Lily Luna Potter, c'était avant tout des bras maigres qui se refermaient autour de votre cou et des lèvres douces qui parlent d'amour, c'était un corps qui se révoltait, qui n'a jamais eu conscience de sa propre finitude.
Et sur le pas de porte, j'y songe encore. Je voulais courir, je le voulais. J'ai attendu, longtemps. J'aurais pu attendre encore, mais je n'ai pas pu. J'ai voulu courir, mais j'ai attendu, et je n'ai rien fait du tout. J'ai regardé le soleil se coucher, j'ai veillé. James le faisait avant, mais il était tard et je ne savais jamais pourquoi il partait aussi tard de la maison. Parfois je le suivais jusqu'à la porte et je l'attendais. Où allait-il ? Je peux venir ? Dis, James, je peux ? Je serais sage, je te le promet. J'avais 10 ans. Mais j'ai eu toujours cette impression qu'il ne m'aimait pas. On me retrouvait le lendemain, endormie sur le paillasson. Lui, dans sa chambre, ni vu ni connu. Il me regardait à peine quand il descendait les escaliers, j'étais comme.. une inconnue.
C'est quelque chose que je raconte encore. Que je n'ai jamais supporté. « Lily, tout le monde ne peut pas t'aimer, tu sais ? C'est impossible, ce genre de choses. » Ma cousine me regardait avec cette moue spéciale, sa moue d'intello et je pourrais la tuer quand elle fait ça, Rose, vraiment.
Je regardais la route, le ciel rouge - un peu, et il n'y avait rien que je n'avais déjà vu. Je m'étais fait une idée très précise du monde et de place que j'y occupais, je m'étais dit, j'avais songé à beaucoup de choses. Je m'étais dit, je ressemble tellement à ma mère. Je suis ma mère. Comment aurait-fait ma mère ? Comment se serait-elle tenue ? Aurait-elle dit cela ? Non, sûrement pas. Ma mère, c'est Ginny, elle est toujours ma mère. Ma mère dans la maison, dans la cuisine, toutes ces années à ne plus bouger, bouger de soi-même. Je n'ai jamais vu ma mère pleurer. Si ma mère était ma place, là, maintenant, à attendre.. D'ailleurs le ferait-elle jamais ? Attendrait-elle ? Ma mère a mes cheveux, Merlin sait quoi et c'est bête de le dire dans ce sens. Parce que je n'ai jamais voulu de tout cela. Ma mère, est-ce qu'elle faisait cela, à mon âge, elle lorgnait à travers les placards ? Elle attendait ses frères et les visites ?
Je n'ai jamais demandé.
Je ne sais plus combien de temps j'ai pu attendre là, devant ou derrière la porte - selon la météo, j'imagine. A remuer le gravier avec mes pieds, à effriter avec mes doigts la peinture de la façade, assise sur les marches, à souffler dans le vide, à fumer quand il n'y avait personne. Au fond, je n'ai pas su avant un long moment ce que j'attendais.
J'ai attendu beaucoup de monde. Presque mes 11 premières années et mes vacances à attendre. Qu'on vienne sonner à la porte, une chouette à ma fenêtre. J'ai attendu mon père, mes frères, jamais ma mère - parce qu'elle n'est jamais partie. Ou j'attendais que la nuit tombe sur la campagne anglaise, sur les champs, sur ma maison et sur les gravats de mon existence à ce moment précis, maintenant - en réalité.
Il y a une pensée qui me fait sourire, parce qu'aussi loin que je me souvienne, c'était toutes ces années où je n'avais rien à faire, avant Poudlard, tout ce que j'ai vécu - parce que j'ai vécu, quand je n'ai pas fait d'histoires, pour celui, l'aîné, le frère qui partait tôt et rentrait tard, il s'était enfui et je n'ai jamais réussi à lui en vouloir vraiment. Du sang et de l'eau. De nous cinq, de ma famille, il n'y avait qu'un seul être. Lui, il ne s'est jamais préoccupé de moi. Peut-être qu'il a eu raison. Je ne l'ai pas vu depuis longtemps. J'ai préféré l'attendre et ne jamais lui parler. En fin de compte, je n'ai jamais eu qu'un frère.
J'ai toujours voulu faire comme lui. Quand j'en ai eu l'âge, j'ai traîné dans les bars qu'il préférait, j'ai lu les livres qu'il préférait, j'ai lancé des œillades langoureuses à ses amis, j'ai tout acheté comme lui avec les gallions que mes parents me donnaient, par mois et il n'a jamais semblé s'en rendre compte. Faire tout comme mon grand frère, c'était un complexe, ce genre de trucs. J'en avais rien à faire. Il ne voulait pas me voir. Maman, un jour, elle m'a dit : « Il t'ignore parce que tu l'agaces, tu passes ton temps derrière son dos, je sais que tu l'aimes, c'est ton frère, mais c'est un garçon et il est comme son père.. » La voix de ma mère, je m'en souviens, on aurait dit que ce n'était pas de sa faute, que secrètement, elle l'excusait. « Il est tellement indépendant, tu sais.. » Je ne sais pas.
Mais aujourd'hui, ce n'est pas mon frère que j'attend. J'ai arrêté depuis longtemps d'attendre mon unique frère. Il y a longtemps.
Et il est là. Le soir est venu, ce moment exact. Celui-là. Je ne sais pas quand il est arrivé, il avait transplané un peu plus loin. C'était une tâche dans mon décor et je l'ai vu. Il ne se pressait pas - parce que jamais il ne se presse pour quoi que ce soit, il marchait en ne regardant jamais par terre, l'air de ne m'avoir jamais vu, celui que je n'avais jamais attendu, celui que je ne regardais pas, celui qui est revenu sans qu'on lui demande, je l'ai vu et comme je l'ai toujours fait, j'ai fait semblant que rien ne changeait en moi quand il arrivait - parce qu'avec ce garçon, j'agissais exactement comme James l'avait fait avec moi. Sans aucun cris, aucun regard, rien qu'un mépris qui creuse et qui se presse, aucune joie, rien. Il s'est toujours intéressé à moi en retour, pourtant. Il a marché vers moi et la maison pendant de longues minutes, les mains dans les poches, sans anicroche. Il revenait, je m'étais trompée. Il revenait.
Scorpius Malfoy, quelle idée.
On m'a toujours dit : « Scorpius, tu as de mauvaises fréquentations. »
Au loin, très loin, il y a la maison des Potter. Elle est ignoble. Grande, rouge et entourée par les champs. J'avance et puis, je recule. Je reviens sur mes pas et je reprend. Je sais et tout d'un coup je ne sais plus. Je marche un peu. Alors ça y est, elle est là, encore loin, avachie sur les marches. Elle m'a vu ? Est-ce qu'elle m'a seulement reconnu ? Ce serait bien son style. Et puis, ça ne fait rien. J'avance un peu.
Les gens courtois et affables me donnent envie de dormir. J'ai toujours préféré les méchants dans les histoires et la vie, les hors-la-loi et les desperados. Mon père voudrait me voir rasé de près, avec le petit col et les mêmes cravates que les siennes. Je déteste citer mon père, je déteste tous ses points de vue. Mais pourtant je le fais quand même. La preuve. Je n'ai jamais voulu de modèles. Mais il y a eu elle et je n'ai jamais su m'en défaire, me refaire.
Tout ça, c'est à cause de Lily et de ses manières brusques. Elle qui ne ménage aucune surprise. La fille de bonne vie (qui releva par la suite avoir vécu une mauvaise vie) une pocharde vicieuse (du moins que c'est ce que j'ai cru et que je crois toujours) et même si je ne le savais pas au tout début, elle avait de la gueule, des bas avachis. En fin de compte, j'ai toujours préféré traîner avec Lily, je préfère traîner avec les ratés, je me sens bien - étant moi-même un raté. Et puis, Lily est bien roulée.
J'ai quitté l'enfer quand je suis sorti de Poudlard, mon père était fier. J'étais heureux. J'ai craché sur le parjure de l'innocence, j'ai craché sur à peu près tout. Je me suis bien amusé, alors j'ai dit au revoir et merci.
Vous savez, je marche tout droit et j'ai mal au crâne. Je regarde cette maison que j'ai beaucoup de fois imaginé. Je suis un peu déçu. Au début, je me disais, les Weasley-Potter, c'est comme la misère, ils sont partout. Et je vais vous dire que je ne m'y connais pas du tout en misère. J'avais déjà eu des cours avec l'autre, Rose. J'ai eu envie de la gifler dès qu'elle a ouvert la bouche. Je n'avais jamais vu quelqu'un parler avec autant d'assurance. Pour la première fois de ma vie, j'ai eu une envie de meurtre. J'ai lu tout ce que je pouvais à propos de l'Avada Kedavra en seconde année, bien que j'ai vite abandonné l'idée. Elle parlait tout le temps - avait mot et réponse à tout. En tout, partout.
Je me suis dit, sa cousine, Potter, elle doit être de la même veine. Horreur, elle était rousse, même. Son visage était plus fin, ses yeux plus bleus mais je ne sais plus si je l'ai trouvé plus jolie. Un jour, elle m'a dit :
« - Il y a ce jour où Albus nous a dit qu'il était à Serpentard... Papa n'a jamais donné son avis à ce sujet-là. Alors je n'ai pas su avoir une opinion. »
J'ai trouvé que ça l'a résumait bien. Alors je m'en souviens.
Je ne connaissais pas Lily, et je n'en avais pas grand chose à faire. Je ne voulais pas entendre parler d'eux. Des Potter, des Weasley. Peut-être parce qu'ils ne me considérait pas. J'aurais préféré qu'on m'insulte, j'aurais préféré qu'on m'en veuille. Mais il ne s'est rien passé. Ils n'ont rien dit.
Tout cela pour vous dire, que j'ai vite appris à me méfier de ces familles. Jusqu'au jour où j'ai vraiment regardé Lily Potter. J'ai avancé encore et quand je suis arrivé tout près, Lily n'a pas baissé les yeux une seule fois. Je peux dire que j'en ai été remué. Pas que je n'étais pas habitué à cela, mais après tout ce chemin, c'était légèrement dégueulasse. Je l'ai regardé et j'ai été comme pris de violence. Terrible. J'avais envie de foutre le camp. Aller nulle part, dans un nulle part, mais nullement ici. Pas là. Lily, à ce moment précis, dans son regard, j'ai senti comme une fracture. La chair de sa mâchoire qui s'étire. Je rêve, elle sourit, j'en rêve. Son sourire est une plaie gangrène. Elle a la clé de chez elle autour de son cou, comme un médaillon. Parce qu'elle perdait tout. On savait tous qu'il ne fallait jamais rien confier à la dernière Potter. Elle emprunte et jamais elle ne rend. Elle m'a tout pris et elle ne s'est jamais donné la peine de faire attention. Alors je me suis perdu. La clé autour de son cou.
Moi aussi, je souriais et j'avais envie de crever.
J'ai été trop aimé, très jeune, bien tôt. Comme il le faut. J'étais la fille de Harry et de Ginny, les adorés. Ma mère et mon père se sont tellement occupés de moi. L'amour, le trop plein d'amour de mes parents, m'a fait longtemps croire qu'on ne pouvait que m'aimer. « Ton père est une héros, tu es tellement mignonne, on va te faire des tas de promesses »
Et quand je pense à toutes ces choses qui ne sont jamais venues, tout cet amour que j'ai attendu : je vois ma maison. Ma petite maison. Elle vit encore, il y a encore tant de magie à l'intérieur. Je suis là, sur les marches, j'y habite, j'y suis, j'y vis, je l'a vis. Toute cette harmonie, tout ce monde que j'ai aimé, prié, déifié, mais n'en ai-je jamais été digne ? Ce jardin que Papa n'a jamais fermé. Étrangement, j'étais tellement en sécurité, en sûreté. Qu'est-ce que la sûreté quand la nuit tombe comme un désordre ? Le rouge me monte aux joues. Il est là. Il regarde la glycine. Elle est de moi. A moi. Ce sont des fleurs qui ne peuvent pas mourir, aussitôt qu'elles fanent, elles deviennent nouvelles, et Papa m'a dit que comme ma grand-mère, il y avait de la poésie jusqu'à mes sorts. Il baisse le regard. Je l'attend. Je t'attend. Il a l'air d'une bête sans défiance, sans défense.
Magnifique, il a perdu sa vie, ses mots. Je le vois, le nez en avant. J'aimerais entendre sa voix. J'ai compris lentement en le côtoyant que le dernier des Malfoy n'avait rien de salubre. Il avait beau sentir bon, je n'avais rien vu d'aussi pourri à l'intérieur.
Comme dit Scorpius, le monde branle dans le manche. Il l'a dit parce qu'il a laissé pousser sa barbe mais je n'ai jamais compris le rapport. C'était un voyou bien sapé, qui sirotait même de l'eau. Quel crétin.
Un jour, je vous raconterais tous les moments que j'ai passé avec lui quand je le trouvais ridicule.
« - Viens, on se barre. »
Il a allumé une cigarette.
« - Tu veux aller où ? j'ai dit.
- J'sais pas. Viens, on verra.
- Tu as fait tout ce chemin pour cela ? »
J'ai dit ça comme au tac au tac, à bout portant. Les yeux grands ouverts. Comme ses jours où je veillais en montant la garde. J'ai vu le soleil se coucher, Scorpius qui ne répondait pas. J'ai tellement de choses à vous dire. Tellement de Scorpius et de couchers de soleil.
Il m'a regardé avec un air étrange de détresse, son air de gosse pourri gâté. J'ai eu envie de lui mettre une claque. Il a ouvert la bouche. Je l'ai coupé sans même m'en rendre compte.
« - Arrête, tout de suite. Ne te fatigues pas. Regarde, songe à cet instant. Comme il est beau. Tu ne trouves pas ? Ne réponds pas. Je vais te dire quelque chose, tu me chéris, n'est-ce pas ? Ne réponds pas. Regarde juste l'instant, il va bientôt faire nuit. Mais pourtant, ma maison est comme inondée de lumière, et tu n'as pas l'atroce certitude que nous sommes maîtres du destin ? Oublie ta stupide détresse, oublie que tu es une sorte de fils de. Donne à tes larmes de la sincérité, peut-être que je pourrais te chérir en retour, alors. J'ai vingt-deux ans et quart, j'ai connu tellement de solitude que je n'ai pas réussi à l'a dévorer, il y en avait bien trop. Le fils de. Oublie.
Ma mère m'a dit que ton père était un psychopathe, qu'il était méchant avec tout le monde. Je l'ai cru. Mais toi, tu n'es tellement pas... toutes ces choses.. Tu es pire ou meilleur, je n'ai jamais su. C'est ta légitime provocation. J'avais des rêves populaires, comme tout le monde.
Alors on part ? Que je te raconte ? Je vais t'apprendre, le haut standing moral et social des Potter. Regarde ce moment, comme le soleil est blond, comme il fait bon, comme plus jamais je ne ressentirais cela. On y va ? »
J'ai parlé tout doucement, comme on parle aux enfants. J'aurais pu lui vendre n'importe quoi.
« - Lily Potter. Tu me saignes à blanc. J'ai aimé quelqu'un qui n'existait pas. Je t'ai attendu et tu n'es jamais venue. Mais, oui, on n'y va. Maintenant. »
Elle me tend la main, je la relève. Je sens qu'elle est débordante. Elle ne s'en offusque pas. Je sens qu'elle est désireuse, pressée comme tendue, prête à gratter ses peaux mortes. Je lui ai décoché un de mes regards assassins et je me suis senti minable. Ça m'a consolé.
Je voulais raconter mon histoire pour peindre au couteau à quel point je m'étais senti misérable, tout seul à éructer mon désespoir.