Les années avaient passé, certes. Et maintenant qu’il ne pouvait ignorer les appels au secours des gens, il se devait d’agir, en dépit de leur passé, car c’était son devoir. Il était le seul capable d’en venir à bout avant qu’il ne soit trop tard. Mais, malgré le temps, les différents chemins qu’ils avaient emprunté ; ces deux mois-là, il ne pouvait pas les oublier. Une amitié brisée ne s’oubliait pas facilement, en dépit des leurres, et des conséquences. Oh, il s’était bien évidemment trompé lourdement sur son compte puisqu’à la fin, le résultat était bien là : sa sœur morte, et lui responsable.
Comme les doigts de la main, qu’il pensait qu’ils étaient. Aussi inséparables que si un sortilège les maintenait constamment ensemble. Ils s’entendaient à merveille, comme deux larrons en foire, nourrissant des projets ambitieux mais accessibles… Pour qui en avait l’audace. Pareils en tout points, il avait pensé trouver son égal, son compagnon, son partenaire.
Mais lorsqu’il avait enfin ouvert les yeux sur la vérité, il se rendait compte qu’il avait volontairement ignoré certaines choses. Dans leur quête, il n’avait pas cherché à comprendre tous ces petits détails et ces petites choses qui montraient sa véritable nature. Après tout, avait-il pensé, que valaient ces quelques victimes, ces créatures immondes créées, ces vols, puisqu’ils le faisaient pour le plus grand bien ? Autant se dire à présent qu’il s’était trompé lourdement, lui qui pensait avoir enfin trouvé un véritable ami à la hauteur de ses capacités pour le moins supérieures à la moyenne, il devait se l’avouer.
Leur prétendue amitié, qu’il pensait si indestructible, n’était plus que poussière dans les ténèbres de son immense culpabilité. Il payait jusqu’à présent le prix fort de son ambition téméraire de jeune homme irréfléchi. Changer le monde en asservissant les Moldus, en quête de pouvoir, tout en recherchant des objets mythiques et légendaires ! Qu’il avait été naïf de penser qu’il pouvait réussir quelque chose. Gellert l’avait bel et bien fait marcher, et lorsqu’il s’était enfui lâchement, il avait laissé derrière lui le gout amer de la traitrise après celle de l’amitié. Ces deux mois qu’il avait passé isolé, avec, dans son for intérieur, sa conscience qui lui criait de s’occuper de sa sœur malade et de son frère perturbé mais tellement plus mature que lui. Sa conscience qu’il avait délibérément ignorée dans son improbable projet.
Son amitié s’était brisée, et sa sœur, sa petite sœur dont sa mère s’était tant occupée, pour laquelle son père était en prison, sa petite sœur malade et fragile, était morte. Morte par sa faute, à cause de son incroyable inconscience.
Au lieu de prendre en charge sa seule famille et d’assumer sa responsabilité d’ainé, il s’était laissé emporter dans les songes acidulés d’un quasi-étranger ! Et les regrets inutiles et les remords venaient lui faire prendre conscience, mais bien trop tard, des conséquences de ses actes.
Il se souvenait le regard effaré de Gellert à la vue du corps sans vie d’Ariana. Et de son départ précipité à peine quelques heures plus tard. Puis du petit message qu’il avait retrouvé dans sa chambre, plus tard dans la nuit.
« Désolé, mais c’est pour le plus grand bien que je m’en vais. »
Il se souvenait encore la déception qu’il avait sentie en lisant le petit morceau de parchemin, et de la peur qui lui tordait le ventre à la pensée de Gellert et de ses idées d’asservissement et de pouvoir. Il avait tout de suite après brulé toutes les lettres, et tous leurs échanges de l’été, afin de ne pas conserver de vestige de sa honte.
Puis les préparatifs de l’enterrement de sa pauvre sœur avaient commencé. Entre les regards accusateurs et tristes de son frère, son tour du monde reporté, la discrétion qui était de mise et enfin, l’immense remord qui ne faisait que commencer à lui peser, il avait passé la pire période de toute son existence. Il repensait encore aux nuits blanches tourmentantes, et aux larmes coulées. Il revoyait le cercueil de sa petite sœur qu’on recouvrait de terre devant un comité réduit, puis le cri de son frère hurlant « C’est de ta faute ! » et le rude coup de poing qu’il s’était laissé prendre. Il le méritait, de toute façon. Il n’avait pas pris compte des murmures outragés des rares présents, et était simplement retourné chez lui, ravagé.
Depuis ce jour-là, sa relation avec son petit frère, le seul membre restant de sa famille décimée, s’était détériorée de jour en jour.
Des regrets il en avait. Tout avait commencé si bien. Il avait pensé trouver son compagnon dans la vie, et ses projets lui avaient semblé si intéressants ! Ils se voyaient tous les deux, jeunes maitres, ambitieux et avides de pouvoir, sauver le monde sorcier de son exil forcé. Mais Gellert l’avait trahi, et la réalité était finalement revenue lui ouvrir les yeux, bien trop tard.
Et à présent, son ancien ami décimait les gens, faisait régner la terreur, « pour le plus grand bien ». Albus savait, il savait, qu’il était le seul à pourvoir en venir à bout car, depuis que Grindelwald était devenu possesseur du Bâton de la Mort, l’abattre était presque impossible. Mais les années avaient passé sans qu’il puisse s’y résoudre, car sans doute un relent d’amitié demeurait encore dans son cœur. Mais c’était son devoir. Il se devait, pour tout le monde sorcier, lui qui avait reçu la leçon de ne jamais chercher le pouvoir, il se devait de venir à bout de Gellert Grindelwald.
Et il le ferait.
Pour le plus grand bien.