Hermione n'avait pas assez de ses deux yeux pour admirer le spectacle époustouflant qui s'offrait à elle. La foule de jeunes étudiants qui avait partagé la même diligence qu'elle s'agitait comme une horde d'insectes surexcités autour d'une lanterne. Ils se bousculaient les uns les autres, bavassant à tort et à travers en dépit des jeunes accompagnateurs vêtus de blanc qui tentaient de les discipliner.
La cité blanche, faste et éclatante sous les rayons du soleil, avait des allures de villes médiévales épurées avec son palais à la façade immaculée et ses bâtiments gothiques.
-C'est encore plus beau que sur la brochure, souffla t-elle avec admiration.
Elle restait immobile, les yeux rivés au palais, superbement indifférente au tapage des nouveaux qui ne semblaient pas disposés à se calmer. Deux mois plus tôt, elle avait reçu une lettre de la directrice l'informant qu'elle était acceptée dans l'établissement. Malgré son enthousiasme évident et son impatience, elle avait trouvé que ces quinze jours ne suffiraient jamais à préparer son départ pour l'université.
De plus, se séparer de ses amis avait quelques peu entaché l'avenir radieux qui l'attendait. À présent qu'elle se trouvait à Orvet Trinity, elle ne songeait plus aux funestes épreuves qu'elle avait traversé ces dernières années. Ses parents avaient eu raison de la pousser à quitter le pays. Ce changement radical était nécessaire pour distancer cette sombre époque de son existence. Le passé devait être aboli. Harry et Ginny se marieraient l'été prochain, Ron était redevenu son meilleur ami malgré leur interlude romantique et Voldemort n'était plus de ce monde. Hermione Granger pouvait enfin se consacrer à sa vie d'étudiante dans l'une des plus prestigieuses universités d'Amérique.
Un mouvement collectif la tira de sa contemplation. Obéissant aux ordres vindicatifs des guides, les étudiants se dirigeaient vers la forteresse blanche. Tout en suivant ses condisciples, Hermione se rappela que les accompagnateurs étaient des étudiants de dernier cycle, comme l'indiquait leurs uniformes immaculés. À Orvet, ils étaient appelés des Cornacs, représentants de la discipline dans l'établissement.
Hermione sentit une poigne d'acier lui serrer l'estomac et l'angoisse l'empêcha de respirer tandis que les larges portes s'ouvraient sur le hall d'entrée. De nouveau, la beauté des lieux la détourna de son inquiétude. Elle porta un regard fasciné sur les colonnes de marbres qui soutenaient le haut plafond où une fresque immense représentait des anges aux joues rondes qui s'ébattaient joyeusement parmi les nuages cotonneux.
Les murs aux reflets brillants n'étaient égayés par aucun tableau contrairement à Poudlard et comme elle admirait les lustres aux pampilles de Crystal qui flottaient dans les airs, elle comprit que le palais était lui même une œuvre d'art grandeur nature et que son style dénudé n'atténuait en rien sa splendeur. Absorbée par la beauté du hall, elle percuta un étudiant et s'excusa en bredouillant, n'ayant pas remarqué que tous autour d'elle s'étaient arrêtés.
En haut des escaliers aux marches habillées de rouge, une femme parée d'une robe sombre boutonnée jusqu'au menton venait d’apparaître. Hermione n'eut pas besoin de prêter l'oreille aux chuchotements intempestifs qui fusaient de part et d'autre pour nommer la dame austère au visage pâle qui les toisait depuis l'étage.
Il s'agissait d'Héliante Nymphalis, directrice d'Orvet Trinity et accessoirement, l'héritière légitime de la cité blanche construite par ces ancêtres en 1660. Malgré ses soixante ans révolus, Nymphalis avait gardé la jeunesse d'une femme âgée de la quarantaine.
-Si je pouvais ressembler à ça dans un siècle, chuchota une fille rousse chaussée de lunettes rectangulaire près d'Hermione.
-Silence! ordonna un Cornac à la carrure impressionnante.
Nymphalis leva ses mains et ce fut le silence complet. Sa voie claire et chantante résonna dans le hall d'entrée :
-Très chers élèves, bienvenue à Orvet Trinity. Pour ceux qui ne l'ont pas encore deviné, mon nom est Héliante Nymphalis, la directrice de cet établissement. Je suis ravie de vous accueillir à la cité blanche afin d'exalter vos acuités intellectuelles déjà hors du commun. Miss Fox, ici présente va se charger de vous répartir dans vos quartiers où vos uniformes vous attendent. Nous nous retrouverons dans une heure à la salle des réjouissances pour le déjeuner. La ponctualité et la discipline sont les maîtres mots de mon établissement, c'est pourquoi je vous demanderai expressément de les assimiler dés maintenant.
La dite Miss Fox parut à Hermione presque aussi avenante que la directrice dans sa robe mauve mortuaire. Son chignon de cheveux bruns mettait en avant son menton pointu et ses sourcils semblaient former un seul et même liseré noir au dessus de ses yeux globuleux. Jusqu'à ce jour, Hermione n'aurait jamais pensé éprouver ne serait ce qu'une pointe de nostalgie pour Rusard mais au regard de Miss Fox, elle préférait mille fois le vieux concierge rachitique de Poudlard.
-Maison de Jade, les élèves dont les noms suivent: D'Archambault Théodoric, Belikov Konrad Irvan, Hutz Siegfried...
-C'est mon frère ! s'exclama la rousse à lunettes, visiblement très fière.
Hermione lui adressa une esquisse pitoyable qui se voulait être un sourire. L'angoisse recommençait à la torturer. Et si elle n'était pas sur la liste ? Et si on l'avait oubliée ? Et si, au dernier moment, le directoire avait décidé qu'elle n'avait pas le niveau suffisant ? Elle tenta de surmonter sa crise d’anxiété en se répétant que tout allait se passer au mieux et que rien ne viendrait gâcher le plus beau jour de sa vie.
Ses parents s'étaient ruinés pour lui payer ces études exorbitantes, Mc Gonagall lui avait fait une merveilleuse lettre de recommandation et, en qualité de directrice de Poudlard, elle avait joué de son influence auprès du Ministère de la Magie pour qu'une bourse lui soit attribuée. Hermione estimait qu'elle méritait amplement sa place. Elle ne se faisait pas d'illusions, elle était entourée d'étudiants au potentiel égal ou supérieur au tien et elle rencontrerait sans doute des difficultés à s'intégrer mais elle était plus motivée que jamais. C'était son rêve d'enfant qu'elle était en train de réaliser ! Une université de renommée internationale qui regroupait l'élite des sorciers du monde entier.
-Maison d' Émeraude, reprit la voix caverneuse de Miss Fox qui brandissait un nouveau parchemin. Leclerc Frédéric Antoine, Limerick Llewelyn...
Hermione perdit le décompte car la rousse à lunettes qui se tenait toujours près d'elle s'était mise à gémir en se triturant fébrilement les mains. Elle fut un peu rassurée de savoir qu'elle n'était pas la seule à être nerveuse. Elle inspira profondément et redressa les épaules. Il était inutile de stresser outre mesure. Son tour allait venir très bientôt, elle allait découvrir ses appartements, rencontrer ses nouvelles camarades de chambre, enfiler son uniforme flambant neuf et voir la salle des réjouissances qui avait été décrit sur trois paragraphes dans son guide pour étudiants. Rien au monde ne saurait gâcher ces instants de bonheur.
- Malefoy Drago Lucius...
L'évocation de ce seul nom fit à Hermione l'effet d'une claque. Elle eu un hoquet de stupeur et vacilla légèrement sur ses talons. Rien au monde... Plaît t-il? Elle suivit des yeux le jeune homme aux cheveux blonds presque blancs qui se rangea près des autres garçons assignés à la maison d'Émeraude. Impossible, c'était impossible ! Elle devait être sujette à quelques hallucinations suite au long trajet et à l'anxiété Hermione ferma les yeux de toutes ses forces mais lorsqu'elle les rouvrit, elle apercevait toujours le profil impétueux et hautain de son pire ennemi. Drago Malefoy, celui qui avait fait de sa vie un enfer durant toutes ces années à Poudlard, celui qui avait fait entrer les Mangemorts dans l'école, causant la mort de Dumbledore...
Hermione aurait aimé croire que c'était une mauvaise farce, que ce n'était qu'une élucubration de son cerveau fatigué mais l'apparition était bien trop nette pour n'être qu'une hallucination. Les cheveux impeccablement coiffés, le teint pâle, le regard froid et intolérant... Elle sentit ses genoux se dérober sous elle et un bras secourable la retint de justesse.
-Est ce que ça va aller ? S'enquit la rousse à lunettes, inquiète.
Hermione hocha frénétiquement la tête pour la rassurer mais le malaise était croissant, se mêlant sournoisement à la colère contenue depuis trop longtemps. Comment un être aussi abjecte, doté d'une intelligence discutable et connu pour avoir été impliqué dans des activités criminelles de surcroît, avait t-il pu être admis à Orvet ? Tous les garçons assignés à la maison d'Emeraude désertèrent le hall avec leurs Cornacs et dès que l'ex-Serpentard eut disparu de son champs de vision, Hermione pu retrouver un semblant de sérénité.
-Maison Saphir, poursuivit Miss Fox, imperturbable. Bavarois Marie Elisa, Diggle Janet, Granger Hermione Jean, Hutz Corail ...
C'est dans un état de semi-conscience qu'Hermione suivit son amie de fortune jusqu'au rang qui commençait à se former sous l'œil sévère d'une Cornac ventripotente. Sa camarade pépiait joyeusement tout en la soutenant par le bras tandis qu'elles quittaient le hall mais Hermione était bien incapable de tenir une conversation, se contentant de formuler des réponses vagues.
Pourquoi diable fallait t-il que Malefoy se retrouve dans la même université qu'elle ? Pourquoi n'était t-il pas allé à Noirs Fusains, refuge par prédilection de la progéniture des feux Mangemorts ? D'ailleurs, il n'avait jamais trop été porté sur les études si ses souvenirs étaient bons ! Il ne s'était pas même présenté aux examens de rattrapage qui avaient eu lieu après la guerre. C'était à n'y rien comprendre. Sa seule présence dans le temple de l'érudition qu'était Orvet apparaissait à Hermione comme un sacrilège.
Malgré tous ses efforts pour apaiser sa fureur et son désespoir, Hermione sentait que l'intrusion de Malefoy avait considérablement terni le regard qu'elle portait au palais. Tout lui paraissait soudain moins attrayant et un goût amer lui teintait la langue.
-Veux tu que je te conduise à l'infirmerie ? Je ne sais pas vraiment où ça se trouve mais j'ai un plan de l'université, s'enquit sa camarade avec douceur.
Hermione se tourna vers elle et pour la première fois, lui prêta toute l'attention qu'elle méritait.
-Non, merci. Ça va aller, balbutia t-elle.
Son interlocutrice lui tendit vivement la main et dit avec un sourire :
-Corail. Je viens de Hollande.
Hermione lui offrit une poignée de main chaleureuse à défaut de ne pas pouvoir sourire.
-Hermione, Angleterre.
-L' Angleterre ? Vraiment ? Tu as été à Poudlard ? C'est là-bas qu'Harry Potter a terrassé le Mage Noir! S'enquit Corail avec une vivacité saisissante.
-Je n'étais pas à Poudlard ce jour là, mentit délibérément Hermione, peu désireuse d'évoquer cette période douloureuse où elle avait perdu nombre de ses amis.
Bien qu'elle soit contre le mensonge en amitié, elle ne tenait pas à devenir la proie des petits curieux avides d'anecdotes à sensations. Elle estimait avoir eu sa dose de popularité pour le reste de sa vie et n'aspirait plus qu'à devenir une étudiante anonyme.
-Première classe, Saphir, suivez moi ! s'écria la Cornac au visage peu amène.
Hermione se retrouva à l'extérieur et l'étonnant jardin attira son attention. De loin, on aurait dit un labyrinthe aux haies basses clairsemées de blanc. Les jets d'une fontaine de pierre s'élevaient à plusieurs mètres et retombaient en gerbes d'éclaboussures argentées sur le sol recouvert de gravier.
-C'est la roseraie de l'Étoile des Neiges, commenta Corail. À ce qu'il paraît ces roses fleurissent toute l'année et elles sont...
-Éternelles, acheva Hermione avec un sourire.
-Je ne suis pas la seule à avoir lu l'Histoire de la Cité Blanche.
Hermione retrouva peu à peu de sa gaieté. Elle n'était pas l'unique surdouée ici, il fallait s'y faire et c'était aussi grisant qu'inquiétant. Qu'importe que Drago Malefoy soit dans les parages au final ! L'université contait plus de cinq cent salles de classes, six serres différentes et des milliers de coursives. Il était fort probable qu'ils ne se croisent jamais...