La silhouette prend lentement forme, les jambes s’étirent et s’allongent, les bras semblent s’envoler. Elle est encore chauve.
Dean hésite un instant, trace les pieds, relève le doigt de la main droite, change de pinceau et de couleur. Ginny est tout en noir et en roux, ses cheveux apparaissent tout à coup, vifs et joyeux comme elle, et ils dansent autour de son corps.
Dean s’interrompt, pensif. La Ginny de papier lui plait, même si elle n’est pas fidèle à la Ginny réelle, en ce moment. En ce moment, la vraie Ginny, sa petite amie, est pensive et triste, et assez distante aussi. Sa belle Ginny, si forte, plus forte que lui ne pourra jamais l’être.
Dean soupire, regarde autour de lui puis se lève. La salle commune est vide, les autres élèves profitent des chaudes journées du début d’été pour discuter dehors, et ses amis se réunissent pour parler des évènements terribles qu’ils ont vécus. Mais pas lui, qui était absent. Il n’a pas vu Ginny se battre, lui, pas d’avantage que Neville, Harry et Ron, ses camarades de dortoirs, Hermione qu’il connaît depuis cinq ans, et la si étonnante et perturbante Luna. Penser que Luna la dingue et Neville, si mauvais élève, ont été présents à ses côtés alors que lui passait une soirée paisible avec Seamus l’attriste et le vexe. Oui, Dean le reconnaît, il est vexé. Et c’est puéril, il le sait. Des gens sont morts. Des gens ont été blessés, et ses amis ont vu quelqu’un mourir. Il se sent inutile et enfant, il a l’impression que se battre avec les autres lui aurait donné la force de grandir. Et d’être fier de lui aussi. Honnêtement, il se sent un peu minable. Et un peu coupable.
-Allez, Dean, viens ! On se fait une petite partie de bataille explosive ?
Seamus l’appelle mais Dean détourne le regard. Non, il n’a pas envie de jouer. Il se sent triste et la joie de Ginny lui manque. Il a hâte qu’elle se remette à rire et sans mot dire, il récupère le dessin, le cache avant que son ami le plus proche ne le voit.
-Dean, insiste Seamus avec un soupir, tu fais n’importe quoi, là. Restez assis à te morfondre ne va rien changer aux évènements, et tu n’aides personne.
-Je sais, reconnaît Dean après une légère hésitation, mais sincèrement, je n’ai pas envie de jouer. C’est tout.
Seamus ose les épaules, s’éloigne à la recherche d’autres partenaires. Dean glisse la main dans sa poche, fait rouler le galion d’or au bout de ses doigts. C’est trop tard, plus aucun message ne s’y inscrira, car le jour est passé. Il se demande s’il aura un rôle à jouer dans la guerre naissante.
Il sort à nouveau le dessin, le regarde. Dans l’ombre, derrière Ginny, se devinent cinq silhouettes sombres qu’il a dessiné à la va-vite. Harry se reconnaît à ses cheveux en bataille, Ron est plus grand et Neville plus gros. Hermione a toujours ses longs cheveux, et la Luna de papier semble danser maladroitement, aussi étrange que dans la réalité. Dean n’a dessiné aucun de leurs visages, il ne compte pas le faire. Il ne souhaite pas garder ce dessin, d’ailleurs. Comme tout ce qu’il crée lorsqu’il est en proie à des émotions qu’il a de la difficulté à exprimer, la feuille qu’il tient dans la main est destinée à être détruite.
Dean a des difficultés à mettre des mots sur les sentiments mélangés qu’il ressent, et aussi loin qu’il s’en souvienne, le dessin lui a servit d’exutoire. Visages joyeux, grands sourires, couleurs vives et membres qui dansent lorsqu’il était heureux, heureux à en avoir le sentiment d’exploser, et scènes beaucoup plus sombres lorsqu’il ne va pas très bien. Des visages tristes, endormis. Des yeux fermés. Des visages vides, simplement de corps sombres, comme sur celui qu’il vient d’achever. Il n’y a que Ginny qui danse, parce que Ginny, c’est la force et la joie, la fille dont il est amoureux et qu’il admire tellement. Il regarde à nouveau ses cheveux flamboyants. Le regard farouche dont elle est dépourvue. L’image n’arrive pas aux chevilles du modèle, le modèle est si fier, si drôle et si doux, lorsqu’ils ne sont que tous les deux et qu’elle tend la main pour lui caresser doucement la joue.
Dean sent la tristesse qui remonte, la tristesse qui n’était pas vraiment partie. Accompagnée du regret et de la culpabilité. Il aurait voulu être là. Il aurait du être là. Il est son petit-ami, sa place est à ses côtés, pour l’aider, surtout dans ses moments-là. Et cependant il sait que Ginny et les autres n’ont pas eu besoin de son aide. Ginny et les autres ont plus de force et de courage que lui n’en aura jamais. Dean serre le poing, ferme les yeux pour ne pas pleurer, honteux de se sentir tellement faible. Qu’est-ce que la belle Ginny peut bien lui trouver ?
Mais elle est à des kilomètres de lui, Ginny. Pas des kilomètres physiques, des kilomètres de discussion et d’amitié. Elle passe tout son temps avec ses compagnons de bataille, depuis qu’ils sont revenus du ministère, si peu de jours plus tôt. Comment lui en vouloir ? Elle a partagé avec eux des choses qu’il n’a pas connu. Parce que lui, le lâche, il discutait joyeusement avec Seamus en fêtant la fin de leurs examens pendant que leurs amis avaient tellement besoin d’eux.
Il se sent également coupable de n’avoir pas été aux côtés de Harry, Hermione, Ron et Neville, ses compagnons de cours et de salle commune depuis cinq longues années. Ses amis. Ils se sont battus et il n’était pas là.
De Luna, il ne pense rien. Elle lui fait presque peur, Luna. Elle est vraiment trop étrange, elle plane trop loin de la vie réelle. Il doute de ne jamais lui parler, la comprendre. Il sait que jamais il ne pourrait être proche de ce genre de fille-là.
Il se lève, regarde le dessin encore une fois, va pour se diriger vers la cheminée, mais s’immobilise. La porte de la salle commune s’ouvre, et Parvati entre.
Elle est belle aussi, Parvati. Un autre genre que Ginny. Beaucoup moins volcanique. Moins courageuse. Mais c’est une amie et elle compte pour Dean, au moins autant que Ron et Harry.
-Ca va ?
Elle s’est approchée. Il cache en hâte son dessin, esquisse un sourire maladroit.
-Oui, et toi ?
Parvati s’assoit sur un bras du fauteuil, pose son coude sur un genou et son menton au creux de sa main.
-C’est étrange, non ? Dit-elle doucement. Ce qui s’est passé, depuis l’année dernière, et toute cette année. Ca fait peur, non ?
La gorge brusquement serrée, Dean hoche la tête. Oui, ça fait peur. Il vient seulement de le réaliser.
-Et là, maintenant, tout récemment…
Dean ne répond rien, il regarde simplement Parvati qui ne le quitte pas des yeux.
-Tu crois que, le moment venu, on sera à la hauteur ?
Elle s’interrompt. Dean froisse lentement la feuille qu’il gardait, encore intacte, dans sa main, et il se demande qui seront les prochaines silhouettes. Il songe brusquement, en voyant Parvati aussi inquiète que lui-même, que Seamus, Lavande et elle en feront peut-être partie. Et lui aussi, bien sur. Il espère qu’il aura assez de courage.
Il s’approche du feu, lance d’un geste assuré la boulette de papier. Elle brule. Les silhouettes indistinctes des six protagonistes brulent. Et les cheveux roux de Ginny deviennent flammes. Il sourit. Elle est belle, Ginny. Elle est courageuse. Et elle l’a choisit. Alors, avec des amis pareils et tout ce qu’ils ont fait ensemble, face à la tyrannie d’Ombrage, Dean réalise soudain qu’il a des raisons de se sentir tout de même moins minable. Le moment viendra, et il espère qu’il sera prêt.