J'aime écrire sur Peter, en fait.
C'est à vous que j'écris, car aujourd'hui : j'ose. J'ose vous écrire, cher petit Monsieur Labinocle – à vous et à vous seul, pas à votre journal infâme – parce que je sais que vous ne publierez jamais cette lettre. Vous n'en prendrez pas le risque. Vous êtes trop petit. Qui serait prêt à vous croire, qui penserait que vous n'avez pas falsifié cette lettre pour faire du sensationnel, qui pourrait imaginer que vous n'avez pas l'audace de retourner les hypogriffes dans leur tombe et de salir l'image d'un héros de la première guerre ? Qui sait, peut-être même qu'on croirait que vous faites partie des nôtres. Que vous êtes un Mangemort, vous aussi, et que vous avez l'honneur de servir mon Maître bien-aimé.
Et pourtant, je sais que vous me croirez. De bout en bout, et vous serez persuadé que je suis plus sincère que jamais en écrivant cette lettre. Ce sera votre poison, n'est-ce pas ? Je vous connais – je le pourrais, en tout cas. Cela finira par vous dévorer et vous aurez l'impression que des langues de feu lèchent l'intérieur de votre crâne. Vous connaîtrez un nouveau Severus Rogue, et vous ne pourrez pas le dévoiler au monde entier. Pauvre petit, très petit Monsieur Labinocle... Je sais que je ne cours aucun risque, et j'ose.
J'ai toujours été lui, il a toujours été moi. Nous nous sommes volé nos places à tour de rôle. Dans l'ombre, parce que nous sommes des créatures de la nuit. Parce que nous sommes ignobles, et que nous sommes lâches, et que nous ne savons que frapper dans le dos.
C'est moi qui ai eu des amis. C'est pour moi que l'on se serait battu – que l'on serait mort. Lui a perdu Lily. Il a été humilié, ridiculisé, offensé. Je tenais la baguette, il se retrouvait suspendu dans les airs. J'étais le plus fort. J'étais celui qui avait tout, et il n'avait que son envolée de robe noire.
Il n'a rien dit. Il ne s'est pas plaint. Il a travaillé dans l'ombre, parce qu'il est une créature de la nuit. C'est un rat. Intelligent, fourbe, sournois. Rat, ce ne sera jamais une insulte. Il faut avoir du courage pour accepter d'en être un, alors que les autres sont des cerfs avec des bois majestueux. Non, je suis un rat, c'est là, inscrit au plus profond de ma chair – coulant dans chacune de mes veines – et Severus aussi en est un.
Je les respecte, les rats. J'ai su leurs ambitions et leurs passions, leur détermination et leur égoïsme.
Il a attendu ma chute. Il a attendu ma mort. Il a attendu que je sois seul, qu'il n'y ait plus de Maraudeurs et qu'il n'y ait plus de main droite. Il a repris le pouvoir. Il est devenu moi, il m'a renvoyé derrière la porte, tremblant et fébrile. Il m'a fait devenir le rat, le rat Croûtard, et il a fait disparaître le rat Peter. Scélérat ! Il tient la baguette, il me fait frissonner et il tord à chaque seconde mes entrailles dans ses grands chaudrons d'argent, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de sang, plus de désir, plus d'envie – plus de vie.
Je le hais. Je le hais, ce cher scélérat. Je le hais parce qu'il est devenu moi et que je ne peux plus devenir lui, parce qu'il m'a dépassé et qu'il vole haut avec ses grandes ailes de corneille. Parce qu'il m'a fait disparaître, parce que dans cette maison, dans sa maison, il a pris toute la place. Parce que lorsque le vent souffle, lorsque le parquet craque, que les bûches de la cheminée se recroquevillent, c'est son nom qui est soupiré. Severus.
Vous l'entendez, mon cher petit Monsieur Labinocle ? Ça s'étire en longueur, comme un sifflement menaçant et hypnotisant. Ça se faufile dans vos oreilles et ça martèle votre tympan, ça infiltre votre cerveau avant de prendre les commandes de vos cordes vocales. Severus. Je l'ai répété dix fois pour moi, ce matin. Je l'ai chuchoté, je l'ai modulé et je l'ai crié. Je le partage avec vous, mon cher petit Monsieur Labinocle, mais il ne sera jamais qu'à moi. Severus. Je ne veux posséder que cela.
Et je la vois, la vipère qui se dresse devant moi. Je la vois, et je la laisse s'approcher et m'hypnotiser. J'ai toujours été une proie facile, n'est-ce pas ? La proie idéale de la soif de reconnaissance et du pouvoir, puis des regrets, des si qui reviennent comme un refrain lancinant, de l'envie, du désir, et à nouveau des regrets – c'était moi, bien sûr.
De toute évidence, ce ne sera jamais Severus. Il ne regrettera jamais rien. Il ne se roule pas en boule dans son fauteuil, à se mordre les doigts en se demandant ce qu'il a fait. Il ne ferme pas les yeux de désespoir. Il y aura toujours quelque chose pour le faire avancer, et il n'est pas englué dans les toiles d'araignée.
Que pourrait-il regretter ? Il est le bras droit du Maître. Il est Son meilleur Mangemort, le plus dévoué, le plus fidèle. Il est celui qui m'a ravi ma place. Il est celui dont je dois arracher le masque, dans lequel je dois me couler, me mouler et me décalquer. Severus m'apprendra et je serai la vipère de Severus.
Scélérat ! Je ne veux qu'être toi.
Je te hais et je t'abhorre, et je fais rouler ton nom sur ma langue, et j'embrasse chacune de tes insultes, et j'étreins ton ombre jusqu'à l'étouffer.
Oui, mon cher petit Monsieur Labinocle, aujourd'hui j'ose. J'ose m'avancer derrière la silhouette de Severus, j'ose ne me parler qu'à moi-même, qu'au rat Croûtard et j'écrase le crâne de Pettigrow sous mes bottes. J'ose et je signe, mon cher petit Monsieur Labinocle.
Severussement vôtre,
Peter Pettigrow.
Le "severussement vôtre" ne fait pas partie de mes inventions, mais Dalou28, une revieweuse, signait toujours ainsi, et j'ai eu envie de finir le texte de cette manière. Merci d'avoir lu, en tout cas, et merci à lalaulau pour m'avoir permis de trouver un regain d'inspiration, et à lilimordefaim pour m'avoir bêtaté aussi rapidement. Bien sûr, n'oubliez pas d'aller lire les autres participations !