« 19 juillet 2022
Chère Effy,
Je t’avoue avoir été un peu étonnée par ta dernière lettre : tu n’as plus l’intention de retrouver tes parents ? Excuse-moi mais j’ai l’impression que tu ne m’as pas tout dit : il s’est passé quelque chose de grave ?
Tu sais, tu devrais venir à la maison un de ces jours. Mes parents seraient absolument ravis de t’accueillir, surtout mon père. Il n’arrête pas de se demander pourquoi Merlin je ne traîne qu’avec des garçons (je suis sûre que ça lui ferait plaisir d’enfin voir une fille, il est tellement protecteur quand il s’y met). Heureusement, Maman prend toujours ma défense en lui rappelant Hermione et il ne trouve jamais rien à y redire.
Sinon, à propos de cette histoire entre Hailey et Teresa… Je trouve que ça ressemble vraiment à un bon roman policier. Peut-être as-tu l’impression que vous n’y parviendrez jamais, mais m’est d’avis que tu es plus proche de la vérité que tu ne le penses. Si le numéro de Teresa n’était pas directement indiqué, c’est certainement parce que la personne qui t’a amené à l’orphelinat a cherché à te protéger. De quoi, je ne le sais pas encore. Dis-toi seulement que ce numéro t’aurait certes facilité la vie, mais qu’il aurait également pu guider les personnes cherchant à te retrouver. En fait, peut-être même que…
Effy, il faudrait vraiment que tu viennes chez moi que l’on puisse parler de tout ça, je crois vraiment avoir une idée.
En t’attendant avec impatience,
Brooke »
Effy devait bien admettre avoir été plus qu’intriguée par la lettre de Brooke, d’autant que la jeune fille était capable d’idées très judicieuses. Elle excellait en résolutions d’énigmes, ce qui avait longtemps étonné Effy dont l’esprit était pourtant bien plus logique. Brooke était avant tout intuitive : elle se laissait guider par ses sentiments mais, pour une raison obscure, cela fonctionnait souvent bien mieux que la froide logique d’Effy.
Les bras plus tendus qu'à l'ordinaire, Effy finit toutefois par glisser la lettre parmi toutes celles accumulées depuis le début de l'été et de ne plus y faire attention. Aujourd'hui était un jour important : dans une heure à peine, elle se trouverait au Terrier entourée de tous les membres de la famille proche des Weasley. Autrement dit, la famille qui se proposait de l'accueillir en son sein. Elle ne pouvait décemment pas se permettre de songer à quoi que ce soit d'autre, pas alors qu’enfin, la chance de sa vie se présentait à elle.
Nerveusement, elle se contempla dans le miroir en tirant un peu sur sa robe pour la réajuster. C'était Rose qui lui avait prêté ces vêtements pour l'occasion, en insistant bien sur le fait que cela embellissait Effy et qu'elle devrait parfois songer à davantage se mettre en avant. Elle ne cessait en effet de reprocher à son amie de porter des habits trop amples ne mettant pas en valeur ce qu'elle jugeait être une fine silhouette. Effy n'avait pas riposté, un débat avec Rose sur un tel sujet n'étant absolument pas ce dont elle avait besoin. Elle ne s'était jamais sentie jolie et ne souhaitait pas épiloguer à ce propos. Elle savait d'ailleurs que, peu importe les compliments que lui adresseraient Rose, elle ne pourrait s'empêcher de se trouver maigre plutôt que fine et de vouloir à tout prix le dissimuler.
Ce fut donc avec le rouge aux joues qu'Effy descendit lentement les escaliers pour retrouver Hugo dans le salon. Rose étant partie en avance avec son père aider ses grands-parents à préparer le Terrier -ce qui se faisait à tour de rôle d'après ce qu'Effy avait compris-, la jeune fille avait pris son courage à deux mains et demandé à Hugo s'il accepterait de lui faire réviser les prénoms de ses proches avant qu'ils ne se rendent à leur tour au déjeuner.
- Réviser ? Ce n'est pas un examen, tu sais, tu peux te détendre ! avait-il répondu en riant.
Face à l'air tout à fait sérieux d'Effy, il s'était toutefois empressé d'ajouter qu'il le ferait si elle y tenait, mais que personne ne lui en tiendrait rigueur d'oublier un prénom. De toute façon, les réunions familiales étaient souvent bien trop animées pour que quiconque ne s'attarde sur un détail si anodin.
- Ce ne serait pas une robe de Rose, ça ? s'exclama Hugo lorsque Effy fut finalement arrivée à sa hauteur.
Déjà particulièrement gênée, la jeune fille rougit de plus belle et entreprit une nouvelle fois de tirer sur le délicat tissu qui la mettait bien trop mal à l'aise. Sa longueur ne la dérangeait pas, il lui était arrivé de porter des vêtements bien plus courts encore, mais elle lui collait à la peau et cela, elle n’y était pas le moins du monde habituée. Elle s'échinait donc à tirer dessus au niveau de la taille où une ceinture l'étriquait plus encore dans l'espoir de bouffer un peu l'ensemble et de ne pas ressembler à une malade, ce qui lui paraissait être peine perdue.
- Tu devrais arrêter de te tortiller, elle te va très bien cette robe, assura Hugo.
Alors qu'Effy finissait par abdiquer et s'installer à ses côtés sans pour autant croire à un seul traître mot de sa phrase, il lui glissa à l'oreille :
- Tu sais, Victoire est encore plus mince que toi donc ne t'en fais pas, c'est auprès d'elle que Grandma va insister pour qu'elle se resserve de chaque plat. Même s'il ne te serait pas inutile de te préparer à cette éventualité, toi aussi.
Pour la première fois depuis le début de la matinée, Effy esquissa un timide sourire et espéra qu'Hugo comprendrait à travers son regard à quel point elle lui était reconnaissante. Elle s'amusait de constater à quel point il se comportait comme un grand frère envers elle. Sa relation avec Rose était différente, même s'ils rattrapaient mutuellement leurs bêtises respectives. Rose était celle qui se permettait de lui ébouriffer les cheveux et de le qualifier de petit frère sur un ton cependant trop attendri pour qu'il ose répliquer. Il avait avec Effy une opportunité de se comporter comme le plus âgé et la jeune fille le laissait volontiers faire : elle en avait toujours rêvé, d'avoir ainsi quelqu'un sur lequel se reposer.
Mais même dans ses rêves les plus fous, jamais elle ne s'était imaginé que ce quelqu'un serait aussi génial qu'Hugo.
- Donc, je te fais réviser ? lança Hugo en enjoignant Effy à s'installer à ses côtés.
- Je me suis rendue compte que ce n'était peut-être pas la peine, en fait.
- Ça ne l'est pas. Mais tu as des questions quand même, j'imagine ?
Effy en avait effectivement. Elle s'était entraînée à maîtriser les noms de tous les cousins ainsi que de leurs parents et pensait être à peu près au point là-dessus. Elle s'était ensuite amusée à parcourir le reste de l'arbre généalogique, qui s'étendait en effet sur des pages et des pages tant les membres de cette famille étaient nombreux.
Deux cas l'avaient particulièrement intriguée.
- Lorgan Ingulphe Prewett, dit alors Effy en montrant à Hugo l'endroit correspondant sur ses parchemins. Il n'y a qu'un gros point d'interrogation autour de lui, tu sais pourquoi ?
- C'est un Cracmol. Je sais que Grandma ne s'entend pas du tout avec lui.
- Après tout ce que tu m’as raconté sur ta grand-mère, j’ai du mal à l’imaginer rejeter qui que ce soit pour cette raison.
- Moi non plus, c'est pour ça que je pense qu'il y a autre chose. Mais tu sais, tu peux être aussi tolérant que tu le veux, certaines situations sont tout de même difficiles à gérer. Être le seul enfant sans pouvoirs au milieu d'une ribambelle de petits sorciers, ça doit créer des tensions. Je sais que mes parents auraient continué à m'aimer si j'avais été un Cracmol, mais j'aurais été tellement jaloux de mes cousins... qui sait ce que cela aurait pu donner.
- Et vous ne savez pas du tout ce qu'il est devenu ?
- Il a coupé les ponts avec la famille pour se réfugier dans le monde Moldu et nous n'avons jamais eu de nouvelles de lui. On ne sait pas s'il a eu des enfants, ni même s'il est encore vivant. Avant qu'il ne parte, il avait une relation avec une certaine Maelys mais qui sait ce qu'il est advenu d'eux.
Le regard d’Hugo s'était perdu dans le vide comme si le jeune homme était en proie à une intense réflexion. Il se rappelait bien avoir demandé des précisions à Molly, lorsque ce devoir lui avait été confié. Le sujet lui était immédiatement apparu comme sensible et il s'était longtemps demandé quelle avait bien pu être la cause de la mésentente entre son cousin et elle avant d'en discuter avec Lily. D'après elle, sa grand-mère paternelle dont elle portait le nom s'était elle aussi brouillée avec sa sœur à cause de la magie. Hugo avait alors simplement songé que de telles situations n'étaient guère souhaitables et avait prié de toutes ses forces pour recevoir sa lettre de Poudlard comme sa sœur et ses cousins avant lui. Et elle était arrivée, aussi avait-il cessé de se questionner à propos de ce Lorgan pour simplement vivre sa vie. Il savait bien que d'aucun l'aurait considéré comme un tantinet égocentrique de réagir ainsi, mais il n'était pas homme à s'appesantir sur ce qui n'allait pas. Hugo aimait la vie, aimait en profiter, aimait être joyeux et préférait se concentrer sur les belles choses qui composaient sa vie que sur les parts d'obscurité.
- Et elle... Leonore Mildred Weasley, énonça Effy. Elle a aussi un énorme point d'interrogation.
- Oh, elle. Surtout, n'en parle pas à Grandpa, c'est bien le seul truc qui le mette hors de lui. C'était sa cousine, là aussi. Elle s'est entichée de Lucius Malefoy lorsqu'elle était à Poudlard...
- Lucius Malefoy ? s'exclama Effy à voix basse. Je croyais que les Weasley et les Malefoy se détestaient, surtout à cette époque.
- C'était le cas, et lorsque Leonore s'est finalement déclarée, elle s'est entendue répondre qu'elle n'était qu'une traître à son sang. Cela l'a rendue furieuse et l'année d'après, elle est partie vivre aux Etats-Unis sans plus jamais contacter sa famille. On sait juste qu'elle était tombée amoureuse d'un Sang-pur, là-bas... Et comme on ne l'a jamais revue, on imagine qu'elle a dû finir par trouver ce qu'elle recherchait.
- Vous avez des cas intéressants dans votre arbre généalogique, dit Effy avec un sourire.
- Toutes les familles en ont, de ces histoires que l'on ressort à chaque repas. Mon oncle Bilius qui est mort après avoir aperçu un Sinistros, on me l'a servi à toutes les sauces. Bon, Leonore et Lorgan, il ne faut pas trop en parler à mes grands-parents, mais on aimait bien faire des suppositions sur eux avec mes cousins quand on était plus petits.
- Tu crois que si je retrouve mes parents, j'apprendrai que j'ai ce genre de cadavres dans mes placards familiaux, moi aussi ?
- Je pense, oui. Tu auras intérêt à me raconter en tout cas, répondit Hugo avec un clin d'œil.
Effy acquiesça, ne sachant guère où elle en était. Sa décision quant à ses parents n'était absolument pas fixée et elle ne cessait de changer d'avis. Ces histoires à propos de Lorgan Prewett et de Leonore Weasley l'avaient amusée et elle devait admettre qu'elle aussi aurait aimé pouvoir raconter à Hugo de telles anecdotes sur ses ancêtres. D'un autre côté, elle songeait qu'elle en avait déjà une belle, d'anecdote à narrer.
Mes parents m'ont abandonnée.
Elle n'était pas certaine d'avoir envie d'en savoir plus. Ou du moins, d'en avoir besoin. Elle aurait toujours envie de savoir d'où elle venait, bien sûr, mais la dernière chose dont elle avait besoin était bien de découvrir de sombres histoires de famille derrière son abandon. Et si ses parents étaient morts ? Et si ses parents avaient été assassinés, même ? Et si elle n'était qu'une enfant illégitime ? Et si, comme Lorgan et Leonore, ses parents avaient été rejeté par leur famille et l'avaient alors laissée seule ? Quelque ce soit la raison de son abandon, Effy ne voyait guère comment celle-ci pourrait ne pas être déprimante. A la rigueur, elle gèrerait moins difficilement un abandon temporaire, des parents l'ayant déposée à l'orphelinat parce que trop jeunes, une mère tombée enceinte avant sa majorité et issue d'une famille ne l'ayant pas appréciée. Mais personne n'était jamais venu la récupérer. Personne ne s'était même jamais intéressé à ce qu'elle était devenue.
- Tu es sûre que tout va bien, Effy ?
- Parfaitement, affirma la dénommée avec ce qu’elle espérait être la meilleure volonté du monde.
- C’est plutôt une question rhétorique, en fait. Rose m’a dit que quelque chose n’allait pas.
- Et bien, même si cela peut paraître surprenant, il arrive que Rose se trompe.
La voix d’Effy était presque assurée, chose assez rare pour la jeune fille qui d’ordinaire ne mentait que très mal. Pour cette raison, Hugo crut pendant un bref instant qu’elle lui disait la vérité et que sa sœur se faisait effectivement des idées.
- Vous avez eu des nouvelles de Hailey Rosenbach, en fait ? chercha alors à s’assurer Hugo.
Sans se rendre compte de quoi que ce soit, Effy répondit spontanément :
- Je ne crois pas.
Hugo eût alors la confirmation que c’était bien Rose, qui avait raison. Elle s’était d’abord étonnée qu’Effy ne paraisse pas porter plus d’intérêt que cela à l’avancement de leur enquête. Puis, de fil en aiguille, elle avait remarqué que son amie ne parlait plus du tout de son passé, n’y faisait pas la moindre allusion, ne formulait plus d’hypothèse quant à cette mystérieuse Teresa et, par-dessus tout, n’affichait plus ce regard lourdement mélancolique qui était d’ordinaire le sien. Au contraire, même, elle paraissait être enjouée, heureuse même, d’une façon qui aurait dû réjouir Rose si elle ne la connaissait pas aussi bien. Car en vérité, Effy rayonnait bien trop pour que cela semble naturel. Aussi Rose avait-elle l’impression que, davantage que ses proches, c’était elle-même qu’elle cherchait à convaincre que tout était bien.
Tout était pourtant loin d’aller bien. Hailey ne les rappelait pas, James ne donnait plus non plus de nouvelles et leur enquête était au point mort. En temps normal, Effy aurait donc angoissé, puis se serait inquiétée pour James comme elle le faisait depuis le début des vacances avant de finalement lâcher d’autres bribes de son histoire à Rose. C’était en tout cas ainsi que les choses fonctionnaient depuis le début de l’été. Même si c’était évasivement, même si c’était parfois involontairement, Effy commençait à se confier sur son passé. Tout comme elle commençait à considérer James autrement que comme un abruti et à assumer le fait que son statut d’orpheline lui pesait terriblement.
Quelque chose n’était pas normale.
- Prêts à partir ? intervint alors Hermione.
Parfaitement apprêtée, d'une façon qui étonna même Effy qui, depuis qu'elle habitait ici, s'était davantage habituée à voir Hermione habillée de façon très décontractée lorsqu'elle n'était pas au travail, la mère de Rose et Hugo tendit ses deux mains dans leur direction, signe qu'ils allaient privilégier le Transplanage à la cheminée.
- Tu n'as pas envie de mettre des cendres sur ta robe, c'est ça ? demanda Hugo avec amusement.
- Tu me connais trop bien, mon fils, répondit Hermione sur le même ton.
Elle lança ensuite un regard tendre à Effy et, l'instant d'après, plus personne n'occupait la maison à l'exception de Domino, confortablement lové dans l'un des fauteuils du salon.
(…)
La dernière fois qu'Effy était venue au Terrier remontait à plus d'un an déjà et le temps n'avait malheureusement pas été au beau. Même si cet été ne s'annonçait pour l'heure guère extraordinaire en terme de températures, le soleil était au rendez-vous et les Weasley s'étaient même risqués à dresser la table dans le jardin. Lorsqu'elle compta rapidement le nombre de personnes déjà présentes tout en songeant à toutes celles qui devaient encore arriver, Effy se dit que beau temps ou pas, tout ce monde ne devait certainement pas tenir dans le Terrier –qui paraissait bien minuscule avec tout ce monde regroupé à ses côtés.
- Ah, Grandpa n'a pas été obligé d'agrandir la cuisine pour une fois, constata Hugo une fois le désappointement lié au Transplanage passé.
- Vous voulez dire que vous utilisez la magie, d'ordinaire, pour vous réunir ?
- Comment crois-tu que tout le monde tienne dans la cuisine ?
L'évidence avec laquelle Hugo lui avait répondu amusa Effy qui en oublia même pour un temps son angoisse. Rapidement, elle fut toutefois forcée de passer outre sa timidité lorsque pas moins de six personnes lui tombèrent dessus d'un coup.
- Bonjour Hermione, bonjour Hugo, lança une magnifique femme aux cheveux blonds qu'Effy identifia comme étant Fleur. Et j'imagine que tu es Effy ?
- Oui Madame, répondit-elle sans trop savoir où se mettre.
- Tu peux l'appeler Fleur, tout le monde fait comme ça, s'empressa de préciser l'une des deux filles entourant Fleur.
Effy prit note de la remarque mais ne put s'empêcher de trouver fort peu aimable le ton sur lequel cette recommandation lui avait été adressée. Quelques échanges supplémentaires de politesse lui apprirent que cette voix un peu froide appartenait à Victoire, l'aînée des enfants de Bill et Fleur. Elle était le portrait craché de sa mère, bien que ses traits paraissent plus durs. Son regard déviait régulièrement vers le fameux Teddy dont Liberty lui avait déjà parlé et pour lequel Effy éprouva immédiatement une grande sympathie en songeant à la similitude de leur histoire.
À leurs côtés se tenait logiquement Dominique, qui elle ressemblait beaucoup plus à son père. Elle avait hérité de sa chevelure rousse mais avait en revanche les yeux bleus de sa mère. Elle était un peu plus grande que Victoire, et surtout plus imposante. Alors que Victoire était si fine qu'elle paraissait pouvoir s'effondrer au moindre coup de vent, Dominique était suffisamment musclée pour que cela se remarque au premier coup d'œil. Effy se souvint alors que la jeune femme avait dirigé le club de duel du temps où elle étudiait encore à Poudlard. Rose lui avait dit une fois qu'elle souhaiterait poursuivre cette voie en devenant une vraie duelliste, ce à quoi elle s'efforçait actuellement de parvenir. Elle s'astreignait pour cela à de drastiques entraînements physiques, en plus des nombreuses heures qu'elle consacrait déjà à la pratique des sortilèges. Effy nota mentalement de ne jamais chercher à la contrarier.
Elle n'en eut cependant pas le loisir puisque Dominique s'esquiva avec Victoire avant qu'elle n'ait pu prononcer le moindre mot. Fleur soupira en voyant ses filles disparaître ainsi vers un coin reculé du jardin. Effy, elle, ne manqua pas le léger haussement d’épaules de Teddy, au loin, lui qui avait pourtant soigneusement ignoré les précédents regards de Victoire. Louis, quant à lui, parut se détendre subitement après le départ de ses sœurs.
- Comment vas-tu Effy ? lança-t-il gentiment à l'intention de la jeune fille.
Elle lui répondit avec le sourire qu'elle réservait aux rares personnes de son entourage. Elle n'était pas particulièrement proche de Louis, mais lui l'était d'Albus et Rose aimant travailler avec ce dernier, Effy s'était souvent retrouvée à la bibliothèque en compagnie du cadet des Weasley-Delacour. Elle appréciait grandement le calme et la rêverie de Louis, qui avait le chic pour ne jamais poser la moindre question embarrassante. Il était en outre quelqu'un que le silence ne dérangeait pas, au grand bonheur d'Effy. Se retrouver en compagnie de personnes autres que Georgie, Rose ou Lisa était toujours source d'angoisse pour elle, qui ne savait guère mener une conversation et craignait donc de passer pour une asociale inintéressante. Avec Louis, elle pouvait rester plusieurs heures sans prononcer le moindre mot tout en sachant que lui se satisfaisait tout autant de la situation. En somme, leur caractère taciturne les rapprochait.
- Salut Louis ! s'exclama quelqu'un qu'Effy n'avait pas vu arriver. Effy, je crois que Lily te...
Albus, que Hugo et Effy venaient tout juste de reconnaître, n'eût pas le temps de terminer sa phrase. Une silhouette à la chevelure rousse fondit sur eux avant même qu'ils n'aient pu cligner des yeux.
- Effyyyyyy ! s'écria Lily. Il faut que je te dise, mais d'abord, je dois bien t'expliquer que ce n'est pas de ma faute, hein. N'écoute pas ce que James ou Albus pourraient bien te dire, je sais bien que tous les gens qui n'ont jamais eu de grands frères les idéalisent mais en vérité, ils passent juste leur temps à raconter n'importe quoi. Enfin je ne dis pas ça pour être blessante, hein, précisa la furie en se rappelant soudainement que la famille était un sujet à éviter d'aborder.
- Mais de quoi tu me parles ?
- Tout ça pour te dire, reprit Lily sans oser affronter le regard d'Effy, ce qui commençait à inquiéter cette dernière, tout ça pour te dire que si Ulysse s'est cassé la patte, ce n'est absolument pas de ma...
- Ulysse s'est QUOI ? s'exclama Effy à la grande surprise de toutes les personnes présentes.
D'autres adultes étaient en effet venus saluer Hermione et tous avaient regardé avec intérêt la jeune fille dont ils avaient souvent entendu parler par Rose lors des repas de famille. Sa douceur et sa politesse lui permettait toujours de conquérir sans trop de peine les adultes et tous s'accordaient déjà mentalement sur la gentillesse de cette petite lorsqu'elle lâcha ces mots avec une force qu'ils ne lui soupçonnaient pas.
- Oh non, Ulysse, enchaîna-t-elle alors avec une voix beaucoup plus tremblante. Mais enfin...
- Ton chat va très bien, notre oncle Charlie est venu spécialement pour s'occuper de lui et je te parie qu'il ne se rappelle même pas de ce qu'il lui est arrivé. Sinon, il aurait sans doute cessé de s'approcher du danger public qu'est ma sœur.
Un grand silence fit suite à ces quelques phrases lâchées sur un ton profondément blasé. Effy eût un léger coup au cœur en constatant la mine plus qu'inquiétante de James. Ses traits tirés lui donnaient un air malade que venait renforcer sa pâleur -pâleur qui n'avait pour le coup rien de naturelle. Les adultes présents autour d'eux échangèrent de rapides regards avant de partir, visiblement gênés, vers la table fièrement dressée non loin de l'entrée du Terrier. Au loin, Effy distingua Harry et Ginny, l'air visiblement très ennuyé, mais qui n'avaient apparemment pas l'intention de venir à leur rencontre.
- Ta sœur ? Tu me considères encore en tant que telle ? En fait, non, ce n'est même pas la question. Plus largement, James, considères-tu vraiment ta famille en tant que telle ?
Effy ne savait pas si Lily s'en rendait réellement compte, mais sa question avait apparemment profondément touché James. Sans doute ne l'aurait-elle elle-même pas remarqué plusieurs mois auparavant, mais James n'allait définitivement pas bien. Elle en avait peu à peu acquis la certitude depuis le début des vacances sans que jamais personne ne lui explique vraiment de quoi il en retournait. Pourtant, tous semblaient être au courant. Au loin Molly regardait ses petits-enfants d'un air attristé tandis qu'Arthur posait une main sur l'épaule de Harry. Hugo, d'ordinaire toujours prêt à détendre l'atmosphère au bon moment, s'était empressé de rejoindre deux filles qui devaient être Molly et Lucy et aux côtés desquelles le jeune Fred contemplait la scène avec désolation. Quant aux adultes, aucune de leur piètre tentative pour faire comme s'ils n'avaient rien remarqué ne convainquit Effy d'ordinaire pourtant si crédule.
- J'aurais touché un point sensible, peut-être ? continua alors Lily avec un sourire en coin.
- Lily... tenta alors d'intervenir Effy.
- Ne te mêle pas de ça, Effy ! Surtout pas toi qui sais mieux que personne à quel point mon frère peut être un sale con.
Louis, qui seul était resté aux côtés des frangins et d'Effy, attrapa délicatement le poignet de cette dernière en tentant de lui faire comprendre qu'il valait mieux pour eux se retirer à leur tour, maintenant. Mais Effy ne pouvait s'y résoudre. Elle avait trop fréquenté Lily pour l'imaginer en horrible petite peste. Jamais elle n'agirait de la sorte avec quelqu'un de véritablement mal. Or, c'était ainsi que James était, visiblement très mal en point, même si personne autour d'eux ne semblait le remarquer.
Et Effy ne notait peut-être pas des choses qui sautaient parfois aux yeux, mais elle avait en revanche bien vu la détresse du jeune homme. Elle l'avait vue de nombreuses fois, même.
Ne ressemblait-elle pas à cela lorsqu'elle se contemplait, enfant, dans le seul miroir de la salle de bain de l'orphelinat ?
- Tu sais quoi ? rétorqua James d'une voix rauque derrière laquelle semblaient se dissimuler des sanglots. T'as peut-être raison, Lily. Peut-être que j'ai jamais eu de famille, en fait.
- Mais bien sûr, dis-nous que tout est de notre faute, que si tu es comme ça c'est juste parce que Papa et Maman t'aiment moins. C'est plus facile comme excuse, j'imagine.
- Lily ! reprit Effy avec plus de force cette fois-ci.
- C'est plus facile que d'accepter que le seul putain de responsable, c'est toi James, continua Lily sans tenir compte de la jeune fille à ses côtés.
- FERME-LA ! s'écria alors James, faisant sursauter Louis et Effy.
Sans qu'aucun d'eux ne puisse esquisser le moindre geste, James fit brusquement demi-tour et se dirigea à grands pas vers l'entrée du jardin. Effy crut pendant une seconde qu'il allait réellement s'en aller, disparaître ainsi sous leurs yeux sans que personne ne réagisse. Cela la consterna. Peu importe ce que pouvait avoir fait James, peu importe les secrets dont elle n'était pas au courant, une famille ne laissait pas partir l'un de ses membres ainsi.
Surtout lorsque ce membre n'avait que dix-sept ans et l'air aussi malheureux qu'un condamné.
- James !
Résolue à se lancer à sa poursuite puisque personne d'autre ne se décidait à le faire, Effy ne s'était pas rendu compte que Harry avait finalement réagi. Il courait maintenant après son fils comme le faisait Effy et visiblement, James ne s'y attendait pas plus que cette dernière puisqu'il se retourna subitement.
Effy arriva à sa hauteur en même temps que Harry.
- Où crois-tu aller comme ça ?! s'exclama celui-ci.
Effy grimaça. Elle comprenait quelle frayeur avait bien pu saisir ce père à l'idée de voir son fils aîné disparaître dans la nature, et elle imaginait bien qu'il ne contrôlait plus le moins du monde sa voix, mais James paraissait bien trop peiné pour se rendre compte de tout ça et il comprit seulement ce que le ton de son père pouvait laisser supposer : de la colère.
- Quelque part où les gens m'aimeront pour ce que je suis, répondit-il avec une extrême dureté.
- Enfin James, tu sais très bien que tu te comportes d'une façon exécrable avec Lily et Albus depuis des années. Ne nous dis pas maintenant que c'est parce que nous t'aimerions moins, ce n'est pas ça qui règlera la situation.
- Vous n'avez vraiment rien compris...
Les larmes étaient bien là cette fois. Une première était apparue sous les paupières agitées que James n'avait pas empêché de couler. Un torrent l'avait suivie, un torrent de larmes qui dévalaient ses joues et qu'Effy ne se souvenait pas avoir vu une seule fois.
Alors elle comprit –pas la raison d'une telle tristesse, pas la raison du regard totalement perdu de Harry, non. Elle comprit simplement que James allait réellement partir et qu'aussi énervant avait-il pu être par le passé, il était aujourd'hui quelqu'un d'autre. Quelqu'un qui avait un criant besoin d'aide.
Quelqu'un qu'elle pouvait comprendre mieux que personne.
- James, dit-elle alors en se jetant à son cou. James, moi je tiens à toi. Je veux que tu restes James.
- Non tu ne veux pas. Tu me détestes.
- James non !
Elle ne réalisa même pas que ses propres joues étaient aussi striées de larmes.
- S'il te plaît, reste. Je t'en prie.
- Vous me détestez tous, rétorqua James en se dégageant de l'emprise d'Effy.
- Non James, non ! Et puis, tu ne règleras pas tes problèmes comme ça ! Je le sais, je le sais très bien ! Tu dois...
Mais James ne l'écoutait pas. Toute son attention semblait être obnubilée par son propre père, Harry qui restait bras ballants face à son fils, totalement indécis face à une réaction qu'il ne comprenait apparemment pas. Au loin, Ginny regardait son aîné l'air tout aussi perdu tandis que Lily et Albus, eux, semblaient soudain un peu inquiets, comme s'ils découvraient quelque chose qu'ils n'avaient jamais soupçonné.
- Au revoir, dit alors James.
Puis il tourna sur lui-même et lorsqu'Effy tenta de s'accrocher à lui, elle ne rencontra que de l'air et s'effondra sur le sol.