La petite fille regardait pas la fenêtre, touillant d'une main distraite ses céréales qui nageaient dans son bol de lait. Ses cheveux blonds, qu'elle n'avait pas encore brossés, étaient en pagaille, vestiges indomptables de la nuit qui venait de se terminer.
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Victoire ?
La petite détacha les yeux des rafales de vents qui se déchaînaient dehors et regarda son père.
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Oui papa ?
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Je ne veux pas que tu ailles dehors aujourd’hui, c'est d'accord ?
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Mais pourquoi ?
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Tu risques de t’envoler mon ange, répondit son père en lui caressant tendrement la tête.
Victoire acquiesça docilement et replongea le nez dans ses céréales. Mais quelques secondes plus tard, ses yeux fixaient à nouveau la fenêtre. Bill eut un soupir mi-amusé, mi-inquiet et quitta la table. Fleur était partie par cheminette pour la journée voir sa sœur, et il se retrouvait seul avec sa fille. Impossible d'aller dehors et en plus de ça il avait un travaille monstrueux à faire.
Les Gobelins avaient exigé qu'il remplisse un nombre incalculable de papiers pour décrire les pièges présents dans les derniers endroits ou il était allé. Autant dire que ça allait lui prendre des jours !
Il posa sa tasse de café désormais vide dans l'évier, embrassa sa fille sur le front et alla chercher ses affaires. Il travaillerait sur la grande table en bois qui servait habituellement aux repas. Ainsi, Victoire saurait ou le trouver et lui pourrait surveiller la porte.
Lorsqu'il revint avec ses dossiers, sa fille n'avait pas bougé, le regard toujours perdu par delà la fenêtre, en plein cœur des éléments déchaînés. C'était étrange de la voir comme ça perdue dans ses pensées.
Au bout de dix minutes, il débarrassa le bol de sa fille d'un mouvement de baguette. Au bout d'une heure, il ferma les rideaux. Sa fille se tourna lentement ver lui, ses grands yeux bleus noyés d’incompréhension.
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Vas t’habiller ma chérie, dit il simplement. Tu pourras revenir après.
Sans un mot, Victoire se leva et monta les escaliers de la chaumière. Bill entendit la porte de la chambre de sa fille se fermer doucement. Les minutes passèrent puis elle redescendit, nageant dans un T-shirt qu'elle avait prit dans l'armoire de son père, avec un petit short en toile et tenant fermement conte elle un vieux chien en peluche. Elle se posta à coté de son père, attendant, le fixant de ses grands yeux bleus. Le jeune père la regarda puis d'un coup de baguette rouvrit les petits rideaux verts. Victoire eut un sourire éclatant, posa un léger bisou sur la joue de son père et reprit sa place, en haut du tabouret de bois. Elle posa son menton dans sa petite main, son doudou sur ses genoux et observa le vent et la mer qui semblaient lutter dans un combat titanesque.
Au bout d'un moment, elle se mit à gigoter. Elle semblait avoir besoin de quelque chose mais ne voulait pas quitter sa place. Son regard glissa vers son père, penché sur des liasses de papiers.
Elle tendit une petite main vers lui, réussit à attraper un parchemin qu'elle ramena vers elle... Et une plume apparut sous son nez. Elle l’attrapa avec un petit rire et se pencha sur son parchemin.
Ils restèrent ainsi toute la journée, chacun concentré sur son projet, entouré du bruit des plumes qui crissaient un peu. Le repas fut composé de fruits que Bill fit voler jusqu'à la table. Il ne voulait pas rompre ce moment qu'il partageait avec sa fille, moment dont il était sûr de se souvenir toute sa vie. Il avait l'impression que tout était suspendu à un fil, que le moindre élément perturbateur romprait l'équilibre et que tout se briserait.
Victoire semblait concentrée, et pouvait rester des heures sans lever la tête de son parchemin, puis tout à coup lever les yeux et rester ainsi à observer la tempête dehors jusqu'à ce qu'une nouvelle impulsion la pousse à se replonger sur son travaille.
Le soir venu, les flammes de la cheminée devinrent vertes et Fleur apparut devant eux. Ils restèrent ainsi, à se fixer tous les trois pendant un long moment, en silence.
Bill se leva et alla embrasser sa femme, pendant que Victoire courrait ranger son dessin, une funambule dans la tempête.
L'équilibre était rompu.