Harry descendit lentement les dernières marches qui le séparait du hall. A sa gauche, la plupart des élèves de Poudlard étaient attablés dans la grande salle pour prendre leur petit déjeuner. C’était un samedi et malgré l’absence de cours, la majorité des élèves se levaient tôt. Peut-être par habitude, ou simplement par volonté de profiter au maximum de cette journée qui s’annonçait particulièrement belle. Harry s’arrêta quelques minutes pour observer Ron et Hermione assis aux côtés de Ginny et discutant avec entrain à la table des Gryffondor. Il aimait les regarder sourire et s’amuser, alors que lui-même n’y parvenait plus depuis le début de l’année. Quelque chose se tramait à Poudlard, il en était certain, mais il ne savait pas de quel ordre était cette menace. Jamais encore il n’avait autant soupçonné Drago de préparer quelque chose. Malgré l’incompréhension de Ron et Hermione lorsqu’il parlait de ses doutes, il ne pouvait s’empêcher de suivre le Serpentard dès qu’il le voyait se promener seul dans les couloirs, cherchant à tout prix à savoir où il disparaissait durant des heures, alors que même la carte du Maraudeur ne le localisait pas.
Poussant un profond soupir, il détourna son regard de la grande salle et se dirigea vers l’immense porte permettant de sortir du château. Il avait prit l’habitude de sauter le petit déjeuner du samedi. Et celui du dimanche également d’ailleurs. Ron et Hermione s’y étaient habitués et ne posaient plus de questions sur les raisons de son absence. Harry était toujours resté distant vis-à-vis de leurs questions, ce qui avait attisé leur curiosité, il en avait conscience. Mais il n’avait vraiment pas envie de leur avouer les raisons de ses balades matinales dans la forêt interdite.
Alors qu’il recommençait à se perdre dans ses pensées, un courant d’air passa à côté de lui.
« Salut Harry !
- Ah, salut Luna.
- Tu sembles déçu de me voir ! dit-elle tout en gardant son sourire.
- Non, non, ne t’inquiètes pas ce n’est pas ça. C’est juste que je ne m’attendais pas à te voir, c’est tout. Comment tu vas ?
- Ca va bien. Tu vas dans la forêt c’est ça ? »
Harry sursauta. Comment faisait-elle pour toujours comprendre toutes les situations les plus inattendues et dont lui-même ne comprenait pas toujours la signification ?
« Euh…qu’est ce qui te fait dire ça ? lui demanda-t-il
- Je ne sais pas, je disais juste ça comme ça. Tu vas rejoindre quelqu’un là-bas ?
- Mais…euh…non !
- Ne t’inquiètes pas, je sais que tu n’as pas envie de m’en parler. Bonne chance pour ton rendez-vous ! »
Elle s’éloigna en direction de la grande salle, son sourire n’ayant pas quitté ses lèvres. Harry se sentait perdu, comme la plupart du temps où il se trouvait avec Luna et qu’il discutait avec elle. Ces conversations étaient toujours étranges et il ne les comprenait pas toujours. Mais pour une fois, en plus de la légèreté avec laquelle Luna avait exposé ses pensées, il avait senti autre chose dans son ton, un sentiment qu’il ne lui avait jamais attribué parce qu’il ne la voyait pas de cette façon. De la jalousie. Comment Luna, la fille la plus tranquille et la plus dénuée de mauvais sentiment qu’il connaisse, pouvait ressentir de la jalousie envers sa promenade matinale ? Il était tôt, peut-être n’était-il pas encore tout à fait réveillé et avait-il imaginé cette impression ?
Toujours un peu perdu, il sortit sa cape d’invisibilité de sous sa cape et, vérifiant que personne ne pouvait le voir, la déplia sur lui avant de reprendre sa marche en direction du parc. Il passa devant la cabane de Hagrid puis s’enfonça dans la forêt. Après quelques minutes, il finit par s’arrêter à côté d’un arbre dont les souches formaient un petit siège sur lequel il s’assit. L’attente commença alors. Luna avait raison, il avait bien un rendez-vous, mais il ne voulait pas que tout le monde soit au courant. Elle non plus ne voulait pas que ses camarades le sachent. Avait-elle honte ? Sûrement, mais il ne lui en voulait pas. Il ne voulait pas que les Gryffondor les voient ensemble, de peur de subir leurs moqueries quotidiennes et les leçons de moral d’Hermione. Ils préféraient se cacher pour pouvoir se voir tranquillement, même si cela ne devait se faire que deux fois par semaine : le samedi et le dimanche matin, alors que tout le monde mangeait dans la grande salle. Après tout, qui ferait le lien entre leurs absences simultanées ? Personne ne penserait qu’ils se retrouvent tous les deux, invisibles au regard de leurs maison respectives. Un Gryffondor avec une Serpentard, c’était la honte pour les deux clans.
Il ne remarqua pas tout de suite l’ombre qui se faufilait entre les arbres dans sa direction. Il ne put s’empêcher de l’admirer alors qu’elle tournait sur elle-même, dans l’espoir de l’apercevoir. Sa chevelure châtain foncé encadrait un visage dur et des traits tirés. Mais derrière ce masque de dureté, Harry y voyait une véritable beauté dont les qualités étaient cachées aux yeux de tous.
Il se leva lentement, essayant de ne pas faire de bruit, toujours caché sous la cape. Il se faufila derrière elle et la prit par la taille. Pansy Parkinson poussa un cri et se débâtit furieusement tandis que Harry sortait de sous la cape en éclatant de rire. Elle lui donna un coup violent sur l’épaule qui le fit vaciller et perdre son sourire.
« Tu es complétement con comme mec ! S’écria-t-elle
- Eh, calme-toi, je voulais simplement te faire une petite blague. Pas la peine de t’énerver pour ça…
- Une petite blague ? Bah c’est réussi ! Mais je ne vois pas ce qu’il y a de drôle là-dedans. »
La colère dans sa voix s’était légèrement atténuée et Harry se remit à sourire. Malgré ces moments isolés où son caractère de Serpentard reprenait le dessus, Pansy restait une fille très attachante et belle à ses yeux. Il ne savait pas exactement comment cela s’était produit, mais c’était arrivé. Ils s’étaient rapprochés jusqu’à former un couple à part entière, même s’ils ne devaient se voir qu’en cachette.
La surprise passée, Pansy s’approcha de Harry et déposa un léger baiser sur ses lèvres, la colère faisant toujours tressaillir les siennes. Harry aimait ces moments rares pendant lesquels elle ne pouvait cacher son attirance envers lui. Malgré son caractère très distant et ses accès de colère fréquents, elle aimait le Gryffondor et ne parvenait jamais à le cacher très longtemps. Harry avait appris à ne pas brusquer les choses et à faire évoluer leur relation lentement, jusqu’à ce que chacun d’entre eux puisse être sûr d’aimer l’autre. Mais depuis le début de leur relation, cinq mois plus tôt, les choses n’avaient pas évolué de façon exponentielle. Parfois ils se disputaient, et ne se parlaient plus durant plusieurs semaines. Parfois ils enfreignaient les règles des deux jours par semaine et se retrouvaient durant les jours de cours, prenant plus de risque que lors de leurs sorties du week-end. Mais jamais, Harry n’avait douté de ses sentiments envers la jeune Serpentard. Il aimait son fort caractère, la beauté de son visage et les discussions passionnées qu’ils avaient lors de leurs retrouvailles.
Le plus dur était de faire semblant de se détester en présence de leurs maisons respectives, surtout lorsque Drago était dans les parages. Plus d’une fois, Harry avait eu envie de lui envoyer toutes sortes de sortilèges cuisants, mais s’était ravisé en voyant le regard jeté par son amante. Après tout, aux yeux de tous, Pansy et Drago étaient censés former le couple de serpents idéal, surtout aux yeux de leurs amis, et si jamais Harry devait lui faire du mal, Pansy serait obligé de répliquer, même si elle n’en avait pas du tout envie.
Harry savait qu’elle s’était rapprochée de lui uniquement à cause du rejet de Drago depuis le début de l’année, mais il savait que depuis maintenant cinq mois, elle avait réellement fini par s’attacher à lui. Plus d’une fois elle avait voulu quitter Drago, qui de toute façon ne faisait plus du tout attention à elle. Mais tous les Serpentard de sixième année comptaient sur leur couple pour les guider et elle n’avait pu s’y résoudre. Harry ne lui en voulait pas. Après tout, il n’avait pas non plus réussi à en parler à Ron et Hermione.
Harry caressa tendrement la joue de Pansy, qui se calma totalement et finit même par sourire. Un magnifique sourire qui lui remontait le moral pour le restant de la journée.
Ils s’assirent sur la souche en forme de banc et Pansy posa sa tête sur l’épaule d’Harry, qui l’entoura amoureusement de ses bras. Ils restèrent ainsi durant de longues minutes, profitant des rayons de soleil filtrant à travers les arbres hauts. C’était un endroit calme et apaisant dans lequel ils aimaient se retrouver. Seul le chant des oiseaux venait perturber cette tranquillité.
Alors qu’un papillon de couleur jaune se posait à leurs pieds, Pansy se dégagea lentement des bras de son amant et le regarda tristement.
« Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda Harry légèrement anxieux
- Je ne sais pas si on a raison de continuer…
- Qu’est-ce que tu veux dire par là ? »
Pansy se leva et commença à marcher de long en large devant un Harry de plus en plus inquiet. Il savait qu’elle avait des doutes depuis quelques semaines, mais c’était la première fois qu’elle les exposait ouvertement. Il était maintenant persuadé que la conversation qui allait suivre serait loin de ce qu’il avait pu imaginer en se levant le matin même.
« Je n’y arrive plus. Je ne m’étais jamais imaginée vivre une relation cachée avec quelqu’un et c’est vraiment une sensation horrible que de devoir se retrouver ici pour être ensemble. Nous ne serons jamais acceptés et cette situation ne pourra pas durer.
- Mais tout se passe bien entre nous ! Je sais que devoir s’ignorer dans les couloirs de l’école est vraiment compliqué mais on s’en est sorti jusqu’ici, pourquoi ça ne pourrait pas continuer comme ça ?
- Parce que tu es…enfin tu sais.
- Parce que je suis un Gryffondor, c’est ça ? »
Le silence qui s’ensuivit valait toutes les réponses. Le bien-être qu’il avait pu ressentir quelques minutes auparavant s’était évaporé. Il savait où Pansy voulait en venir, mais il n’avait aucune envie de l’entendre le dire.
« Jusqu’à maintenant ça ne t’a pas dérangé que je sois un Gryffondor, tenta-t-il de se défendre. Qu’est ce qui a changé ?
- Mais rien n’a changé bordel ! J’en ai juste marre c’est tout.
- C’est Drago. »
Ce n’était pas une question. Harry l’avait senti depuis quelques temps mais avait choisi de l’ignorer. Pansy ne le regardait plus comme au début de leur relation. Son regard enjôleur, elle le destinait désormais à quelqu’un d’autre. Celui qui l’avait laissé tomber et dont elle ne se disait plus amoureuse. Mais Harry l’avait toujours su, elle n’avait pas oublié le Serpentard. Peut-être l’aimait-elle sans doute plus qu’Harry. Il était juste une relation de secours, pour ne pas qu’elle se sente seule en attendant que Drago veuille bien faire de nouveau attention à elle.
« Tu sais que je t’aime.
- Oui, je le sais. Et moi aussi, répondit-elle. »
Harry ne savait pas s’il devait la croire ou non. Elle lui avait menti pendant si longtemps en lui faisant croire qu’elle ne pensait plus à Drago, qu’il ne pouvait imaginer avoir pu le remplacer dans son cœur. Elle semblait réellement l’aimer, mais elle avait fait son choix. Elle laissait le cœur de côté pour écouter sa raison. Elle suivait ce à quoi elle se préparait depuis des années au sein de sa maison : vivre et créer des héritiers de sang « pur » avec un autre Serpentard. Elle valorisait sa situation à ce que son cœur souhaitait. Et cela, Harry lui en voudrait à tout jamais. Car jamais il n’avait imaginé mettre son cœur de côté pour écouter les paroles de ses camarades. Il aimait Pansy. Non pas ce qu’elle représentait, mais ce qu’elle était.
Alors qu’elle s’approchait de lui pour lui déposer un ultime baiser sur les lèvres, et qu’elle disparaissait à travers les arbres denses, ses cheveux soyeux ondulant sous la brise du matin, Harry ne put empêcher de laisser couler une larme sur sa joue. Une larme destinée à la seule personne qu’il n’ait jamais aimée au point d’en oublier toutes ses limites et tous ses doutes. Il l’aimait et l’aimerait toujours, quoi qu’il se passe.