Voici les contraintes de ce défi :
« Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux. » - M. Proust
- Inspirez-vous de la citation ci-dessus.
- Dans votre texte, MINIMUM, une réplique entière ou au moins, une phrase dans une réplique, devra être écrite dans une langue étrangère.
- Nous demandons une phrase complète (minimum, sujet/verbe/complément (sauf si verbe intransitif)). Donc, pas de "Ja", de "Niet", de "Hello", etc... tout seul sauf si vous avez déjà écrit une phrase entière.
- Le Français ne compte pas pour une langue étrangère, idem pour les patois français.
- Vous pouvez utiliser l'Anglais à la condition que ça soit une personne étrangère qui l'utilise. Exemple : Une française qui essaye de parler Anglais : "Uh... Do you speak French ?" :mrgreen:
- Vous devez mettre la traduction de cette phrase en note à la fin de votre texte ou dans votre note d'auteur
- Enfin, vous devez choisir le champ lexical d'une émotion (surprise, joie, tristesse,...), et en placer minimum 5 mots dans votre texte. ATTENTION : Les mots devront être mis en évidence et le champ lexical devra être précisé dans votre note d'auteur.
L'émotion choisie est l'irritation. J'ai mis en gras les mots qui y correspondent. Merci à Cass et Bloo pour leur aide précieuse, aux Poufsouffles pour leurs encouragements, et à mon cher dictionnaire des synonymes :mg:
Elle en avait assez. Trois semaines qu’ils avaient enterré son père. Trois semaines qu’elle vivait chez sa grand-mère dans une banlieue sorcière de Jaipur. Trois semaines que sa mère et ses tantes lui présentait les jeunes héritiers des bonnes familles sorcières du coin. Trois semaines qu’elle se demandait pourquoi elle était en Inde et pas à Londres.
Bon, au moins, Lavande était encore là avec elle. Mais combien de temps avant qu’elle ne rentre auprès de Seamus et de ses enfants ? Et puis, elle était tout le temps dehors, à visiter, et Parvati n’avait pas envie de visiter. Elle connaissait cette ville par cœur, elle y avait passé beaucoup de temps, dont une trop grande partie au marché d’ailleurs. Alors, pourquoi, pourquoi sa mère avait-elle eu besoin de l’envoyer là ? C’était comme si le monde entier était dressé contre elle !
(Bon, elle agissait un peu comme une enfant gâtée… Mais il y avait de quoi, tout cela était tellement exaspérant!)
Il fut un temps où elle aimait aller au marché. Elle se souvenait encore de ces jours d’été où son grand-père qui habitait à Hampi l’emmenait au marché moldu. Les couronnes de fleurs, les soieries, les pigments qui formaient des tas multicolores… Les appels lancés en kannada pour attirer les clients vers les étals, les temples qui s’élevaient au loin, les rides aux coins des yeux de son grand-père qui se plissaient quand il souriait… Oui, elle aimait bien ces moments avec son grand-père au marché moldu. Jusqu’au jour où il était mort et sa grand-mère avait voulu revenir dans la maison familiale de Jaipur, « pour être plus en contact avec le monde magique ». Elle avait ainsi découvert le marché sorcier, avec ses bocaux de pattes d’oiseaux et autres ingrédients à potion, ses vendeurs de sorts écrits sur des rouleaux de parchemin tachés et ses énormes vaches à trois yeux qui se baladaient au milieu des passants.
(Remarque, les énormes vaches, on les trouvait partout.)
Contrariée, elle s’écarta au dernier moment de l’énorme bouse qui trônait au milieu de la route. Elle n’aimait pas le marché sorcier parce qu’il était beaucoup moins coloré et sentait beaucoup moins bon que le marché moldu. Les effluves qui sortaient des chaudrons, les étincelles qui jaillissaient des baguettes, les sorts lancés dans toutes les langues, cela pouvait plaire à certains –Harry lui avait, une fois, raconté comment tous ces éléments du monde sorcier l’émerveillaient toujours, même des années après- mais elle, cela l’agaçait plus qu’autre chose.
La perspective du dîner avec un nouveau « prétendant » participait sans doute à son agacement. Elle savait pourquoi sa mère faisait ça. Parvati, contrairement à Padma, n’avait pas fait de beau mariage, et n’avait pas encore trouvé sa voie, réalisé ses rêves. Parvati nageait dans le brouillard et cela effrayait ses parents. L’idée de lui trouver un mari était venue de son père et avait occasionné la pire dispute que la sorcière ait eue avec ses parents. Et puis il était mort –dragoncelle aiguë, les médicomages n’avaient rien pu faire. Désormais, sa veuve, poussée par les oncles, tantes, et autres membres de la famille, semblait avoir dans l’idée que marier sa fille serait une bonne manière d’honorer son défunt mari.
Cela énervait profondément Parvati. Et, au début, elle le montrait. Maintenant elle avait pris le pli. Elle souriait, ne parlait pas beaucoup, se tenait droite et restait très polie. Elle subissait les dîners avec les potentiels futurs maris et leurs potentielles futures belles-familles, tous plus fastidieux les uns que les autres. Et les invités partis, elle trouvait toutes sortes de raisons pour dire à sa mère que ça ne marcherait pas, avant d’aller s’enfermer dans sa chambre.
Ce petit manège devenait tout de même fatigant… Et, à vrai dire, elle commençait à se demander si elle ne ferait pas mieux de jouer le jeu jusqu’au bout. Elle n’avait pas vraiment de but dans la vie, rien de précis à quoi se raccrocher. Elle avait réussi à repousser la seule personne avec qui elle aurait pu finir sa vie. Et elle avait déjà rencontré ce Denish, il n’était pas si terrible, il était même plutôt gentil et drôle. Tous ses amis avaient continué, eux, elle ne leur manquerait pas beaucoup si elle venait s’installer en Inde. Lavande, si, mais peut-être que son futur mari accepterait qu’ils aillent en Angleterre régulièrement. Futur mari… Elle n’aimait pas trop comment cela sonnait, mais peut-être qu’elle ferait mieux de voir ce que cela pourrait donner ?
« मैं माफी चाहता हूँ, लेकिन आप मेरी ड्राइंग पर चल रहे हैं. »
Elle baissa les yeux. Perdue dans ses pensées, elle n’avait pas fait attention à la direction qu’elle prenait. Elle se tenait devant un stand de plumes multicolores et de bouteilles d’encre. La voix appartenait à une fillette d’une douzaine d’années assise par terre devant une feuille… sur laquelle elle marchait, effectivement. Elle se dépêcha de retirer son pied et s’accroupit pour être à la hauteur de la fillette.
« Je suis désolée, commença-t-elle en hindi, je ne regardais pas où je marchais.
- Ce n’est pas grave, je suis souvent distraite aussi, répondit la fillette avec un sourire. Vous n’êtes pas d’ici ?
- C’est vrai. Je suis anglaise. Enfin, mes parents sont nés en Inde mais moi en Angleterre.
- Oh c’est vrai ? Vous avez dû aller à Poudlard alors ? Mais je ne disais pas ça pour ça en fait… Vous avez l’accent kannada.
- Oh, je ne savais pas que j’avais un accent kannada… Je pensais qu’on n’entendait que mon accent anglais.
- Les gens ne font pas la différence, la plupart du temps, expliqua la fillette avec un sourire indulgent. Mais êtes-vous allée à Poudlard ? Est-ce que c’est aussi fantastique qu’on le raconte ?
- Oui, j’y suis allée, et c’est encore mieux que ce qu’on raconte. Comment tu t’appelles ? Tu vas dans une école aussi ?
- Je suis Shradda. Je ne vais pas encore à l’école, je n’ai que onze ans et c’est à douze ans pour les filles. J’espère pouvoir aller à celle de Calcutta, on y enseigne la peinture et le dessin.
- Donc tu aimes dessiner ? » Parvati ne put s’empêcher de penser à Dean. Elle se demandait s’il savait qu’il existait des écoles sorcières où l’on apprenait les arts, lui qui avait toujours regretté qu’il n’y ait pas d’option de ce genre à Poudlard.
« Oui, j’adore ça ! J’ai appris avec un oncle qui avait étudié à Paris. Ici, il est peintre en bâtiment pour gagner de l’argent, mais il m’a appris tout ce qu’il savait. Il m’a dit qu’un marché était un très bon endroit pour s’entraîner, c’est là où on voit le plus de choses et de gens différents. Et comme mon frère vient vendre ses plumes, je l’accompagne… C’est quoi votre prénom à vous ?
- Parvati, je m’appelle Parvati. Tu trouves vraiment des choses au marché ? Pour être honnête, je n’aime pas beaucoup cet endroit…
- Je sais, répondit Shradda, ça se voit… Je vous observais depuis tout à l’heure, vous aviez l’air très crispée, comme si vous vouliez être n’importe où sauf ici…
- C’est un peu vrai… Ma mère m’a envoyé faire des courses pour un dîner auquel je ne veux pas assister.
- Je connais ça. La mienne passe de plus en plus de temps à me présenter des « jeunes hommes convenables » qui ont parfois le double de mon âge et sont un peu bêtes… Ils ne savent même plus jouer ! »
Parvati la regarda d’un air surpris. Le mariage arrangé, c’était une chose pour elle, une « vieille » de vingt-sept ans qui ne savait pas trop où elle allait, mais une fillette de dix ans… Elle observa Shradda plus attentivement. Malgré son sourire rayonnant, elle ne semblait pas en pleine forme. Ses vêtements étaient usés par endroits, et ses crayons et pinceaux n’étaient pas tous neufs… Même les pigments qu’elle utilisait pour faire sa peinture avaient perdu leur couleur… La fillette venait sans doute d’une famille peu aisée, pour qui la marier était le moyen d’avoir une bouche à nourrir en moins. Elle avait souvent entendu parler de filles dans ce cas, mais cela ne lui avait jamais paru aussi réel qu’en cet instant.
« Ne faites pas cette tête-là Parvati ! Vous savez, c’est le cas chez la plupart de mes copines, et je sais que beaucoup de filles sortent de l’école pour se marier. Moi tout ce que je veux, c’est que mon mari me laisse venir au marché pour dessiner, sinon je serai trop malheureuse…
- Qu’est-ce que tu dessines ici ? Les étals ?
- Plutôt les gens. J’aime beaucoup dessiner les gens, et c’est là qu’on en croise le plus, et qui sont très différents. Et puis, il y a de belles couleurs.
- Ah bon ? Je trouve qu’elles sont plus jolies sur les marchés moldus…
- Vous dites ça à cause des fleurs et des pigments ? C’est vrai qu’ils ont de belles couleurs. Mais ici, entre les sorts et les potions, mélangés au soleil et au rose des murs, il y a une lumière qu’on ne trouve nulle part ailleurs. Cela fait ressortir les émotions sur les visages des gens, et c’est plus facile de les dessiner. En fait, quand je serai grande, je voudrais faire des portraits. Comme ça je pourrai montrer comment sont les sorciers indiens, à quoi ils pensent, quels sont leurs rêves. Surtout les filles, parce qu’on est beaucoup à ne pas pouvoir choisir quoi faire de notre vie, alors au moins je les laisserai s’exprimer… Mais déjà ici, au marché, je parle avec les gens qui passent comme vous, ils me racontent leur vie et souvent je fais leur portrait et ils me l’achètent ensuite. Mon père me laisse garder l’argent et je commence à avoir une petite somme de côté, c’est bien.
- Et là, tu dessines quoi ? » Demanda Parvati, réellement intriguée. Cette petite fille faisait bien plus que son âge dans sa manière de parler, et elle paraissait comprendre beaucoup de choses à seulement onze ans. Elle-même n’était pas aussi intelligente au même âge.
« Là ? C’est vous ! Je vous ai dit, je vous regardais depuis tout à l’heure ! » S’écria la fillette en lui tendant le dessin.
Parvati baissa les yeux. Effectivement, sur la feuille, en dessous de l’empreinte de sa sandale, elle voyait son propre regard agacé, sa tresse noire sur le côté, et sa chemise violette. Le portrait était très réaliste, Shradda avait fait un bon travail. La meilleure partie était le fond cependant. Le marché était représenté derrière, dans toute sa diversité et sa vivacité. Pour la première fois, sur ce dessin, Parvati voyait ce dont parlait la fillette, l’ambiance, la lumière, les couleurs. Pour la première fois, elle trouvait un intérêt à ce marché.
Quand elle rentra quelques heures plus tard, Parvati avait oublié les épices, et avait laissé toute sa bourse à la fillette en échange du portrait. Elle lui avait donné son nom et son adresse à Londres en lui faisant promettre de lui écrire pour lui raconter sa rentrée l’année suivante, et si elle avait besoin d’aide de manière générale. Et elle avait pris une décision.
Elle annonça à sa mère et ses tantes que c’en était fini des dîners. Elle ne se marierait qu’avec quelqu’un qu’elle aimerait vraiment, tant pis si elle ne trouvait pas avant ses cinquante ans. Elles pouvaient dire à Denish de ne pas venir. Elle annonça aussi qu’elle partait le lendemain. Rien ne la retenait ni à Jaipur, ni à Londres, si ce n’était Padma et Lavande qui pour l’instant s’en sortaient bien sans elle. Elle partirait donc en voyage, en train, pour découvrir l’Inde qu’elle ne connaissait pas.
Après tout, elle avait la vie devant elle, elle pouvait bien prendre son temps.
La phrase en hindi signifie "Excusez-moi madame, mais vous marchez sur mon dessin." Ou à peu près :mg:
Jaipur est la capitale du Rajasthan, un état du nord de l'Inde, où on parle l'hindi. Hampi se situe dans un état du sud, le Karnataka, où on parle le kannada, et on y trouve de très beaux temples :)