L'ombre qui se fait plus insistance, avalant avec gourmandise les convictions d'hier. L'ombre inhibant, ivre. L'ombre qui te réclame, qui embrasse tes courbes. L'ivresse de la découverte t'enlaçant étroitement.
J'ai voulu mourir, c'était là sous les cils. Le désir tremblant d'en finir. La lâcheté de ne pas pouvoir affronter l'ombre glissant contre mes hanches. Sous les paupières, un frémissement inconscient.
C'était trop dur, de sur jouer tout cela. De peindre l'indifférence sur mon visage alors que tu étais à quelques mètres de moi et que ne je voulais que t'embrasser. Toi, à la réputation si maquillée.
Je crois que nous étions allées trop loin, déjà coupable de l'innommable. Les fausses espérances accrochées contre les branches. Tes yeux qui se collaient aux miens. Les mots silencieux qui ébréchaient les tasses.
Le thé était froid, il glissait contre nos lèvres avec amertume. Le bruit grinçant de la porcelaine contre le bois de la table. Tu roulais le papier entre tes doigts blancs. Un sourire coincé entre tes dents.
Tu ne comprenais pas mon désir, préférant le silence ourlé des grandes tentures. Tu voulais l'ouate, le discret. Je n'aspirais qu'au bruit fracassant. Je me moquais de leur intolérance. Je me fichais de leurs regards ignares. Toute ma vie, j'avais hurlé contre ces mensonges et ces fausses confessions. Mais, pour toi, je scellais mes lèvres.
Tu me disais que tes parents ne comprendraient pas, que le monde t'en retrouverait coupable. Tu refusais d'enfiler ce rôle. D'être celle qui avait signé la déchéance de la fille du héro adulé de tout sorcier. Tu me disais que je pouvais encore, si cela filtrait, jouer à la fille entourloupée mais que pour toi, s'en serait fini. L'exil te serait la seule porte de sortie. Je protestais mais rien n'y faisait.
La voracité des journaux t'effrayait. Tu craignais, chaque matin, une « Une » qui ferait éclater notre secret. Avant la levée des chouettes, tu me lançais un regard alerte qui disait « Et si… ». Le souvenir de mon cousin était encore trop brulant. Suicide qui avait tant fait couler l'encre de leur machine à détruire. Les larmes de Fleurs n'avaient même pas suffit à décolorer leur mots lapidaires.
Alors, on se cachait. Réfugiées sous les draps, comme s'il n'y avait que cette échappatoire. Comme si notre amour ne pouvait vivre qu'entremêlé contre les couettes, derrière des rideaux clos. On s'oubliait derrière les drapés rouges.
C'était un autre genre de guerre, une guerre sans tête. Une chimère que l'on s'échinait à poursuivre parce que malgré tout on avait de l'espoir. On se forçait à croire que les lendemains seraient chantants. Ignorant les mauvais rêves qui ondoyaient contre les plinthes alors que l'on jouait au corps à corps.
Il y avait tes regards, pupilles dilatées par le plaisir, ces frôlements de mains qui m'arrachaient le cœur, le velouté de ta peau qui tremblait sous mes caresses. On se brulait les doigts, bassin contre bassin. Mes lèvres sur ton épaule nue.
Le plaisir transfigurait tout. Le plaisir collé contre nos cuisses nous perdait. Plus de valeur, d'idéologie, ou de rôle mais des râles. Tout ce qui t'importait c'était mes mains sur ton corps et ma bouche sur tes lèvres. Je refusais de penser aux demain pleurants dans la pénombre du dortoir étouffant.
Alors que la trotteuse s'égarait sur le 12, je rejoignais ton lit tandis que nos camarades ronflaient d'un lourd sommeil. Les pieds nus dansant contre le parquet grinçant que j'avais fini par connaitre par cœur. A l'heure des douze coups de minuit, le dortoir baignait d'une lueur fantomatique. Jeux d'ombre sur le sol bleuté. Palette d'ocre et de rouge baignée de noir. La nuit m'avalait. J'entrais dans son antre brulant.
Ma chemise de nuit d'enfant trop sage, coton blanc collant à la peau, s'envolait alors que j'ouvrais les rideaux. Tes mains agrippaient avec frénésie le tissu. Tu me volais baisers et caresses. Je riais d'une ivresse charnelle. J' hantais ton lit. Tes deux billes bleues me dardaient dans la pénombre qui nous drapait d'une robe de noir. La pulpe de mes doigts sous ta chair tendre. Tes longs cheveux chatouillant ma poitrine. Mes dents contre le lobe de tes oreilles. Ta bouche contre mon cœur. Et l'ombre frémissait.
On brulait nos nuits. Effaçant d'un sort nos cernes suspects. Avalant avec candeur des potions qui nous épargnaient la chute sur le béton nu. On se fichait de la vie. Jouant à trompe-sommeil. Rejouant ces heures que le jour nous dérobait avec la hargne de la jeunesse. Faisant l'amour toute la nuit et la haine tout le jour. C'était faussement féroce. Frénétique désir camouflé derrière le portant des rideaux. Véritablement schizophrénique. Déséquilibre des chairs.
Je t'aimais, même, je t'adulais, relique de mes nuits, désir de mes jours. J'avais effleuré tout ton corps, caressant et embrassant. Je connaissais tout de ton cœur. Jamais je ne m'étais sentie aussi vivante. Amour clandestin pleins de regret. Amour de nos nuits.
Tu appelais cela notre « vilain secret » avec un rire écrasé dans la gorge, comme si un chat s'y logeait tendrement.