Tu hurles, les yeux révulsés. Grisée par la passion et l’amertume. Pourtant, rien ne changera. Le dénouement sera le même. Aussi impitoyable soit-il. Alors crie. Casse ta voix rauque déjà meurtri par le fiel de tes mots. Et pleuvront les reproches. Et éclatera la tempête.
Tu sais, je n’arrêterais pas. Vois-tu, je suis pleine d’égoïsme. Trop curieuse. Trop avide. J’aimerais comprendre, que tu m’expliques. Comprendre comment toi. Toi l’invincible qui semblait inatteignable a pu entamer cette descente en enfer, dans un silence endeuillé, avec la certitude qu’il n’y aurait pas de lendemain chantant.
On a raconté tant de mensonges. Morceaux épars de ta vie dépouillés de leur essence. De leur sens. Jamais un accent de vérité dans ces diatribes enflammées. Tu étais leur désolation. L’échec qui fissurait leur image de jolie famille sans problèmes. Tu représentais le contre exemple, la déchéance.
Tu restais silencieuse alors qu’ils murmuraient de vagues énumérations sordides sur ton compte. La bouche clause. Le regard méprisant. Tu les dardais de tes yeux livides. Effrayante. Majestueuse dans ton déshonneur. Tu étais la déchue. Rien que ce mot t’écorchait la gorge.
Je n’arrive pas à démêler de cet amas incompréhensible une vérité. Est-elle unique ? Il est impossible de défaire le vrai du faux. D’être neutre. Les avis se chevauchent. Antagonistes.
Je crois que cela t’amuse. Tu te joues de l’ignorance qui me grignote. L’unique à détenir la vérité incontestable. Dans tes mains la clé de ce secret de polichinelle me nargue. Riant, tu observes mes rondes effrénées à la quête de l’indivisible. Jamais tu ne prends au sérieux mes menaces enfantines. Tu te moques alors que les spectres de ton secret me rongent et se collent à moi. Se précipitant pour disloquer chacune de mes certitudes.
Tu murmures que je suis assez forte pour pouvoir les maitriser sans peine. Qu’une menteuse de mon acabit sait jouer la comédie avec suffisamment de contenance. Tu t’attends que je te suive dans tes délires. Qu’importe que ma faiblesse m’empoisonne. Que l’amertume suinte de mon cœur infecté.
Tu ricanes alors que je m’embourbe dans des explications inexplicables. Craquèles mon cœur qui déverse des litres de pus. Comprimes ma gorge de ta main blanchâtre. Tu n’aimes pas la contestation, cela te rends acide. Réaction chimique, tu chuchotes.
Or, pour me libérer j’ai besoin de tes confessions. Aussi sot que cela puisse paraitre. Tu sais que je ne peux lutter contre tes fantômes affamés sans savoir ce que ce secret cache. Dis. Déleste ce fardeau qui t’as couté la santé. Crache le morceau. Qu’importe que tu chamboules mes convictions. Qu’importe que la vision de mon existence en soit confondue.
J’ordonne. J’exige, la vérité sur un plateau en argent. Délivre-la. Je me moque qu’elle soit acre, violente, amère. Je m’occuperais des conséquences bien plus tard. Aujourd’hui je suis irraisonnable. Ivre à l’idée d’effeuiller la vérité.
Tu es la seule à pouvoir écorner l’icône bien lisse de cette famille. La dernière à pouvoir meurtrir de tes mots nos certitudes. Inutile de me vomir une nuée de réclamations. Contente-toi de murmurer. Dénonce l’impensable. Chuchote- moi les véritables raisons de cette chute d’une incroyable violence.
Ne me dis pas qu’il s’agit encore d’une de ces triviales affaires de famille. Je ne te croirais. Vite. Déclame cette vérité pernicieuse qui te colle depuis tes vingt ans. Hurle contre cette force contraire qui t’a fait chuter comme un vulgaire soldat de plomb trop lourd. Disloque mes croyances de tes mots tranchants. Assène le coup de grâce.
Tes yeux blêmes me scrutent. Incapables de déterminer si je mérite de savoir, si je suis assez forte. Or, pas une phrase ne sort de ta bouche. Pas une syllabe ne se détache et vient ricocher contre ton palais. Tu te mords les lèvres et tu réalises, inquiète, que je suis encore trop jeune. Penses que je coulerais trop vite. Bien sur que j’ai peur. Or, c’est seulement ce silence qui me broie.
Candide à la peau blanche et aux os apparents penses-tu réellement que j’abandonnerais ? Naïve enfant incapable de jouer à l’adulte alors que c’était l’heure, parle. Crache le venin qui coule dans tes veines et qui t’empoisonne. Mord-moi. Fais ce qu’il te plait mais dis-moi. Je ne vis plus que pour savoir. Ne me laisse pas dans cette incertitude pénétrante qui m’effraie.
Dans la pénombre de tes silences, sous la courbe de ton souffle hiératique, je t’observe. Ombre grandissante qui glisse sur ton regard diaphane. Déroule une noirceur goudronnée qui s’infiltre en toi.
Tu la sens ? Elle glisse sous le pli de tes muscles affaiblis et rampe jusqu’à ta gorge. Rempart qui empêche les mots de siffler. Serpents qui dansent devant tes yeux translucides. Ivre par le poison qu’ils distillent au son de l’odieux secret. Substance inconnue qui aveugle.
Quel pacte as-tu signé avec le diable pour que les mots ne s’heurtent contre tes dents. Quelles promesses ont-elles glissé leurs lames contre ton cou bleuté ?
Je m’indigne devant ton apathie. Oublie que tu ne peux pas répondre. Qu’il est déjà trop tard. J’étais trop jeune lorsque tu es partie. Enfant qui tentait d’attraper la vérité sans réussir à la saisir. Enfant qui ne comprenait pas l’acidité de leurs mots et l’amertume de leurs regards. Gamine qui ne comprend pas l’absence qui s’enroule sur son cou.
Mais, moi, je ne savais pas.