— Où est-il ? marmonna-t-il. Trois jours sans nouvelles. Il aurait pu revenir pour Halloween.
— Est-ce que tu crois que c’est en buvant que tu le ramèneras ? gronda Narcissa. Regarde-toi, tu tiens à peine debout.
— Tu as raison, répondit-il en se laissant choir dans un fauteuil. Asseyons-nous !
— Draco n’est plus un enfant, il a le droit de passer Halloween avec des amis, répondit-elle, avec une pointe d’amertume.
— Des amis ! ... Quels amis ? ... Hm ?
— Des amis comme tous les jeunes gens de son âge en ont, répliqua-t-elle sèchement.
— Il pourrait envoyer un hibou, grommela Lucius.
— Pour te recommander d’arrêter de boire ?
— Pff ... Ne me casse pas la tête, veux-tu ?
Narcissa haussa les épaules et s’éloigna.
Des amis, Draco n’en avait pas beaucoup. Fréquenter les Malfoy n’était pas de bon aloi, dans l’après-guerre. Les anciens Mangemorts qui avaient pu passer dans les mailles du filet préféraient ne pas éveiller les soupçons en évitant de se fréquenter les uns les autres et certains anciens de Serpentard suivaient le mouvement. Ces quatre dernières années, Draco ne voyait plus Théodore Nott ou Blaise Zabini que très sporadiquement.
Une petite pluie fine s’était abattue sur le village et le vent s’était levé. Pourtant les enfants et leurs parents se promenaient, déguisés, à la lueur de la bougie dans une citrouille évidée et allaient de porte en porte quémander des friandises. Draco les suivait à distance, les observant du coin de l’œil. Il rejoignit un petit groupe qui venait de frapper à l’une des portes.
Les enfants s’attardaient chez une dame qui semblait prodigue en bonbons et en bon mots ; Draco, poursuivant sa marche, finit par les rejoindre. Il entrevit une silhouette, toute de noir vêtue, dans l’embrasure de la porte. Il connaissait ce vêtement, cette façon de se tenir et de se mouvoir, car, l’entrapercevant, la personne s’était brusquement retirée. La même chevelure grasse, la même coupe ou absence de coupe. Seule la couleur des cheveux avait changé, ils étaient devenus poivre et sel. L’apparition avait été fugace. Draco avait beau se tordre le cou dans tous les sens, il ne voyait plus personne derrière la bonne dame généreuse.
La distribution terminée, elle referma sa porte, laissant un Draco pantois et embarrassé.
— Pas mal, les déguisements cette année, dit Mrs March à son hôte. Vous ne trouvez pas ?
— ... Oui ! Ils étaient réussis, répondit l’homme en noir, émergeant soudainement de ses pensées.
— Notez qu’avec votre tenue, vous passeriez facilement inaperçu, aujourd’hui.
— Vous aimez ? dit-il en écartant les pans de sa robe noire.
— C’est simple et très classe.
— Je vous remercie. Votre soupe est délicieuse, madame.
— Merci beaucoup. Le secret de la soupe, c’est de la laisser mijoter, elle doit prendre goût sur le feu.
Le bonhomme sourit obligeamment. Il approuva d’un hochement de tête.
— Je vous en sers une autre tasse ? proposa-t-elle.
— Non merci, cela ira comme cela.
— Un morceau de pain beurré, peut-être ?
— Merci bien, mais je suis repu pour l’instant. Je vais rentrer chez moi, dit-il en se levant de table. Au plaisir de vous revoir Mrs Marsh.
— Tout le plaisir est pour moi, Mr Evans... Euh, la sortie, c’est par ici, dit-elle en lui indiquant le chemin vers la porte de devant.
— Je préférerais sortir par la porte du jardin, si ça ne vous ennuie pas.
— ... Ça ne m’ennuie pas, mais ... il n’y a pas de route de digne de ce nom, par là, juste un chemin de terre, et avec la pluie ... La boue va tacher votre costume.
— Ne vous en faites pas pour ça, madame.
— Et il fait sombre, en plus. Ce n’est pas éclairé.
— J’ai une ... lampe de poche. Au revoir !
Rien ne put retenir l’homme au nez crochu, aux cheveux gras et aux dents jaunes. Il s’enfonça dans la nuit, tout en pointant un objet lumineux devant ses pas. Subitement, tout disparut, la lumière, la silhouette... plus de trace de Mr Evans. Mrs March se demanda ce qu’elle devait faire, y aller voir ou faire confiance à bonne étoile de son visiteur. Elle n’avait aucune envie de s’aventurer dehors. Elle se souvint qu’un bosquet masquait la vue à cet endroit et abaissa le rideau qu’elle venait de relever.
Draco prit son courage en main et alla sonner à la porte. Avec un peu de chance, la dame serait chez elle. En effet, elle ne fut pas longue à ouvrir la porte. C’était une femme de la génération de ses parents, aux cheveux courts, de teinte châtain, une femme ordinaire comme il y en avait tant.
— Bonjour monsieur ! lui dit-elle, un peu sur son quant-à-soi.
— Bonjour madame. Johnnnn Potter ! se présenta-t-il.
— Mrs Marsh, fit-elle de même.
— Je suis passé devant chez vous hier, lors de la procession d’Halloween. Il m’a semblé apercevoir une de mes connaissances chez vous.... Je n’ai pas voulu déranger les enfants. Mais si vous pouviez me dire où habite cette personne ...
— Je n’ai pas son adresse, répondit-elle, avec un sourire plus poli qu’aimable. C’est une personne de passage, un touriste, je suppose. Il m’a rendu un petit service, je l’ai invité à prendre une collation. Je ne peux pas vous renseigner.
— Il vous a donné son nom ?
— Si vous connaissez cette personne, vous connaissez aussi son nom, répliqua-t-elle, avec une pointe d’ironie.
— C’était pour m’assurer qu’il s’agissait bien de lui, répondit-il, avec condescendance.
— Dites toujours, fit-elle, sans se démonter.
— ... Severus Snape, lâcha-t-il, avec regret. Mais ...
— Non, cette personne a un nom beaucoup plus commun. Je dois vous laisser, j’ai des obligations. Bonne journée, monsieur Potter, dit-elle, en refermant la porte.
Draco s’en voulait de ne pas s’être initié à la legilimancie. Toutefois, il ne fallait pas être devin pour se rendre compte que Mrs Marsh en savait plus qu’elle ne le disait. En effet, une fois l’huis clos, elle se dirigea droit vers le téléphone.
— Hallo, Sir Archibald ? Mrs Marsh à l’appareil.
— Bonjour, Mrs Marsh, comment allez-vous ?
— Pour le mieux, monsieur. Je vous téléphonais parce que j’aurais désiré parler à Mr Evans.
— Il n’est pas dans les parages, mais je peux lui transmettre le message incessamment.
— Dites-lui qu’un jeune homme du nom de ... John Potter cherche une personne qui lui ressemble.
— Potter, dites-vous ? Harry ... ?
— Non, John.
— Et à quoi ressemblait-il ?
— Un petit blondinet condescendant.
— Vous m’en direz tant.
Moins de cinq minutes plus tard, on tapotait au carreau de la fenêtre de la cuisine. Mrs Marsh n’était pas plus étonnée que cela. Ce Monsieur Evans avait quelque chose d’hors du commun, il fallait bien s’y faire.
— Vous avez fait vite, dit-elle, en lui ouvrant.
— L’affaire ne souffre pas de retard, répondit-il. Racontez-moi ce qui s’est passé exactement.
Il vrilla son regard dans le sien. Mrs Marsh ne se laissa pas démonter, elle fixa la racine du nez, le point entre les deux yeux.
— Eh bien un jeune homme tout en noir, comme un clergyman, est venu sonner à ma porte en demandant si je savais où vous demeuriez. Il s’est présenté sous le nom de John Potter.
— A quoi ressemblait-il ?
— Blond filasse, le menton pointu et un haut front. Les yeux ... gris, si je me souviens bien. Mmoui !
— John Potter ! Il ne manque pas de culot, murmura son interlocuteur.
— Il cherchait un ... Sev... Sev ... Severus ? Un nom comme ça. Et le nom de famille ... ça ressemblait à Snake.
— Severus Snape. C’était mon nom de scène, lui dit-il. Je me suis retiré et je préfère que mes anciens admirateurs me laissent un peu de tranquille. Et que lui avez-vous répondu ?
— La vérité : je ne sais pas où vous habitez.
— Vous avez bien fait.
— Au fait, vous ne seriez pas hypnotiseur ?
— Pourquoi demandez-vous ça ? s’étonna-t-il.
— Votre façon de fixer les gens. Mais je ne veux pas abuser en ...
— Dites toujours.
— Il paraît que sous hypnose, on peut se souvenir d’un tas de choses et ... Vous allez trouver ça ridicule, mais je ne sais plus où j’ai rangé certains objets.
— Je suis disposé à vous aider. Je vous demanderai juste, en échange, si la personne devait se présenter de lui dire que Mr Evans est reparti pour le continent.
— Bien volontiers.
« Mr Evans » n’était pas pour autant décidé à s’arrêter là. Il ne fut pas long à retrouver la trace du jeune Malfoy et fit ce qu’il avait à faire.
Draco lança négligemment son manteau sur son lit et nettoya prestement ses chaussures à l’aide d’un sortilège, avant d’aller rejoindre ses parents.
— Alors, tu as fait bon voyage ? lui demanda Narcissa.
— Excellent, j’ai vu des choses sortant de l’ordinaire.
— Chez les Moldus ? En effet, ça sort de l’ordinaire, commenta ironiquement Lucius, le verre à la main.
— Le vent a tourné, papa, répliqua Draco, cinglant.
— Alors, raconte-nous ... ce qui sortait ... de l’ordinaire, répondit-il en faisant de larges gestes de la main.
Ses efforts de gesticulation censés le rendre impressionnant ne faisait que le rendre plus pathétique.
— Comment les Moldus se travestissent pour Halloween, par exemple. Figure-toi que j’ai rencontré un gars que j’ai d’abord pris pour Severus Snape. Je me suis demandé ce qui avait pu inspirer son costume. En fait, il a étudié dans un collège ... à ... Eton, je crois. Il n’aimait pas du tout le doyen, alors, pour Halloween, il a imité son costume, avec une toge en crêpe, mais il lui a donné des allures de vampire. Enfin, je veux dire, comme un Moldu peut se représenter un vampire.
Lucius le fixait, bouche bée. Narcissa se demanda ce qui pouvait bien lui passer par la tête.
— PUMMMKY, cria-t-il, subitement, en posant son verre.
Pop ! Un elfe apparut et le salua.
— Maître Malfoy ! dit la créature, le nez à hauteur de ses genoux.
— Apporte-moi une tisane de thym, à la manière de ma femme, précisa-t-il. Et débarrasse-moi de tout ça.
Il désigna d’un geste vague son verre à moitié plein et la bouteille de whisky. Draco et Narcissa le regardèrent, éberlués.
— Tu n’a pas peur que le thym te rende malade, Lucius ? demanda sa femme.
— Ça va me purifier le sang et clarifier l’esprit, déclara-t-il, d’un ton aussi décidé qu’optimiste.
La mère et son fils se regardèrent en se demandant ce qui avait bien pu provoquer ce changement si soudain.
Lucius sortit de sa douche, frais et souriant, le peignoir en éponge, fermement serré autour de lui. Il s’approcha de sa femme et lui souffla doucement la figure.
— Alors, j’ai réussi mon examen ? lui dit-il en lui décochant une œillade chargée de sous-entendus.
— Je préfère ce parfum-ci, répondit Narcissa, en lui souriant. Tu peux me dire ce qui a provoqué ce ... ce changement de cap ?
— Tu n’as pas remarqué ? Le regard de Draco ? Quand il racontait cette histoire, à propos de Severus ?
— Non, je n’ai rien remarqué de particulier.
— Tu étais de côté, tu n’as pas bien vu.
— Et qu’est-ce qu’il avait, son regard ?
— On lui a jeté un sort de confusion.
— Tu as vu ça à son regard ? ! s’étonna Narcissa.
— Ah oui ! Oui, sans hésitation ! Et je peux même te dire qui lui a jeté ce sort. C’est signé Severus.
— Mais ... Severus est mort ! Enfin, Lucius, ... Mort et enterré ! On était là ! À ses funérailles ! Tu ne crois tout de même pas... Enfin, ce n’est pas possible !
— ... Je l’ai déjà vu à l’œuvre. Il y a des signes qui ne trompent pas. Et venant de lui, tu peux m’en croire TOUT est possible. TOUT ! QUI a trompé Qui-tu-sais pendant des années ? QUI a joué double jeu, sans jamais se faire prendre ? ... Tu le connais mal, Narcissa. Il a plus d’un tour dans son sac. C’est bien lui qu’a vu Draco. Mais ça doit rester entre nous. Tu ne devras en parler à personne. Parce que ... parce que s’il est arrivé à s’en sortir et à refaire sa vie, à tourner la page, alors moi aussi, ... nous aussi, Narcissa, nous pouvons y arriver. Nous pouvons y arriver. Une autre vie est possible.
— D’accord !... D’accord ! approuva Narcissa.
Si elle n’était pas convaincue par les explications de son mari, elle ne pouvait que se réjouir de le voir abandonner la boisson et reprendre du poil de la bête. Il posa ses lèvres sur les siennes et pour la première fois depuis longtemps, elle accepta son baiser sans dégoût.