Bienvenue à toutes dans cette nouvelle aventure!
Comme vous pourrez vite le voir, j'ai accordé beaucoup d'importance au réalisme, et chez moi, cela passe par une attention accrue quant au cadre historique - d'où des petites notes en bas de pages qui peuvent, éventuellement, éclairer quelques points obscurs. Si bien sûr vous constatez des erreurs ou des anachronismes, n'hésitez pas à me le signaler.
Egalement, je ne vous cacherai pas que cette fic s'éloigne totalement de l'univers magique d'Harry Potter et qu'elle se rapproche, à certains égards, du fabuleux roman de Charlotte Brontë, Jane Eyre. Avant que l'on ne m'accuse de plagiat, je préfère préciser que cette histoire n'est en rien la "transposition" textuelle du roman anglais, ce dernier est seulement le point de départ de mon imagination.
Bien sûr, les personnages de Severus, Hermione, Lucius et Ron sont à la propriété de JKR, je ne fais rien d'autre que de leur inventer une vie abracadabrante, sans qu'il y ait cependant la moindre trace de magie.
Le ton était sans appel.
Hermione ravala un soupir de frustration - vraisemblablement, il lui faudrait souffrir un refus de plus.
Fixant le ruban de satin bleu qui retenait nonchalamment les boucles blondes de son interlocutrice, elle délibéra hâtivement sur la conduite à tenir.
Les murs lambrissés du cabinet lui renvoyaient son malaise en pleine face ; les reliures en maroquin clamaient son imposture et les illustres aïeuls enchâssés dans leur grand cadre doré semblaient la dévisager avec méfiance.
Même le châle persan somptueusement brodé, ruisselant sur les accoudoirs d’acajou, révélait ce monde auquel elle n’appartenait pas.
« Vous devez comprendre, Miss Granger, que je ne peux vous engager avec votre bonne foi pour seule recommandation. Il me faut des preuves quant à la qualité de votre instruction. Avez-vous au moins eu une gouvernante ? »
« Non » souffla-t-elle en rougissant. « Ma tante s’en est chargée ; elle-même avait reçu une éducation soignée », crut-elle bon d’ajouter.
« Votre tante ? » reprit Lady Eleonora en haussant un sourcil. « Et qu’en est-il de vos parents ? »
À son grand dam, l’illégitimité de leur nouveau palefrenier s’était éventée ; et parole d’honneur, il n’y aurait pas une bâtarde de plus sous son toit !
« Ma mère est morte en me mettant au monde », répondit-elle d’un timbre désincarné. « Mon père était capitaine… il n’aurait pu s’occuper seul de… il… il m’a donc confiée à sa soeur. Mais comme la révolution enflait, sans compter la guerre contre l’Autriche qui menaçait, mon oncle a décidé de s’exiler en Angleterre sous prétexte d’implanter une manufacture de textiles. Apparemment, le marché était en pleine croissance, avec toutes vos innovations techniques*… »
Hermione eut une inflexion songeuse.
« D’après le journal de ma tante, nous sommes partis en mars 1792. J’avais à peine six mois. Mon père projetait de nous rejoindre… mais il a été exécuté… en novembre 1793… pour avoir accueilli des hors-la-loi à son bord. Girondins*, forcément », finit-elle dans un simulacre de rire.
Étrange sensation que de narrer ce fragment de vie dont elle ne se souvenait rien ! Elle avait beau le visualiser, l’examiner, l’ausculter méticuleusement, il se dérobait toujours, refusant de s’incarner à chacun de ses mots.
Ce n’était pas la première fois qu’elle prononçait ces formules au goût dessalé ; et généralement, les vagues de pitié qu’elles suscitaient l’incommodait, telle une nausée persistante.
Néanmoins, elle guettait avec curiosité la réaction de la femme qui lui faisait face. Depuis le début de l’entretien, celle-ci affichait une maîtrise olympienne. Son teint de marbre allait-il laisser entrevoir fugitivement une veine palpitante ? À moins qu’un éclair de compassion ne traverse ses yeux d’un bleu céruléen ?
Lady Eleonora prit une vive inspiration :
« Pourquoi avez-vous finalement choisi de partir en pension ? » Ses lèvres se plissèrent. « Que je sache, les institutions de charité n’enseignent rien d’autre que les bonnes manières et autres accomplissements. »
Hermione se crispa, n’aimant guère les voix gorgées de certitudes.
« Je n’ai pas véritablement choisi, Madame. Ma tante a décidé de retourner en France après le décès de son mari… Et puis, l’usine était au bord de la faillite… La concurrence, Liverpool, Manchester, … » tenta-t-elle d’expliquer. « J’aurais pu rentrer avec elle mais… - elle soupira - mais vu notre situation, seul le couvent aurait été une issue honorable. Tandis que le pensionnat permettait… »
« Oui, oui, les pensionnats populaires se targuent de façonner de parfaites ladies. Mais je n’ai ni besoin d’une femme d’intérieur, ni d’une dame de compagnie. Retournez donc dans votre école et tâchez de contracter une alliance satisfaisante : voilà le seul avenir respectable. »
La maîtresse de céans se leva dans un bruissement de soie. Consciente d’outrepasser les règles de la bienséance, Hermione ne put pourtant s’empêcher de rajouter précipitamment :
« Veuillez excuser mon impertinence, Madame, mais j’ai la présomption de croire que mes capacités répondront à vos exigences. »
Surprise et confusion colorèrent brièvement ses joues pleines. De toute évidence, cette candidate ne manquait pas de persévérance, quoique cela fut irritant.
« Miss Granger » lâcha-t-elle enfin, « mes décisions n’ont pas l’habitude d’être discutées. » Elle agita impatiemment la main. « Cependant, en vertu de votre assurance quelque peu déroutante… » observa-t-elle d’un air pincé, « quels enseignements seriez-vous apte à dispenser ? »
Hermione esquissa un timide sourire.
« Je suppose que vos enfants ont déjà acquis tous les rudiments ? » Elle espérait que sa question ne soit pas trop offensante.
« Vous parlez français, je présume ? » coupa-t-elle en guise de réponse.
« Oui, couramment. Et j’ai de bonnes notions en grec et en latin », enchaîna-t-elle rapidement.
« Des connaissances en histoire et en géographie ? »
« J’ai beaucoup lu à ce sujet, Madame. Ainsi que des écrits philosophiques. »
« Vraiment ? » scruta-t-elle, sceptique. « J’ignorais que l’on trouvait de tels ouvrages en pension. »
« C’était ceux de mon oncle » murmura-t-elle. « Il était assez fin lecteur. »
Elles s’observèrent discrètement.
« Jouez-vous d’un instrument, Miss Granger ? »
« Du pianoforte. Je pourrais leur apprendre la musique… si vous le souhaitez. »
« Cela va sans dire. »
Le silence se fit plus dense.
Hermione devina confusément que le verdict était imminent.
Glissant un oeil fasciné vers ces flots vivants de mousseline, elle fut étonnée de découvrir ses traits de patricienne adoucis par la réflexion.
« Je vous engage à l’essai jusqu’aux premiers jours de novembre », énonça-t-elle finalement. « Nous passons traditionnellement l’hiver en Italie. D’ici là, faites vos preuves et j’aviserai de la situation avant notre départ. »
Hermione eut à peine le temps d’assimiler la nouvelle que la cloche retentit impétueusement, et quasi instantanément, un homme en livrée rouge surgit de nulle part.
« Vous conduirez Miss Granger à l’intendante », ordonna-t-elle au valet qui s’inclinait.
Puis se tournant vers la jeune fille : « Miss Olivan vous attribuera une chambre et vous fera visiter le domaine. Pour toute question domestique, c’est à elle que vous vous référerez. »
Hermione acquiesça avec force.
« Vous viendrez me retrouver ici même, demain à dix heures. Nous établirons vos fonctions. »
À nouveau, elle souscrit vivement d’un signe de tête.
Le soulagement gonflait sa poitrine, des milliers de perspectives fleurissaient déjà dans ses yeux caramel.
Une onde d’allégresse la pénétra ; dans un frisson d’exaltation, elle se promit intérieurement d’être à la hauteur de sa tâche.
Soudain, elle perçut la moiteur de ses mains, et, légèrement défaillante, les essuya furtivement sur sa robe de batiste écrue.
Hermione sentit alors la pesanteur des deux paires d’yeux qui la cernaient avidement, et réalisant, embarrassée, qu’on attendait d’elle quelque chose qui lui échappait obscurément - que savait-elle du cérémonial de la haute société ? - elle exécuta une courte révérence en soufflant: « Je vous remercie, Lady Snape. »
oOo
* En cette fin du XVIIIè siècle, l'Angleterre est en effet beaucoup plus à la pointe de la technologie que la France.
* Durant la politique répressive de la Terreur qui suit la prise de pouvoir des députés montagnards en 1793 (avec Robespierre à leur tête) les Girondins sont massacrés, à l'instar des royalistes et des modérés.
J'espère que ce prologue vous a plu, comme toujours, vos remarques, questions et critiques sont très attendues!
à mercredi prochain pour le premier chapitre,
Ilda