Cet OS m'est venu en écoutant une version instrumentale de Danny Boy (http://www.youtube.com/watch?v=PyWYYy9_-fc). Narcissa Malfoy n'est pas un personnage que j'affectionne particulièrement, mais l'idée s'est presque imposée d'elle-même en écrivant.
Soudain, dans un mouvement commun, la foule prit place sur les bancs en bois, tandis que le prêtre s’avançait et commençait son office. Les chuchotements se tarirent, et le silence se fit, troublé par le reniflement d’une femme d’une cinquantaine d’années, qui se dissimulait derrière un voile pour cacher ses yeux rouges. Sur son banc au fond de la salle, à droite de l’allée principale, elle serra les poings, luttant contre une envie irrépressible de hurler sa frustration et sa colère, luttant aussi contre les larmes qui menaçaient de la submerger si elle relâchait à peine la tension dans ses muscles affaiblis. Elle sentait que la moindre éraflure pourrait faire tomber son masque de froideur, qu’elle s’était efforcée de conserver des années durant, et que personne ne souhaitait voir se briser. Ils ne comprendraient pas, ne pourraient jamais comprendre ce qu’elle avait enduré depuis qu’elle avait dû faire son choix, ni qu’elle ne l’ait jamais regretté, quelles qu’aient été les conséquences. Tout ce qu’elle avait fait, elle l’avait fait par amour pour sa famille, et elle l’avait haïe au point de la renier quand elle avait tourné le dos aux siens. C’était la seule chose qu’elle regrettait aujourd’hui, la seule chose qu’elle aurait aimé pouvoir changer, et elle ne le réalisait que maintenant. Bien trop tard. Elle se demanda un instant si sa vie aurait été différente, si elle l’avait suivie au lieu de la rejeter comme tous les autres, mais secoua rapidement la tête. Ce qui était fait ne pouvait plus être modifié, et il ne servirait à rien de s’appesantir sur les décisions qu’elle avait prises et le chemin qu’elle avait suivi. Elle avait eu le choix entre l’ombre et la lumière, elle avait choisi celui de la sécurité, non par conviction, mais par amour pour les siens, pour sa famille, pour l’Autre. Si elle avait dû faire à nouveau ce choix, elle doutait fort qu’il eut été différent de celui qu’elle avait fait à l’époque, même après l’horreur, la violence, la honte, la chute inéluctable et presque normale.
Ses pensées se tournèrent vers elle, l’Autre, comme elle l’appelait. Elle se souvint de son admiration pour sa puissance, sa force, ses convictions inébranlables, de sa peur devant sa folie, de sa tristesse teintée de soulagement coupable lorsqu’elle avait appris sa mort. Et puis, elle se souvint de son enfance, de leurs jeux insouciants, loin de la guerre et de la terreur. Elles avaient vécu heureuses, amies, soudées malgré leurs différences, toutes les trois contre le monde. Ce n’était que plus tard que la réalité les avait rattrapées, et qu’elles avaient dû choisir leurs voies, qu’elles s’étaient déchirées. Elle lui en avait voulu, parce qu’elle ne l’avait pas comprise ; elle n’était pas sûre de la comprendre aujourd’hui encore, mais du moins essayait-elle de respecter son choix.
Soudain, l’assistance se leva, la tirant de ses pensées aussi sombres que sa tenue. Les yeux fixés sur le cercueil, elle lui rendit silencieusement un dernier hommage :
« Je ne peux pas te demander de me pardonner, car je ne suis pas désolée. J’espère juste que, de là où tu es, tu comprends les choix que j’ai faits, et que tu les acceptes. Repose en paix, ‘Meda. »
Elle se joignit aux autres personnes qui quittaient l’édifice en chuchotant à voix basse sans les voir, avançant d’un pas mécanique. Elle sursauta lorsqu’elle sentit une main se poser sur son avant-bras. Levant les yeux, elle croisa le regard vert de celui qui l’avait interpellée. Il dit d’une voix basse et rauque : « Je suis désolé pour votre perte. Toutes mes condoléances. Je sais que vous teniez à elle malgré tout ; elle tenait aussi à vous. » Tandis qu’il parlait, elle l’observa attentivement, notant la lassitude dans son regard, mais également la reconnaissance et la sincérité de ses propos. Par-dessus son épaule, elle put apercevoir sa famille qui l’observait d’un air réprobateur, et un jeune homme d’environ 17 ans, qui arborait une curieuse chevelure bleue. Esquissant un sourire, elle reporta son attention sur l’homme qui lui faisait face, et sourit faiblement. Elle hocha la tête, consciente que les mots étaient inutiles et qu’il comprendrait ce qu’elle tentait de lui faire passer à travers son regard. Une larme unique perla à son œil droit, et roula sur sa joue. Un instant durant, ils partagèrent le même mélange indescriptible de peine et d’apaisement résigné. Puis elle tourna les talons, et Narcissa Malfoy s’éloigna en silence, sentant sur elle le regard de ses sœurs défuntes.
J'espère que vous avez aimé, j'ai essayé de mettre les mots sur ce que cette musique m'inspirait. Sentez-vous libre de critiquer, mais je n'en voudrai pas aux lecteurs fantômes, j'en suis moi-même une parfois.