C’est un langage à eux. Un langage qu’ils sont seuls à connaître, détester et aimer en même temps. Ça commence par un prétexte.
« T’aurais pu me dire que t’allais prendre un verre avec Remus. Je serais venu avec vous. »
Le ton n’est pas cassant, juste un peu moralisateur : il faut que ça l’interpelle. Ça marche.
« C’était un peu improvisé, j’avais 20 minutes à tuer avant de recommencer à travailler »
Un silence théâtral. Il demande :
« Comment allait Remus ? »
Ca aussi c’est un prétexte. Sirius l’a vu ce matin, comme tous les jours. Il faut continuer encore un peu, dire trop et pas assez pour que la machine se mette en marche. Le sous-entendu idiot de Sirius pousse Marlène à riposter. C’est prévu.
« Très bien. Je l’ai trouvé plus en forme que d’habitude. On s’est bien marrés, c’était sympa.
- Tu veux pas aller le retrouver ce soir ? Je m’en voudrais si tu passais une mauvaise soirée à cause de moi. »
Cette jalousie sortie de nulle part et cette provocation idiote n’ont aucun sens et ils le savent tous les deux mais c’est nécessaire.
« Mais quelle humeur ! C’est pas une mauvaise idée au fond : passer une bonne soirée avec Remus ou m’engueuler avec toi ? »
Marlène fait monter la pression d’un cran : il faut que quelque part dans sa tête, Sirius se dise qu’elle pourrait partir. Juste une seconde. Le temps pour lui de s’assurer qu’elle ait bien compris, elle aussi, que le problème ne vient absolument pas de Remus.
Un court silence. Marlène a réussi à le faire douter ; elle le sait parce qu’il sort une cigarette et se met à l’allumer. C’est comme s’il lui disait « Reste ».
« Aller retrouver Remus et sortir toute seule… Mais en voilà une excellente idée. Brillante même si tu veux te faire tuer ».
Marlène fronce les sourcils. Le sujet dérive : il a peur pour elle ? Il faut qu’elle le fasse parler. D’un ton un peu sec, elle lui répond :
« Je suis une grande fille tu sais, je peux me défendre ».
C’est un des arguments les plus mauvais qu’elle pouvait trouver mais elle n’a pas d’autres idées. Tout le monde sait bien que personne n’est à l’abri ces derniers temps, même si on sait se défendre. A vrai dire, avoir la ferme conviction de pouvoir se défendre est presque plus dangereux que d’être purement et simplement sans défenses.
« Et bien tu devrais aller faire un tour au bureau des Aurors, ta théorie devrait les intéresser. Explique leur comment tu fais pour ne pas rejoindre tous ceux qui tombent quasiment toutes les semaines ».
Heureusement que le ton de Sirius n’est plus aussi sarcastique que tout à l’heure ; elle se sentirait mal autrement. Elle lit les journaux comme lui ou cesse parfois de croiser une personne au ministère du jour au lendemain. Une chose est sûre maintenant : il s’inquiète pour elle. La question est de savoir pourquoi. Pourquoi maintenant plus que tous les jours ? Chaque matin ou presque, Marlène se réveille en espérant le revoir le soir, tout comme sa famille, ses amis …
Sirius termine de fumer sa cigarette. Elle attend qu’il ait terminé. C’est ici que les choses deviennent plus difficiles. Instinctivement, elle aurait bien envie de lui envoyer quelques piques parce qu’elle n’aime pas vraiment qu’on lui crie dessus et aussi parce qu’elle est comme ça Marlène. Seulement il faut absolument qu’elle arrête sinon ça pourrait dégénérer. Pour de vrai cette fois. Marlène enlève l’écharpe qu’elle a enroulée autour de son cou au beau milieu de leur dispute.
C’est comme si elle lui disait « explique moi maintenant ».
Mais non.
Il s’approche d’elle et pose sa main droite sur sa joue. Il commence à l’embrasser doucement, un peu comme si c’était la première fois finalement. C’est un baiser que quiconque qualifierait de banal, de tendre à la rigueur mais pas eux. Ce baiser c’est comme s’il lui disait « Je t’aime. Je t’en supplie, fais attention à toi ».
Quand ils ont des discussions absurdes et étranges comme ce soir, il arrive que ça se termine comme ça tout simplement.
Parce qu’au fond, c’est un langage à eux. Un langage qu’ils sont seuls à connaître, détester et aimer en même temps. Ils sont les seuls à savoir qu’ils ne se disputent pas vraiment dans ces moments là. Peu importe le prétexte employé : ce n’est rien d’autre qu’un prétexte.
Ils détestent ça parce que parfois, ce serait tellement plus simple de se parler ouvertement. Ce serait tellement plus simple de dire qu’il a peur pour elle ce soir, plus que d’habitude parce qu’une jeune femme est morte aujourd’hui et qu’elle ressemblait à Marlène. Pour eux c’est plus facile de ne rien dire, de dire avec des actes.
Marlène aime Sirius aussi sûrement que Sirius aime Marlène ; ça les terrifie parce qu’aujourd’hui, chaque personne qu’on s’autorise à aimer est une personne qu’on prend le risque de perdre. C’est leur secret. Comme si le fait de ne jamais le dire allait créer une diversion pour qu’ils échappent à la mort tous les deux.
Leur langage n’est pas parfait et pourtant ils l’aiment : il montre leur complicité et d’une façon ou d’une autre, il montre toujours à quel point ils tiennent l’un à l’autre.