Oh, Maman...
Enfermée dans sa chambre, elle pleure.
Je viens d'appeler Victoire pour lui souhaiter un bon anniversaire. Je ne suis resté qu'une minute au téléphone avec elle. Je ne peux pas me permettre de parler du beau temps avec ma cousine, si j'entends des sanglots étouffés dans un oreiller tout près de moi. Je décide de retourner dans ma chambre, mais je vois une petite rousse postée devant la chambre où s'échappe les pleurs. Je vais la rejoindre sans faire de bruit. Je pose ma main sur l'épaule de ma petite sœur et m'assis à sa droite, les yeux fixant la chambre de nos parents.
Après une minute, je n'en peux plus. C'est un supplice pour moi d'entendre ça. Je ne sais pas comment fait Lily, mais elle doit être plus forte que moi. Je me lève brusquement, ayant mal aux oreilles d'entendre ma maman pleurer ainsi. J'ouvre la porte, invite Lily à me suivre avec un signe de tête, mais elle reste assise en tailleur à regarder le sol. J'entre donc seul dans la chambre où Maman ne lève même pas sa tête pour voir qui c'est. Je m'installe à côté d'elle et la serre dans mes bras. Sa tête toujours collée à son oreiller, elle bredouille quelques mots, presque inaudible, mais que je comprends en déduisant:
– Quinze ans! Quinze ans qu'il est mort! Jour pour jour! De temps en temps, j'ai l'impression de le voir, à travers notre frère. Mais ce n'est pas lui. Fred n'est pas Georges. Georges n'est pas Fred.
Elle lève enfin sa tête dans ma direction. Je me blottis contre elle, comme quand j'étais petit. J'oublie le fait qu'à dix ans, je n'accepte plus les câlins. J'oublie ça, pour ma maman.
– Raconte-moi une de ses histoires, dis-je doucement.
Je crois voir un sourire illuminer son visage, avant que je ne m'aperçoive qu'elle a des grosses cernes, des yeux rouges et un teint pâle. Pourtant, je suis content qu'elle m'adresse un sourire. Même un faible. Ça me réchauffe le cœur.
– Et ben, dit-elle en arrêtant de pleurer, Oncle Georges et lui ne se quittaient jamais. Ils étaient très farceurs. Tu imagines, toi, deux oncles Georges à supporter comme frère?
– Oh non! m'exclamé-je en rigolant avec elle.
Elle me raconte pleins d'anecdotes sur eux deux, et puis Lily vient nous rejoindre. Elle se serre contre Maman et l'écoute aussi attentivement que moi.
Une heure après, Al vient nous rejoindre. Il demande à Lily s'il peut prendre sa place pour qu'elle puisse s'asseoir sur ses genoux, ce qu'elle accepte. Tous les trois, recroquevillés dans le lit, nous écoutons notre maman qui raconte de magnifiques histoires.
C'est ainsi que se passe la journée tant redouté du deux mai; dans les rires et la bonne humeur. Quand je vois Maman sourire en mimant les histoires des jumeaux, j'oublie ce qu'elle a pu vivre. Elle oublie aussi. Du moins pour l'instant. Le soir, nous retournerons dans nos chambres, et j'ai peur de la laisser seule dans son chagrin. En attendant, il ne faut pas penser à ce qu'il va se passer, il faut profiter du moment. Un moment inoubliable. Un moment magique. Un moment unique.