Comme chaque deuxième nuit de mai, George ne dormait pas. Comme chaque année il revivait à l'infini tous ses souvenirs d'enfance, d'adolescence, tout ceux qui contenaient Fred. Toutes les personnes qui connaissaient George étaient impressionnés par sa mémoire, à 40 ans il avait gardé des souvenirs intacts, de très vieux souvenirs. A l'écouter, il n'avait vécu que durant 20 ans, car les seuls moments de sa vie qu'il racontait portaient sur ses premières années.
-Tu ne dors pas ? demanda Angelina, interrompant ses pensées
-Non, répondit-il simplement, d'ailleurs j'ai quelquechose à faire.
-Mais chéri il est une heure du matin ! tenta-t-elle de le raisonner
George ne répondit pas, il enfila le costume qu'il portait à l'enterrement de son frère, celui qu'Angelina avait voulu éliminer, pour qu'il arrête d'y penser, mais n'y était pas parvenue car George l'avait soigneusement protégé. Il enleva les fleurs dans un vase de la chambre, les métamorphosa en un magnifique bouquet de myosotis, son message pour son frère, le "je ne t'oublie pas" de chaque année. Il descendit les escaliers et quitta la maison, seul. Une fois Angelina avait voulu l'accompagner et il lui avait dit "je me sentirais toujours aussi seul", elle avait essayé de se dire que c'était normal, un jumeau ce n'est pas rien, mais était quand même restée blessée. Il avança dans la nuit noire quelques minutes avant d'atteindre son but : le cimetière, près duquel il avait tenu à emménager. Il entra et marcha ce chemin qu'il parcourait si souvent, jusqu'à la tombe de son frère. Une photo le montra, souriant. George posa les fleurs et s'assit sur le sol criblé de cailloux pointus, mais George ne les sentait pas, la douleur morale imposée à son coeur dépassait toutes les autres, bien qu'il sente sa cicatrice lui faire mal, celle qui remplaçait son oreille et qui lui arrachait le visage dès qu'il était proche de la dépouille d'une des victimes de la bataille finale. George resta bien deux heures devant la tombe, tiraillé entre les douleurs physiques et mentales, puis il repartit vers sa maison, le visage trempé par les larmes, il ouvrit la bouteille de rhum et s'y attaqua jusqu'à ce que l'alcool le fasse s'écrouler sur la table de la cuisine.
C'est Angelina qui le trouva là le lendemain matin, habituée à ce genre de résultats, elle coucha George dans leur lit avant de retirer le sortilège qui bloquait les enfants dans leurs chambres, précaution qu'elle prenait deux fois par an : pour l'anniversaire de leur père et l'anniversaire de la mort de Fred, deux dates auxquelles George buvait souvent à outrance, pour oublier disait-il, bien que ce soit la dernière chose dont il ait envie, oublier Fred. Chaque fois Angelina rangeait les alcools et disait aux enfants que leur père était malade. Elle était toujours touchée par leurs réactions et la façon dont ils lui demandaient encore et encore si il était assez éveillé pour voir leurs cadeaux, et souvent ils ui offraient le lendemain ou le surlendemain, voire plus tard car il avait tendance à rester à la boutique le plus longtemps possible à ces dates et souvent les enfants étaient déjà couchés quand il rentrait enfin. Ce jour là, il resta inconscient jusque 13 heures puis il alla voir sa mère, afin qu'ils aillent voir Fred ensemble et il demanderait encore et encore des anecdotes de ses plus jeunes années, parfois elle lui prêtait un souvenir et avec une pensine il plongeait dans ces beaux moments.
-Bonjour George, bien dormi ? lui dit machinalement sa mère, connaissant la réponse
-Pas vraiment, où est papa ? répondit il avec sa voix éloignée
-Dans le jardin, il y a de plus en plus de gnomes et plus d'enfants pour les éliminer
-Si, moi
Il sortit et massacra les bestioles, c'était sa façon à lui de passer sa rage. Son père en eut presque peur et le laissa faire seul. La petite famille partit ensuite voir la tombe, dans un rituel annuel bien établi.