Triste. Seule. Délaissé ce n'est pas grave. J'en ai l'habitude.
Sophia McMillan, quatorze ans. Et pour l'instant, c'est tout ce que tout le monde sait de moi. Mais ce n'est pas grave. J'en ai l'habitude.
Je sais ce que vous pensez. Mais je n'ai pas besoin de votre pitié. Ça n'en vaut pas la peine. La vie continue, c'est bien ce qu'on dit. Et puis, j'en ai marre de toute façon, qu'on me donne de l'attention que parce que je me plains.
Au pire, ce ne sera qu'une existence supplémentaire qui passera dans l'ombre ...
On me dit que je suis jolie, que j'ai tout le potentiel nécessaire pour réussir, mais je n'y crois pas. En moi, ils ne voient que le reflet de mon frère Ernie, lui qui a toujours été si travaillant, si brillant. Ernie était l'enfant parfait de la famille, c'était bien connu.
Alors que moi, et bien. Je n'avais rien de spécial. Je n'ai jamais rien eu de spécial d'ailleurs. Je suis... ordinaire, sans plus. J'ai des cheveux blonds qui ternissent depuis des jours, des yeux verts, qui s'assombrissent de plus en plus. Elle doit être spéciale ! vous direz. Eh bien non. Je suis juste fatiguée.
"Fatiguée à quatorze ans mon cul, attend de voir plus tard, lorsqu'à ce moment, tu auras VRAIMENT vécu quelque chose..."
Eh bien, vous voyez ? C'est entre autres ça qui m'épuise. Le jugement facile. Avouons-le ... C'est si difficile de pouvoir dire une chose sans se faire juger trop rapidement... Mais là n'est pas mon problème. Il y a ma grand-mère, qui ne se souvient plus de moi. Il y a mon père qui réagit plutôt mal au départ de ma mère. Il y a Luna, pour qui mon amour semble à sens unique. Et puis, il y a les autres, et moi avec mes blessures qui ne cicatrisent pas.
Car je n'aime pas les hommes, c'est vrai. Ils me dégoutent. Les savoir près de moi me fait vomir, je déteste absolument leurs petites idées qui se rapportent toujours à votre cul, parce que c'est bien ce qu'il y a de plus intéressant chez une femme, tout le monde sait ça. Et puis, merde. Ne me fait pas accroire que nous sommes humaines, à leurs yeux. Nous ne servons que de futiles objets servant uniquement pour défouler leurs petites pulsions de rois. Et après, c'est nous que l'on traite de princesse ... Bref. Je ne m'éterniserai pas sur le sujet. Pas maintenant, du moins.
Me décrire de la tête au pied. Normalement, ce serait des choses que je garderais personnelles. Mais bon. Plus rien n'est secret maintenant, de toute façon. Tout finit par se savoir, alors bon. Avant, je pesais 60 kilos. Grasse un peu, mais c'est arrangé. J'ai du perdre 12 kilos, depuis qu'il n'y a plus rien qui va. Manger me donne envie de vomir, et puis, que dire de mon sommeil ... J'ai des poches mauves sous les yeux. Enfin, c'est le qualificatif qu'utilise mon père et les autres, pour me dire que je suis cernée. Comme si c'était nécessaire. En tout cas. J'ai la peau fragile, d'où le fait que j'ai plusieurs ecchymoses. Et plusieurs coupures.
Coupures qui, parfois, me font du bien, dans ce monde de fous.
En tout cas. Parfois, c'est m'évader qui me fait rêver le plus. Si je pouvais m'en aller, le temps d'une journée, le temps d'oublier, de ne plus y penser, ce serait merveilleux. Mais bon... Il faut croire que ce genre de chose n'arrive pas aux filles ordinaires. Aux fillettes de quatorze ans qui n'ont rien vécu. Qui n'ont rien à raconter, de toute façon.
Et puis, à quoi servirait mon témoignage ? Qui l'écouterait, à part peut-être les deux ou trois personnes qui seraient tombées dessus par hasard, car ça n'intéresse personne d'autre ... Et puis, ai-je vraiment envie ? Ai-je vraiment le courage .. ?
Le courage. Une valeur que j'aurais bien aimé avoir ...
Mais je divague, de toute façon. À quoi bon.
À quoi bon. Pour moi, c'est devenu un dicton. Ce n'est plus une question. Tout ce que j'entreprend tombe à l'eau, un jour où l'autre.
À l'école, ça ne va pas. Mes profs m'apprécient, mais c'est tout je crois. Et même à ça, ça reste surprenant qu'ils ne m'haïssent pas, vu mes résultats scolaires plutôt merdique. C'est même surprenant qu'ils ne m'expulsent pas du collège d'ailleurs. Et ça choque Ernie. Ernie qui a toujours été le brillant. Ernie qui équivalait Hermione Granger. Ernie qui était si parfait. Mais que veux-tu, je ne peux pas tout faire...
Mes parents auraient voulu que je le prenne comme modèle. Ernie par ci, Ernie par là. J'en avais marre. Déjà comme si c'était pas suffisant que je ne sois que "la deuxième de la famille ". Argh. Tout ce manège m'exaspérait. Ils m'exaspéraient. Tous. Ma famille, les autres élèves, l'école. Et même Luna.
Si seulement je pouvais m'en sortir ...