel un phénix, ce que tu crois n'être qu'un souvenir de moi, renaîtra, et te rendra heureux. Tu retrouveras enfin la plénitude.
Un, deux, trois, quatre, cinq, six. Tu t'arrêtes. Tu n'aimes pas ce chiffre, qui te rappelle que je ne suis plus là. Le septième enfant des Weasley - le premier à être parti. Sept moins un : six.
Un an, deux mois, trois jours, quatre heures, cinq minutes et six secondes que tu m'as vu pour la dernière fois.