Il pénétra dans la Grande Salle, et ce qu'il y vit le figea.
Des corps. Des dizaines de corps, allongés les uns à côté des autres. Tous les sorciers qui avaient péris durant la bataille.
"Poussez-vous... "
La voix le ramena au monde réel. Il se décala pour laisser passer les deux sorciers, qui portaient un autre cadavre. Remus.
Ce fut ensuite Tonks que l'on amena.
Ses jambes tremblaient. Bon sang, que faisait Fred ? Pourquoi n'était-il pas encore là ? Et les autres ? Bill, Charlie, Ron, ses parents... Et même Percy ? Il se sentait terriblement seul. Il avait mal au ventre, aussi. Et une sensation de vide au creu de la poitrine, sans qu'il ne puisse l'expliquer.
Il ouvrit les yeux. Quand les avait-il fermés, d'ailleurs ? Et quand avait-il posé son front brûlant contre le mur glacé ?
Fred... Dépêche-toi...
Il se décida finalement à aller s'agenouiller auprès des corps de Remus et Tonks. Pour leur dire adieu. Leur dire qu'ils avaient fait le bon choix en désignant Harry comme parrain. Que tout le monde s'occuperait bien de leur fils.
C'est là qu'il le vit. Allongé, les mains sur le poitrine, pâle comme la mort... Mais il ne pouvait pas l'être, mort. C'était impossible.
Non, c'était tout simplement une blague de très mauvais goût, comme il en faisait parfois. Oui. Voilà, c'était ça. Dans une seconde, il allait se relever, son éternel sourire sur les lèvres. Et il rirait de la tête de son jumeau. Rirait de sa pâleur. Rirait de son expression figée. Rirait, tout simplement. Comme il le faisait d'habitude.
Mais il ne se releva pas. N'esquissa pas le moindre demi sourire. Ne le contempla pas de ses yeux bleus rieurs.
D'ailleurs, c'était la seule différence entre eux deux, leurs yeux. Si on omettait les oreilles, bien sûr. Fred les avait bleu lac. Lui, bleu mer.
A moins que ça ne soit l'inverse. Il faudrait qu'ils vérifient. Dès que Fred ce sera relevé. Dès qu'il mettra fin à cette stupide blague.
Mais Fred ne se relevait toujours pas. Peut-être que ce fut à ce moment là qu'il cria. Qu'il se mit à courir. Qu'il hurla le prénom de sa moitié. Ou peut-être qu'il le faisait déjà depuis un moment. Ça aurait expliqué sa voix, qui lui semblait étrangement enrouée.
Les gens autour le regardait bizarrement. Peut-être était-ce de la pitié. Peut-être qu'ils étaient scandalisés qu'il brise le silence religieux.
Il en riait, autrefois, avec Fred. De leurs têtes. Quand ils étaient scandalisés. Ils faisaient les gros yeux, fronçaient les sourcils. Ou bien pinçaient les lèvres et les regardait d'un air faussement méprisant.
C'était à celui qui faisait l'imitation la plus hilarante. Ou au premier qui dirait "Je suis trop beau pour ce genre de truc."
Ils l'étaient, beaux. Tous les deux. Lui aussi. Même allongé, blanc comme un linge, il était beau. Pas aussi beau que lui, non. C'avait toujours été lui le plus beau, ils le savaient tous les deux. Mais fallait reconnaître qu'il était pas mal non plus.
Depuis combien de temps était-il parvenu aux côtés de son jumeau ? Impossible à savoir. Tout ce qu'il savait, c'est qu'il hurlait des paroles plus incohérentes les unes que les autres. Il ne savait même pas de quoi il parlait. Il ne s'entendait plus. Quelques mots ressortaient du lot, comme "blague stupide", ou "humour de merde", et il croyait déchiffrer quelque chose à propos de l'endroit où il pouvait mettre cette "putain de plaisanterie".
Il devait hurler très fort, car sa voix se brisa d'un coup, lui laissant un mal de gorge épouvantable. Comme quand il était petit, et qu'il attrapait froid après une bataille de boule de neige. Fred lui demandait toujours de lui tousser dessus, pour qu'ils soient tous les deux malades. Comme ça, personne n'abandonnait personne.
Il ne pouvait pas être parti. Il ne pouvait pas l'avoir laissé.
Il se souvenait d'une de leur dernière discussion, alors qu'ils observaient les mangemorts s'acharner contre la barrière. Enfin, si on pouvait appeler cela une discussion.
Juste quelques mots.
*"Ça va, Fred ?
- Ça va, Georges.
- Moi aussi."
Et ils s'étaient compris. Pas besoin d'un regard. De plus de trois mots. Ni même d'un sourire. Juste une phrase.
Et puis, il était là. Mort. Tué par ces putains de mangemorts. Par ce psychopathe au nez plat.
Il se rappela une blague que Fred lui avait faite, à ce sujet.
"Qu'est-ce qu'on a de plus que Tu-Sais-Qui ?
- Un coeur ?
- Perdu, Georgie. Un nez."
Et ils avaient éclaté d'un rire idiot. Parce que c'était idiot, comme blague. Et même pas drôle. Mais bon, c'était mieux que rien.
Ce genre de blagues, ils les réservaient pour lorsqu'ils étaient entre eux. Ils les écrivaient sur un bout de papier dès qu'ils y pensaient, puis, se les échangeaient. Et chacun décidait lesquelles allaient être divulguées parmi celles de l'autre. Il n'y en avait que très peu qui résistaient à ce tri. Les autres, ils les mettaient dans une boîte en carton, soigneusement rangée dans leur placard.
Enfin... Soigneusement... Tout dépendait de la façon de voir le monde. Pour un Weasley, il n'y avait pas plus soigneux. Pour les autres... C'était une autre histoire.
Il aperçut vaguement une mèche rousse devant ses yeux. Il ne releva même pas la tête. Le parfum rassurant lui suffisait. C'était sa mère, sa douce mère, qui venait de perdre une de ses progénitures. Mais elle ne pouvait pas comprendre. Personne ne pouvait comprendre ce qu'il ressentait. Personne n'avait ce gouffre au milieu de la poitrine, cette tête dix fois trop lourde, et pourtant dix fois trop vide, ces paupières trop lourdes pour être soulevées... et cette envie d'en finir une bonne fois pour toute, de mourir pour de bon, de rejoindre son frérot...
- Papa ? Papa ?
George secoua la tête. Il s'était laissé emporté dans les vagues de ses pensées, comme parfois, avant que son fils lui avait posé une question. Sa première question.
- Désolé, Freddie. Tu disais ?
- Tu me dis toujours que j'ai les yeux bleu lac et toi, bleu mer. Mais c'est quoi, la différence ?
Un sourire étira les lèvres du rouquin.
- C'est la même qu'entre Gred et Forge, Freddie.
Fred ne l'avait pas abandonné, tout compte fait, songea-t-il en ébouriffant les cheveux carotte du petit.