— La voyance, pour être bien faite, demande qu’on respecte certaines règles que tu ne cesses d’enfreindre, lança froidement Wilda.
Bellatrix se rejeta brusquement en arrière, retomba sur sa chaise et tira une moue contrariée. Wilda Wilkes soupira et retourna une carte de plus. Bellatrix se mit à se balancer de droite à gauche en faisant la moue.
— Voilà ! fit Wilda.
— Alors ?
— Tu veux la vérité ou tu veux entendre des choses qui te feront plaisir ?
— La vérité ne me fera pas plaisir ? répliqua froidement Bellatrix. Dis-la moi quand même.
— La mort, annonça Wilda Wikes sans ambages. La mort dans quelques mois.
— ... Et le Seigneur des Ténèbres ?
— Ça ne fonctionne pas comme ça, et tu le sais bien. Je ne peux pas faire une prédiction pour un absent.
— Tu as vu des choses ?... Des choses que tu n’oses pas dire ? insista Bellatrix, mielleuse et inquiétante.
— Je ne vois pas plus loin, Bellatrix, répondit sèchement Wilda Wlikes. Je n’en sais pas plus que ce que je t’ai dit.
— Et ... tu t’es tirée les cartes pour toi ? Qu’est-ce que tu as vu ?
Wilda Wilkes haussa les épaules.
— Des tirages pour soi-même, c’est toujours très hasardeux.
— Tu vas mourir aussi ? insista Bellatrix radieuse et excitée.
— Oui, je meurs et les enfants aussi, répondit Wilda, toujours aussi froide.
— LES enfants ? LES enfants ?! s’étonna Bellatrix, en affichant un sourire dément. Tu vas en avoir plusieurs ?
— Il faut bien peupler la terre de petits sorciers, n’est-ce pas ? ironisa Wilda.
— Tu sais ce que je pense, Wilda ? ... la grossesse, ça ne te réussit pas. Tu es en train de perdre ton don.
Elle balaya la table d’un revers de manches, envoyant toutes les cartes à terre.
— Moi, mourir ? ! ricana-t-elle. Moi ? Bellatrix Lestrange, mourir ? Je vais viiiiiiiiiiivre !
Wilda réajuste sa robe et, pour la forme, elle met sa baguette dans une poche au revers de sa manche, en la laissant ostensiblement dépasser. Il fait frisquet, l’automne s’est bel et bien installé et le soir est tombé. Les enfants se pressent en riant dans les rues ; ils jouent à se faire peur.
— Il est joli ton déguisement, madame ! s’écrie un petit bout de chou, déguisée en fantôme.
— Vous venez pour accompagner les enfants ? demande une mère méfiante qui surveillait le petit groupe de mouflets à distance.
— Je me promène, réponds Wilda, sans même lui adresser un regard.
Elle va son chemin et flâne aux longs des rues. Les petits Moldus déguisés pénètrent dans les jardins proprets, où grimacent quelques citrouilles illuminées, trop sagement alignées. Ils sonnent aux portes et lancent leur « Farce ou friandise ! ». Leurs chaudrons en plastiques se remplissent de bonbons et ils repartent en sautillant jusqu’à la prochaine grille de bois peinte en blanc, affichant son « Happy Halloween».
« Farce ou friandise ! ». L’étude des Moldus n’était pas sa matière favorite à Poudlard, elle ne sait plus pourquoi ils fêtent Halloween, si cela date du temps ou leurs deux mondes n’en faisait plus qu’un. Ce qu’elle sait, c’est que ses pouvoirs s’éteignent inexorablement. Elle en train de devenir une Cracmole. Bientôt, leur monde sera le sien, il faut bien qu’elle se fasse à l’idée. Elle sort sa baguette et lance un Lumos. La lumière est si faible, elle éclaire à peine. Sorcière de carnaval ... sorcière de carnaval ... se répète-t-elle comme un mantra. Elle ne croit plus en elle, ni en ses pouvoirs, elle range sa baguette dans sa manche ... À quoi bon ?
Il fait de plus en plus frais, de plus en plus froid. Les derniers enfants rentrent chez eux. A certains coins de rue, la soirée se prolonge. Les gens se rassemblent entre voisins pour chanter, souper, faire la fête. Wilda Wilkes ne connaît personne dans ce quartier. Elle continue à errer, de rue en rue, sans être vraiment sûre d’avoir repris le chemin de son appartement. Lassée et frigorifiée, elle s’assied sur un banc public. Une voiture de police ne tarde pas à s’arrêter à son niveau. La shérif, une blonde bien en chair et son adjoint, un Améridien, en descendent.
— Tout va bien, madame ? demande l’adjoint.
— Oui, ça va, répond Wilda en ramenant sur elle les pans de sa robe.
— Vous attendez quelqu’un ? demande, la shérif.
— Non, je me promène.
— Vous habitez dans le quartier ? continue-t-elle.
— J’habite du côté du cimetière israélite.
— C’est de l’autre côté de la ville, commente l’adjoint.
— J’allais rentrer.
— Vous voulez appeler un taxi ? propose-t-il.
— Non, ça va aller, je peux y aller à pied.
— Dans votre état, ce n’est pas très prudent, dit-il.
Sa supérieure hiérarchique le dévisage, sans comprendre à quoi il fait allusion.
— Ben quoi, elle est enceinte, explique-t-il.
— Qu’est-ce que tu racontes ? bredouille-t-elle.
— Il a raison, confirme froidement Wilda, je suis enceinte de six mois.
La shérif la toise, incrédule. Wilda Wilkes n’a pas beaucoup de ventre.
— Au fait, j’aimerais voir une pièce d’identité, vous avez votre permis de conduire ? demande-t-elle.
— Non, je n’en ai pas et j’ai laissé mon passeport à la maison.
— Alors on vous reconduit, décide-t-elle.
Wilda a bien envie de leur lancer un sort de confusion à tous les deux. Elle aurait préféré qu’on lui fiche la paix. Mais vu le manque de vigueur de son précédent Lumos, mieux vaut y renoncer. Elle prend place à l’arrière du véhicule et donne son adresse aux deux officiers. Franchir le portail du sas ne pose pas de problème, il y a juste un code à taper sur le clavier numérique. Mais les choses se corsent face à la porte de l’appartement. Wilda a fermé sa porte à l’aide d’un sort. Elle doit l’ouvrir avec un Alohomora, un peu risqué en face de Moldus. Pourtant, elle arrive à donner le change, à dissimuler sa baguette dans les longs pans de ses manches évasées. Ce n’est pas là, le problème. Elle doit s’y reprendre à trois fois avant d’arriver à un résultat. Entre temps, elle sent dans son dos, les deux quidams perdre patience. On lui demande si elle a perdu ses clés, sur un ton méfiant. Finalement, la porte s’ouvre, brusquement, et l’adjoint s’exclame :
— Vous devriez appeler un serrurier, il a quelque chose qui ...
Elle n’entend pas la suite, elle perd connaissance. Quand elle revient à elle, elle est allongée sur le sofa, avec une couverture le corps. L’adjoint lui apporte un verre d’eau ; elle se redresse lentement, boit et puis se lève.
— Nous n’avons pas trouvé votre passeport, déclare la shérif.
— Qui vous a autorisé à ouvrir mes armoires ? se récrie Wilda Wilkes.
— Nous n’avons touché à rien, réplique la shérif, nous avons simplement regardé dans ce qui était à portée de vue.
Wilda ouvre les tiroirs de sa commode, les uns après les autres. Depuis longtemps, elle n’utilise plus que l’Accio pour faire venir à elle ce dont elle a besoin. Pour elle, ce passeport est un objet curieux, quelque chose qu’on lui a fournit quand elle a choisi de vivre seule, parmi les Moldus. Elle ne sait plus trop où elle l’a rangé. Les shérifs s’impatientent ; elle n’en a cure. Elle finit par trouver un meuble où elle a rangé, entre autres choses, un jeu de tarots qu’elle dépose sur la tablette, puis elle exhibe son passeport et le présente à l’officier.
La blonde replète l’examine sous toutes ses coutures, mais son adjoint louche sur le jeu de tarots.
— Vous tirez les cartes ? demande-t-il.
— Autrefois. Plus aujourd’hui. J’avais un don divinatoire, je l’ai perdu.
— Un don comme ça, ça ne se perd pas, déclare-t-il.
— Voilà, votre passeport est en ordre, dit la shérif, en le lui rendant. Reposez-vous, vous en avez besoin.
— Merci, répond froidement Wilda en reprenant le livret.
— Pourquoi dites-vous que vous avez perdu votre don ? insiste l’adjoint.
— On m’a jeté un sort, murmure-t-elle, entre ses dents.
— Je sais bien que c’est Halloween, mais tout de même ! tempère la shérif, goguenarde.
— Il ne faut pas rire avec ces choses-là, morigène l’adjoint.
— Son oncle est chamane, explique la shérif, un sourire en coin.
— Je peux l’appeler, il lèvera le mauvais sort, assure l’adjoint.
— C’est bien gentil, mais ne le dérangez pas. Ce n’est pas la peine. J’enseigne le piano, je gagne ma vie comme ça.
— Il est très fort, vous savez, persiste l’Amérindien.
— Je n’en doute pas. Maintenant, excusez-moi, mais ... je suis fort fatiguée et ...
— Nous allons vous laisser. Bonne nuit, répond la shérif.
Les deux officiers et Wilda ferme la porte derrière eux. Elle emploie pour la première fois la clé pour sceller la serrure. Les larmes coulent sur sa figure. Elle revoit la main furieuse de Bellatrix balayer la table et envoyer les cartes s’éparpiller sur le sol. Bellatrix est morte. Voldemort est vaincu. La marque sur son bras a fini par s’effacer. Elle n’est plus rien. Une sorcière de carnaval. Aucun chamane n’y changera rien. Jamais.
Lady Wilda Wilkes range sa baguette dans son étui de soie et son jeu de tarots au fond de l’armoire. Loin de son Angleterre natale, Sang Pur et Mangemort, la voici devenue une Cracmole, une nuit d’Haloween.