Chapitre 2 : Tension
Recroquevillée dans le coin le plus sombre le cuisine, une jeune fille laissait couler ses larmes. L'obscurité quasi complète de la grande pièce ne l'intimidait en aucune manière et la mettait, au contraire, à l'aise. Personne ne pouvait ni la voir, ni l'entendre. Seule une oreille attentive entendait la tristesse de l'enfant.
Encore le maître avait dit quelque chose de mal qui avait blessé la petite maîtresse.
Mily s'approcha doucement de la fillette.
Encore une de ces paroles qui détruisait le peu de confiance en elle de la petite maîtresse.
Elle lui caressa lentement les cheveux.
Encore il faudrait consoler la petite maîtresse en lui disant que le maître l'aimait tout autant que l'autre petite maîtresse.
Les yeux brillants de larmes de la jeune fille rencontrèrent ceux de Mily. Les gouttes salées se remirent à couler sur les joues de la fillette. Mily se pencha et prit dans ses bras la petite maîtresse en mal d'affection. Elles restèrent longtemps comme ça, dans les bras l'une de l'autre. Puis, lorsque les larmes se tarirent, la petite maîtresse se décolla de Mily.
- Merci. La remercia simplement la jeune fille.
- Mily sera toujours là pour la petite maîtresse. Répondit l'intéressée. Mily vous dit aussi un bon anniversaire.
Un sourire se dessina sur le visage de l'enfant. Mily, l'elfe de maison qui la suivait depuis sa naissance, était la seule personne qui s'intéressait à elle et qui était là quand ça n'allait pas. Pour cela, elle ne lui serait jamais assez reconnaissante. Là encore, elle venait de l'aider. Plus que d'habitude d'ailleurs. Elle venait de se faire la promesse de ne jamais plus pleurer. Et, en toute Blackwood qu'elle était elle respecterait cette promesse.
La première d'une longue liste.
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- Miss ?
La jeune fille releva la tête de son ouvrage et sourit à son interlocuteur.
- Oui, Stephen ?
Le majordome lui rendit son sourire. Peu de gens lui accordait cette attention dans cette maison.
- Joyeux anniversaire.
- Merci, murmura la jeune fille.
C'était la deuxième personne qui lui souhaitait son anniversaire depuis le début de la journée.
- Monsieur, votre père, vous attend dans le grand salon.
La jeune fille grimaça. Le grand salon n'était pas un endroit de rendez-vous des plus chaleureux. Elle se recoiffa légèrement, remit sa robe en place, la lissa un peu et descendit au rez de chaussée.
La porte en bois sombre du salon s'ouvrit après l'intervention de Stephen. La pièce, toute en longueur, était très lumineuse grâce aux nombreuses baies vitrées sur les côtés qui donnaient vue sur le parc. Sur le mur du fond, une immense cheminée en marbre dominait la pièce. Les sofas en velours noir ajoutaient à l'impersonnalité du salon.
La jeune fille s'avança un peu afin que le majordome puisse refermer le battant.
- Vous avez failli me faire attendre. Claqua une voix au fond de la pièce.
- Je m'en excuse sincèrement.
- Avancez jusqu'à moi.
La fillette marcha jusqu'à un des sofas et s'y assit doucement. Un silence lourd s'installa entre les deux personnes.
Un homme, assis dans un fauteuil noir en face de la cheminée, représentait l'aristocratie même. La tête haute, les cheveux bruns coupés courts, la peau nette malgré quelques rides montrant sa quarantaine d'années et ses yeux noirs implacables, dénués de toute expression dégageaient une prestance froide. Son air supérieur s'ajoutant à son visage aux traits durs des pays de l'Est donnaient à l'homme une aura dangereuse et malveillante.
De l'autre côté, installée dans un sofa noir, une jeune fille gardait le silence. Ses cheveux ondulés châtains-blonds descendaient jusqu'à ses frêles épaules, ses yeux bleus tiraient vers le gris, ses joues encore rondes de l'enfance étaient rougies par la peur que lui inspirait son père et ses lèvres roses laissaient entrevoir une belle dentition.
- Avez-vous quelque chose à me dire Père ? Interrogea la jeune fille.
- Quelle impertinence ! S'exclama l'homme, outré. Pensez-vous réellement que je vous fais demander pour ne rien vous dire ? Pour perdre mon temps ?
La fillette contracta la mâchoire.
- Parler sans que l'on ne vous donne l'autorisation est inadmissible ! Continua-t-il. Vous resterez confinée dans votre chambre jusqu'à demain matin pour cette insolence. Est-ce clair ?
- Très clair.
Les yeux bleus de l'enfant exprimaient sa colère face à cette injustice.
- Donc, je vous ai fait venir ici pour vous annoncer que une lettre de Poudlard est arrivée ce matin à votre propos. La rentrée s'effectuera le 1er septembre comme tous les ans à partir de la gare de King´s Cross, voie 9 3/4. Il est également convenu que vous vous rendrez, avec votre mère et votre sœur, sur le Chemin de Traverse lundi pour acheter vos fournitures.
La jeune fille hocha la tête. Lundi, soit cinq jours à attendre.
- Je n'ai pas besoin de vous rappelez que vous devrez faire bonne impression pour tenir la réputation de notre noble famille.
La fillette se leva et prit congé. Elle arrive près de la porte quand l'homme reprit.
- Cléo ! Votre cousine sera là demain, j'attend de vous que vous vous teniez correctement car elle entrera également à Poudlard cette année.
La dénommée Cléo se retourna et fit un sourire contrit à son père.
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La porte s'ouvrit doucement sur une jolie fillette qui se précipita dans la chambre.
- Cléo ?
- Je suis près du bureau.
L'enfant s'y dirigea. Elle trouva sa sœur de trois ans son aînée lisant un ouvrage qu'elle posa près d'elle.
- Joyeux anniversaire ! Cria la nouvelle arrivée.
- Merci Jade. S'enthousiasma Cléo, heureuse.
- C'est quel livre ? S'exclama la plus jeune, changeant complètement de sujet.
- Un livre sur le Quidditch.
Une grimace déforma le visage harmonieux de la petite.
- Mais Père ne veut pas que l'on s'intéresse au Quidditch.
- Ce sera notre secret à toutes les deux alors.
La cadette répondit au sourire et posa sa main sur celle de sa sœur pour sceller leur secret. Puis elles se dirigèrent vers le grand lit à baldaquin près des fenêtres.
- Que te voulait Père ? Interrogea la fillette.
- Il voulait le dire que ma lettre de Poudlard est arrivée ce matin ! S'exclama Cléo, un sourire éclairant son visage.
La stupeur frappa les traits de la plus jeune avant que des larmes de mirent à ruisseler sur ses joues.
- Mais... Tu vas... Me laisser... Toute seule... Ici... Sanglota-t-elle.
Cléo se pencha vers sa petite sœur et la prit dans ses bras comme Mily l'avait fait quelques instants plus tôt.
- Ne t'inquiète pas Jade. Je serai toujours là avec toi, dans ton cœur. Je ne t'abandonnerai jamais ! Jamais, tu m'entends ?
La fillette continua à pleurer mais murmura un "oui". Cléo la serra plus contre elle. Bien sûr qu'elle ne la laissera pas, pas comme leur mère. Oui elle était là, encore vivante, physiquement tout du moins. Mais elle se terrait dans sa chambre et n'en sortait que pour les repas ou les sorties officielles. Depuis qu'elle la connaissait Cléo n'avait jamais vu sa mère sourire franchement, juste des sourires polis pour tenir son rang dans les réceptions mondaines. Cette absence l'avait marquée bien plus qu'elle ne laissait transparaître.
Des photos d'avant sa naissance lui donnaient l'image d'une femme heureuse bien que marquée par des événements dont elle n'avait jamais voulu parler. De plus Cléo était certaine que son père lui faisait payer cette absence puisqu'elle avait commencée à sa naissance. Puis sa mère avait eu sa sœur trois ans après le début de sa dépression et ils avaient naïvement cru qu'elle retrouverait sa joie de vivre. Au contraire cela l'y avait enfoncée et la petite Jade n'avait jamais eu personne d'autre que Cléo. Leur père offrait souvent des présents à la cadette et négligeait l'ainée en la rabaissant. La vérité était telle que Jade était le portrait féminin plus jeune de son père ; de longs cheveux bruns, de beaux yeux noirs, d'interminables cils sombres et une silhouette relativement frêle, seuls les boucles de ses cheveux marquaient sa filiation avec sa mère, alors que Cléo ne ressemblait pas à sa mère, hormis ses lèvres roses, et encore moins à son père. Celui-ci faisait payer son aînée pour cet ensemble mais Cléo soupçonnait quelque chose de plus profond. Qu'avait-elle fait pour mériter pareil traitement ? La question restait sans réponse depuis près d'onze ans...
Jade releva les yeux, se sépara de sa sœur et effaça les traces de larmes qui restaient avec sa manche.
- Sais-tu qu'Oncle Tom et que Tante Belvina viendront au manoir demain ?
- Oui, ainsi que Cléïs... Soupira Cléo.
Jade se tourna vers la jeune fille. Elle échangèrent un sourire complice.
- Te souviens-tu de la fois où nous l'avons poussée dans le bassin aux lotus ?
Cléo éclata de rire bien vite imitée par sa petite sœur.
- Et de la fois où elle est malencontreusement tombée dans l'abri de foin des hippogriffes ?
- Oui, malencontreusement... Ironisa Jade.
Les deux filles continuèrent à échanger leurs souvenirs des mauvais coups qu'elles avaient jouer à leur détestable cousine.
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- Mesdemoiselles ?
- Oui Stephen ?
- Le dîner sera servi d'ici une dizaine de minutes.
- Merci.
- Ce n'est rien. Termina le majordome en sortant de la chambre de Cléo.
Jade se leva du lit, se prépara devant le miroir et s'apprêta à aller manger quand elle remarqua que sa sœur n'avait pas bougé.
- Que fais-tu ? Tu vas arriver en retard au dîner ! S'exclama Jade.
- Je suis confinée à ma chambre jusqu'à demain matin.
- Mais... Pourquoi ?
- Insolence...
Un rictus compréhensif déforma la figure de la fillette.
- Bon eh bien... À demain...
- Oui, à demain Jade.
Lorsque sa sœur sortit, Cléo reprit la lecture de son livre. Si jamais son père apprenait qu'elle était en détention de ce livre, il la punirait et brûlerait sûrement l'ouvrage. À cette idée, elle grimaça. Son père attendait tellement d'elle. Qu'elle soit jolie pour parader lors des réceptions, qu'elle soit polie et courtoise pour maintenir son rang, qu'elle s'intéresse à des loisirs "féminins" tels que le couture pour parfaire son éducation mais également qu'elle soit cultivée pour être à la hauteur des espérances des Sangs Purs. Son entrée à Poudlard l'éloignerait un peu de ces attentes mais elle serait obligée de continuer à faire semblant, à paraître pour tenir le rang de sa « noble famille »... Et il lui faudrait enterrer la hache de guerre avec Cléïs, sa cousine pour montrer une unité familiale qui n'existait pas. Pour tenir son rang. Pour la fierté de son père. Son père, le grand Igor Poliakoff... Le Sang Pur bulgare à la tête du département des mystères. Ce même Sang Pur détenant la Gazette du Sorcier depuis trois mois. Ce Sang Pur marié à Lilia Blackwood, une des Sangs Purs les plus influentes de la société sorcière. Ce Sang Pur, respecté par toute la population magique anglaise. Cléo soupira. Contraignant était le seul mot qui lui venait à l'esprit pour qualifier sa vie. Elle n'était pas à plaindre évidemment, une garde-robe immense, un nombre incalculable de bijoux, un manoir grandiose, jamais en manque de nourriture et même une dizaine d'employés à son service,... Elle ne manquerait de rien, d'un point de vue matériel en tout cas. Mais elle n'avait personne à qui parler, personne qui se souciait d'elle, personne qui l'aidait, personne qui l'aimait pour ce qu'elle était...
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- Petite maîtresse...
- Hum...
- Il faut se réveiller petite maîtresse...
Cléo se retourna et ouvrit les yeux. Elle tomba nez à nez avec Mily. L'elfe de maison esquissa un sourire auquel répondit la jeune fille.
- Il est temps de se lever sinon la petite maîtresse n'aura pas le temps de se préparer...
- À quelle heure vont arriver Oncle Tom et sa famille ?
- À 11 heures.
- Et quelle heure est-il Mily ?
- 9 heures, Miss.
Cléo sursauta et se leva prestement. Elle se dirigea vers la salle de bain attenante à sa chambre et donna quelques indications à Mily concernant sa tenue.
Lorsqu'elle sortit après une vingtaine de minutes, deux jolies robes étaient posées sur son lit. La première en soie, verte émeraude, lui arrivait aux genoux tandis que la seconde, d'une blancheur impeccable, était de la même longueur mais toute en broderie. Cléo était indécise face au choix de sa tenue. Les deux étaient assez habillées pour recevoir les invités, mais elle devait être plus jolie que sa cousine. Cette compétition existait depuis qu'elles étaient petites et ne cesserait sûrement jamais... Au moment où elle sous-pesait une des robes, Jade poussa la porte de sa chambre.
- Bonjour Cléo, comment vas-tu ce matin ?
- Très bien merci, et toi ?
- De même. Je préfère la blanche, elle met plus en valeur ta peau. Termina la fillette en s'installant sur le lit.
- Si tu le dis... Fit l'aînée enfilant la tenue.
Le blanc de du vêtement faisait ressortir la peau dorée de la jeune fille ainsi que ses yeux bleus.
- Excellent choix Miss Blackwood. Commenta Jade.
- Je vous fais gré de mes remerciements les plus sincères Miss Poliakoff. Termina pompeusement Cléo.
Sa sœur éclata de rire en même temps qu'elle. Imiter les dames de l'aristocratie sorcière les faisait toujours autant rire depuis qu'elles étaient petites.
Une fois coiffées et très légèrement maquillées les deux sœurs se rendirent dans la véranda pour attendre les invites.
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- Ma très chère belle-sœur ! S'exclama Belvina Blackwood en embrassant Lilya Poliakoff.
- Cela faisait si longtemps que nous ne nous étions pas vues... Répondit poliment l'intéressée.
Cléo réprima difficilement son envie de hausser les yeux au ciel. Comme si trois semaines sans voir Belvina et Cleïs étaient longues...
- Mais ma jolie Jade, tu ne cesseras donc jamais de grandir ? Déclara la femme.
La fillette renvoya un sourire amusé à sa tante.
- On dirait bien que non, en effet. Dit-elle.
- Bonjour, Cléo. Mais quand apprendras-tu à te coiffer dignement ? Fit Belvina, hautaine.
La jeune fille se contenta de fusiller du regard la femme de son oncle.
- Mais cette enfant est infernale par Merlin ! S'offusqua Igor, son père. Vous pourriez au moins avoir l'amabilité de répondre à votre tante !
- Bonjour... Marmonna Cléo.
- Oh mon Oncle ! Résonna une nouvelle voix en même temps.
Une adolescente venait d'entrer dans la véranda. Ses lourdes boucles brunes encadraient son beau visage fin assombris par de profonds yeux noirs.
- Cleïs, quel bonheur de vous revoir enfin ! Accueillit Igor, enthousiaste.
- Ne doutez pas que ce sentiment soit partagé ! Ah, ma cousine... Termina la nouvelle arrivante en toisant Cléo du regard.
- Je suis si contente de te revoir enfin ! Répondit la dernière, hypocrite.
L'air blasé de Cleïs lui fit aisément comprendre qu'elle ne se laisserait pas déstabiliser par ce genre de bassesses.
Lorsque tout le monde fût installé autour d'un thé dans la véranda, Tom fit son apparition. Grand, brun aux yeux verts, il ne ressemblait que peu à sa sœur aînée, Lilya.
- Excusez-moi de mon retard, j'étais au Ministère pour régler quelques affaires. S'empressa de dire l'homme.
Il travaillait au service de la Justice magique et avait souvent des imprévus.
- Ne t'en fais pas. Sourit Igor.
Cléo se fit la remarque que son Oncle Tom était la seule personne que son père tutoyait.
- Dites moi les filles, avez-vous hâte d'entrer à Poudlard ? S'intéressa Tom.
- Oui, père. Affirma Cleïs.
- Très impatiente en effet ! Continua Cléo.
- Si elle espère ainsi se défaire de l'éducation que je lui ai donnée, elle se trompe. Releva Igor.
- Et dans quelle maison serez-vous pour tenir nos réputations familiales ? Reprit Tom souriant, faisant fi de ces dernières paroles.
- Serpentard. Dirent en même temps les deux jeunes filles.
La discussion continua avant de dériver vers d'autres sujets.