Une maison vide
Il boit. Une bouteille. Parfois deux quand les larmes commencent à couler lentement sur ses joues. Il veut oublier. Mais c'est impossible.
Maman, elle, elle fait le ménage. Un peu. De plus en plus souvent. Tout le temps. Il boit et elle lave. Ils veulent tous les deux oublier. Mais c'est impossible.
Je le regarde boire. Aujourd'hui, il ne pleure pas. Il retient ses larmes. Il est courageux mon papa. Digne de sa maison. Il pense à ce qu'il s'est passé, quelques années plus tôt. Je le vois dans son regard sombre. Le même que celui de Maman. Tous les deux, ils ne vivent plus. Ils se contentent juste d'exister. Et leur existence se résume à boire ou à faire la vaisselle, même quand ce n'est pas nécessaire.
Ils me manquent. J'aimais quand ils s'occupaient tellement de moi, qu'ils ne pensaient plus à cette foutue guerre. Mais, j'ai grandi, ils se sont vite lassés de me faire mon goûter, ils sont vite retombés dans leur chagrin.
Maman ramasse la bouteille vide sur la table. Elle frotte la table de toute ses forces, comme s'il y avait une tâche, mais il n'y a rien. Elle range le sous-verre dans l'armoire.
Notre maison est méconnaissable. On ne voit pas que c'est une maison où vivent un couple et trois enfants. On dirait une maison sans rien. Où il n'y a plus de vie, tellement elle est rangée et nettoyée. Ce n'est pas faux. On ne vit plus beaucoup. Papa et Maman existent, et nous, nous essayons de ne pas les déranger. Mais, on le sait, ils n'attendent que le moment de pouvoir rejoindre leurs amis défunts.
Chez Oncle Ron et Tante 'Mione, c'est la même chose, ils s'occupent et ne font pas attention à leurs enfants. On ne fait rien. On ne dit rien. On ne montre pas que nous, nous aimerions vivre.
Aujourd'hui, James est parti chez un ami, comme d'habitude. Je le comprends, il doit en avoir marre de cette despérante routine. Al' est enfermé dans sa chambre avec des livres, attendant impatiemment la rentrée. Moi aussi je l'attends. Pas parce que j'aime étudier, mais parce que je veux voir des gens qui font plus qu'exister. C'est peut-être méchant ce que je dis, mais j'aimerais que nos parents aient une dispute, ça éviterait le silence pesant qui règne dans notre grande maison. Ça n'arrivera pas bien-sûr, ils ont déjà une occupation.
Papa finit la bouteille et la dépose sur la table. Maman -jusqu'ici restée immobile avec ses mains dans l'évier, parce qu'il n y avait pas de vaisselles à laver- se précipite sur la table, et la nettoie après avoir jeté la bouteille.
Mes parents sont détruits. Détruits par la guerre. Une guerre à laquelle eux-même ont mis fin. Une guerre, qui sans eux, seraient peut-être encore là. Mes parents attendent la mort. Mes parents ne vivent plus. Ils ne font qu'exister.