Oui, Zacharias sentait ce petit bouton de fleur qui poussait de plus en plus, au fur et à mesure. Il avait tout mis en place parfaitement, il l'avait arrosé de connaissances amassées à la bibliothèque, il l'avait nourri en apprenant à jeter des tas de sorts dans cette Armée de Dumbledore. Il n'y était allé que pour faire pousser cette petite fleur qui pointait le bout de son nez.
Zacharias avait tout de même peur d'écorcher les lèvres de sa petite amie, alors il avait arrêté d'arroser sa rose qui poussait sur ses propres lèvres.
[...]
Pourtant, un jour, la rose ouvrit un de ses pétales et Zacharias fit tout pour la fourrer dans son oesophage. Il s'étrangla et une centaine de pétales tombèrent dans son estomac. Il resta là, comme un idiot avec sa gastro de fleurs. Madame Pomfresh lui demanda pourquoi il était allé avaler des roses et il resta à l'infirmerie un long mois parce que : «Ah, il faudra que le professeur Slughorn me prépare une potion de drainage...» Ou alors... «Non mais dis donc, comment suis-je censée enlever des tumeurs en formes de pétales ?» Elle grognait beaucoup, ces derniers temps. Sûrement parce qu'elle devait être amoureuse du professeur Dumbledore et que, depuis que Rogue était devenu directeur, c'était elle qui avait une gastro chronique.
[...]
Zacharias avait de plus en plus peur du rosier qui grandissait au bord de ses lèvres. Les injures qu'il retenait sortaient en épines noires et les tendres murmures s'évanouissaient en pétales fanés. Il n'osait plus sortir de son dortoir et de toute façon, ça valait mieux. Les Carrow l'effrayaient.
[...]
«Zak ! Zak, sort de là !»
La gentille Hanna cherchait à le voir depuis qu'il s'enfermait. Ernie aussi, d'ailleurs tout le monde pensait qu'il se cachait des Carrow en restant dans son lit. En réalité, il faisait tout pour réprimer les piquants qui sortaient en vomissant ses injures adressées au monde entier. Ce monde qui l'avait trahi, ce monde qui l'avait laissé seul avec cet arbre qui lui sortait par tous les pores, ce monde qui avait tué, ce monde qui avait fait de lui un monstre. Et au plus il s'énervait, au plus il sentait ces piquants qui perçaient sa peau, sa langue et ses lèvres. Ses joues ressemblaient à du parchemin sur le point de se déchirer.
[...]
« Mais madame Pomfresh...
- Je suis désolée, je suis incapable de soigner un arbre. Je suis infirmière, pas botaniste. Allez voir le professeur Chourave, elle saura peut-être quoi faire.»
Mais Zacharias savait qu'elle appellerait ses parents à la seconde où elle le verrait. Aux grands maux les grands remèdes, le très très grand remède ; Hagrid.
[...]
«Professeur ? Vous savez ce qu'il m'arrive ?
- Oh oh.»
Ses yeux noirs brillaient intensément, avec cette lueur indescriptible, comme si il n'était qu'un animal fascinant.
« Oui. Tu te transformes en arbre.
- Bien sûr que je me transforme en arbre ! Vous savez ce qui m'arrive, oui ou non ?
- Bien sûr que je le sais, espèce d'idiot. La Nature agit comme ça, parfois. Quand on est trop mauvais, ou quand on est inutile ou...
- Ça va, ça va, j'ai compris. Vous avez un remède ou un sort ?
- Non, il faut que tu changes. La Nature a peut-être simplement décidé de te donner une leçon.
- Que je change ?
- Oui. Un gâteau ?
- Non merci.»
[...]
Le sang bouillonnait au niveau de ses tempes et ses mouvements étaient ralentis par les épines déchirant sa peau, les branches enserraient ses jambes et ses yeux étaient aveuglés par les roses. Il sentait un froid qui glaçait peu à peu ses barrières mentales, celles qu'il avait tentées de mettre en place pour repousser ces roses qui le dévoraient de l'intérieur. Elles s'étaient mises à piquer tout ce qu'il y avait de bien en lui, en particulier son courage, déjà peu mis en avant du temps où il n'était qu'un garçon comme les autres.
Il n'avait pas voulu rentrer chez lui à Noël. De peur de blesser sa mère et de ne pas pouvoir se lover dans ses bras pendant qu'elle lui aurait dit qu'il était le plus beau, le plus fort et le plus intelligent. Elle ne lui disait jamais qu'il était gentil, peut-être parce que même sa mère ne pouvait pas mentir sciemment sur ces choses-là.
Il n'avait pas voulu rentrer chez lui à Noël et il commençait doucement à le regretter. Est-ce qu'il resterait coincé parmi ses branches ? Est-ce que sa peau pouvait saigner au point de le faire se vider de son sang ? Est-ce que ?
Une odeur de rose musquée s'emparait peu à peu de lui, brouillant les senteurs de ses repas. Il vomissait des injures, il rendait toujours son petit déjeuner, parfois son déjeuner et de temps en temps son dîner.
[...]
«Professeur, pourquoi je ne guéris pas?
-Tiens tiens...»
Hagrid passa un gros doigt sur ses épines, il goûta le plaisir de sa peau percée et à son index perla une goutte de sang. Il la porta à ses lèvres. La lueur du feu de cheminée de la cabane du demi-géant colorait son visage de nuances inquiétantes. Il ne se sentait pas à l'aise devant ce gros bonhomme qui buvait son sang, un sang obtenu grâce à ses épines.
« As-tu changé ? As-tu décidé de te métamorphoser ?
- Non, évidemment, je n'ai pas changé. Malgré les fleurs, je reste Zak et je n'ai pas non plus décidé de me retrouver avec des branches. Ce n'est pas très pratique, vous savez.
-Bien bien, reviens me voir demain. J'attends du monde cette nuit.»
Heureux de pouvoir s'échapper de la bicoque de son professeur, Zacharias courut à en perdre haleine, il laissa des traînées de rose, de rouge et de blanc derrière lui. Il s'en voulait d'avoir fait pousser cette abomination qui avait germé dans sa tête. S'il était resté sagement ignorant, rien de tout cela ne serait arrivé et il n'aurait pas le changement pour seul salut.
[...]
La cabane était abandonnée, on entendait des bruits de couloirs, des rumeurs que les Carrow étouffaient dans l'oeuf à coup d'Endoloris.
Un mot occupait l'esprit de Zacharias : le changement. Pas muni d'une baguette comme McGonagall, non, ça devait venir de lui.
[...]
« Neville, je voulais savoir si l'AD... Enfin...
- Pas de soucis, nous sommes ouvert à tous.»
Il avait eu la décence de ne pas fixer ses roses de manière obscène, au contraire de ses autres camarades qui avaient eu l'air de défaillir lorsqu'il était sorti de sa cachette.
[...]
«Zak, surveille Harry, tu veux ? Je n'ai pas envie qu'il aille seul dans la forêt et tu as... Pour ne rien te cacher, tu as le déguisement idéal.»
Zacharias acquiesça sans pouvoir ouvrir sa bouche scellée par deux branches et trois épines. Il ne se vexa même pas, il avait appris à changer. Pourtant la Nature, le monde où qui que ce soit d'autres s'obstinait à le laisser en plante.
[...]
Il fit très attention à ne pas poser ses pieds épineux sur les cadavres déjà bien trop mutilés. Il fut aussi attentif à ne pas regarder les visages, à placer des masques sur leurs têtes enfoncées dans le sol. De manière égoïste, il cessa d'être silencieux dès la Plaine aux Cadavres franchie, pour s'échapper de cet enfer. Est-ce que ses amis avaient survécu ? Est-ce qu'il sera capturé ou mutilé ? Ne vaudrait-il pas mieux pour lui de devenir entièrement un arbre ? Est-ce que ?
[...]
Harry ploya sous l'Avada Kedavra avant que Zacharias ne puisse faire quoique ce soit. Il ne l'avait jamais vraiment aimé, mais sa fin signifiait aussi la sienne. Il recula de six petits pas de danseuse, la pointe des pieds abîmée. Il heurta un grand chêne ; immense même.
Ses pieds s'enfoncèrent dans la terre humide, ses bras se raidirent, son sang se glaça et il rétrécit brusquement, ses branches recouvrirent son visage, crevant ses yeux, teintant les roses blanches en rouge. Là-bas ce n'était que la guerre, ici c'était les fleurs, il avait vu pire. En sentant ses forces et ses barrières mentales faiblir, une dernière feuille recouvrit son long nez en trompette. Renoncer aux souffrances pour finir en arbre, existait-il une fin plus douce ?
Il n'avait pas voulu rentrer chez lui à Noël et il commençait doucement à le regretter.