C’est innocent l’innocence. C’est une chose blanche, lisse et ronde que l’on n’imaginerait pas une seconde pouvoir entacher. Hermione dévisage le nourrisson dans le landau. L’innocence. Elle n’ose jamais le prendre entre ses bras, elle a trop peur de le faire tomber. Elle continue à fixer le poupon qui dort, ses paupières closes dévorant son visage. Elle espère que ses cheveux se mettront vite à pousser, c’est laid un bébé chauve. Pire qu’un bébé roux. Elle s’avance dans la cuisine pour se servir un verre. Ses mains tremblent quand elle appuie le goulot contre le verre. Le liquide ambré coule puis le flot se tarit. Hermione tremble toujours.
Elle vide son verre d’un trait. Elle manque de le renverser.
Elle aime penser que, quand son corps sera trop abimé, en enlevant son manteau, avec partiront la peau et les os. Ce sera joli accroché à la patère, d’un certain style. Si jamais Ron n’est pas d’accord, il est toujours réticent face à l’art moderne, elle pourra toujours faire de son squelette, un de ces modèles que l’on trouve dans les écoles. Un squelette grandeur nature sur un socle en bois entre la bibliothèque et la télévision. Hermione s’assoit, ses jambes ne peuvent plus la porter.
Elle ne se sent pas très bien. Elle fronce les sourcils. En fait, elle sent bien la présence de ses organes lourds et de ses muscles tendus. Ce qu’elle oublie plutôt, c’est la présence du monde qui l’entoure. Pour rester concentré, elle fixe son attention sur les couleurs. Blanc, le nouveau-né qui soupire enfoui dans ses rêves. Qu’il y reste. Orange, Pattenrond qui se frotte contre ses mollets puis s’en va aussi vite.
Ce n’est pas très agréable de se frotter contre une aiguille.
Hermione reporte son attention sur l’ange endormi. Assoupi. C’est mieux ainsi, quand la fillette dort, que ses grands yeux bleus ne la fixe pas. Ils l’ont appelée Rose. Comme la couleur, la fleur. Chaque jour Hermione regrette son choix. Elle n’y pense pas tout le temps, non, juste quand Ron part travailler, rentre. C’est « Coucou Rose, passe une bonne journée avec maman ! », c’est « Ma Rosie, tu t’es bien amusée aujourd’hui ? ». Elle ne sait pas vraiment ce qui l’embête. Ce ton joyeux, l’homme heureux par excellence. Le baiser qu’il dépose sur les lèvres de sa femme ou l’espace entre ses bras qu’elle ne sait pas combler.
Non, définitivement elle ne sait pas.
Ron arrive, elle entend le bruit de ses pas dans l’entrée. Hermione chancèle mais se lève. Elle est courageuse, c’est une ancienne Gryffondor. Elle se place dans l’angle du mur. Son mari roux pose ses mains sur sa taille et l’embrasse.
Avant le baiser du prince pour sa (ô combien merveilleuse) femme, il y a le silence. Une absence de bruit, épaisse comme de la soupe. Ses doigts à lui sur ses hanches aiguisées comme des couteaux de cuisine, à elle. Il ne dit rien parce qu’il ne l’a jamais fait. Il pourrait le faire. De temps en temps, la bouche de Ron forme un parfait arrondi. Il raffermit sa prise et s’élance.
Dans ces moments-là, c’est Hermione qui dépose un fougueux baiser sur ses lèvres. Il oublie tout, ne pense qu’à sa femme. La passion, l’amour. Ils ont nommés leur fille, Rose, en voilà une coïncidence !
Quand ils se détachent, Ron garde un bras sur sa femme, son attention rivée sur sa future poupée à qui il devra tout apprendre. Etre un modèle, un artiste. Ne pas gâcher la toile et ne pas gaspiller les couleurs.
Les joues d’Hermione sont définitivement pâles, ses articulations profondément creuses.
Il se retourne et sourit.
— Que mangeons-nous, ce soir ?
Les jambes de la jeune femme ploient sous le poids de son crâne qui se fissure. Elle s’accroche à son mari qui prend cela pour une étreinte langoureuse. C’est tellement vrai. Une étreinte et de la langueur.
Ses os battent plus fort que son cœur. Ce sont des osselets que l’on secoue un peu partout.
— Je ne sais pas mon chéri. Je n’en ai aucune idée.
Elle pense à Rose, à ses bras potelés, à son rire explosif qui explose comme des rayons x dans le corps vide de sa mère. Qui l’expose. Elle pense tellement à Rose que ça lui brûle la rétine, tout ce Rose et ce blanc. S’ils avaient eu un garçon, ils auraient dû l’appeler Cupidon.
— Je n’ai pas très faim, ce soir, mon amour.
L’amour de Ron n’a pas très faim. Il hurle de faim, il en crève.
Il en rêve son amour, il a juste besoin d’innocence.