Alors que je suis supposée bosser à fond le bac, j'écris. C'est court mais j'espère que cela vous plaira! :)
Elle disait : « tu n’as pas le droit » et sa tête se renversait. C’était presque tendre, cette amertume qui roulait au fond de son gosier. Le dos bien droit dans sa nuisette blanche, elle avait cet air surréel. Victoire disait que maman était la plus belle, comme dans les contes que Gabrielle nous chuchotait, le soir. Le fiel engourdissait ma langue et je la mordais, violemment, de mes dents bien droites. Je saignais, parfois.
Les aphtes courraient contre ma langue. Je disais que c’était la faute à l’ananas et Maman me dévisageait de ses yeux livides. Cela résonnait drôlement contre mes oreilles : « c’est la faute à l’ananas ». On en mangeait peu, pourtant. Maman préférait les fruits rouges et sanguins qui éclataient contre les dents. Victoire s’en tartinait allègrement les lèvres, le palais à découvert. Maman la regardait avec cet orgueil maternel débectant en soufflant que sa fille était une vraie française.
Je serrais les dents. Je haïssais ces manières de précieuses ridicules qui ondoyaient contre la clavicule. J’écrasais la France, elle se coinçait dans ma gorge et je la dégueulais. Maman était horrifiée du pugilat. Elle me répudiait. Le port impérial, elle me balançait derrière la dune de la chaumière aux coquillages. Papa ne disait rien, un battement de cils murmurant un « amuse-toi bien » indigne.
J’écrasais les crabes de mes pieds ensanglantés, parait que les français adoraient cela. Puis, je battais les algues contre les rochers, comme un hymne que j’inventais pour mon pays imaginaire. La mer s’enroulait autours de mes chevilles rousses et je gloussais. L’air tyrannique, je détruisais la chaumière avec des carcasses d’abats marins, brisant les carreaux : Maman était furieuse. Elle me renvoyait dans ma chambre, au pain sec plein de sable et à l’eau de mer. Malheureuse pénitence. J’étais au bagne, le sable entre les doigts de pieds, l’estomac vide.
Le crâne bien enfoncé sous les couettes, j’entendais le bruit des couverts. J’imaginais l’infâme nourriture contre mes dents et je la recrachais. La fenêtre tremblait et l’orage grondait. La mer hurlait, s’ébrouant contre la dune de la chaumière aux coquillages. Elle réclamait sa fille, furieuse de l’enlèvement. Elle voulait se rouler contre mon flanc. Dans la cuisine, Maman posait les plats contre le bois de la table.
Mes ongles s’enfonçaient dans le matelas que je bourrais de coup. Le coton rêche était Fleur. Fleur était rêche. Je frappais le coton rêche. Je martelais mes poings sur Fleur. Fleur était Maman. Maman était Fleur. Fleur était française. Je détestais la France. Je détestais Maman.
Le sommier grinçait et Maman faisait claquer ses talons sur les marches de l’escalier, menaçante. J’avalais le coton rèche avec fureur. Les talonnettes de Victoire grinçaient sur le parquet blond, riant derrière Maman, lui chuchotant des mots sucrés. Et Maman soupirait, jouissant presque de cette maternité heureuse. Contre la porte, je grondais et les talons claquaient.
Fleur s’est coincée dans ma gorge, elle était toute rêche.