« Hé, petit ! »
L’enfant ne se retourna pas, et continua sa route d’un pas égal. La voix se fit plus insistante.
« Gamin, je te parle ! »
Décidé, le petit Tom Jedusor avançait, quand celui qui l’avait interpellé l’attrapa par l’épaule. Un garçon roux d’une quinzaine d’années le fixait, l’air mauvais.
« Où t’es allé ? »
Tom ne répondit pas, l’air indifférent.
« Où t’es allé j’te dis ! Tu dois me respecter et m’obéir ! J’suis plus grand qu’toi»
Tom leva alors la tête et toisa son agresseur d’un air narquois, ce qui le mit hors de lui.
« Arrête de m’regarder comme ça, sale mioche ! Je vais t’écraser, tu vas voir ! » s’écria-t-il avec fureur.
Il donna un grand coup de poing dans l’épaule de l’enfant. Sous le choc, le petit paquet tomba sur le sol. Le garçon l’aperçut et une étincelle de convoitise s’alluma dans ses yeux. Il se baissa rapidement pour le saisir.
Tom le vit se pencher. Non, ces grandes mains sales aux ongles noirs ne pouvaient pas toucher son précieux paquet. Ce paquet de kraft brunâtre qui renfermait un trésor. Son trésor. Son carnet, dont il avait rêvé depuis des mois. Il avait économisé, petit à petit, ses quelques centimes d’argent de poche. Il avait aussi vendu le fruit de ses larcins, la toupie d’un petit, les osselets de John, le monocle cerclé d’or qu’Andrew avait trouvé dans la rue. Avec son petit pactole, il s’était rendu chez le papetier de Vauxall Road. Et il avait enfin pu l’avoir. Son carnet. Celui qu’il allait admirer dans la vitrine chaque semaine. Avec son épaisse couverture vert sombre. Il avait toujours aimé cette couleur. Une fois, il avait essayé de le voler. Mais le vendeur, qui surveillait constamment du coin de l’œil ce gamin malingre et silencieux, l’avait surpris, et jeté dehors. Il n’avait pu alors retourner dans la papeterie aussi souvent qu’il l’aurait voulu. Il avait redoublé d’effort pour obtenir la somme nécessaire à son achat.
Mais enfin, il l’avait à présent. Juste là, dans ce petit paquet de papier marron. Il pourrait y raconter ce qui lui arrivait, toutes ces choses extraordinaires. Tous ses projets incroyables. Puisqu’il était quelqu’un d’extraordinaire. Il ne ressemblait pas aux autres mioches de l’orphelinat. Lui, il avait un destin. Lui était unique. Il n’avait rien à voir avec ce rouquin médiocre, au destin médiocre, sans idéaux et sans vrais projets. Ça n’était pas cet insignifiant garçon qui allait le priver de son carnet. Un garçon qui n’avait sans doute pas ses pouvoirs extraordinaires…
Lorsque le rouquin frôla le paquet de son doigt crasseux, un frisson de dégoût parcouru tout le corps de Tom. Alors que la main du garçon allait de refermer sur l’emballage cartonné, il fut projeté en l’air, comme sous la force d’une déflagration, et retomba contre un mur quelques mètres plus loin. Son genou cogna contre le sol dans un craquement sinistre, ce qui lui fit pousser un hurlement. Alors que les passants s’attroupaient autour du garçon pour le secourir, Tom ramassa son paquet, l’épousseta, et repartit d’un pas décidé, tournant résolument le dos à sa victime.
Le 25 juin 1942
Cher journal,
Depuis longtemps déjà, je te raconte toute ma vie, tous mes espoirs, tous mes projets. Je ne peux plus me le permettre. Maintenant que ma vie a pris tout son sens, il ne faut pas que n’importe qui puisse me connaître à travers toi. Imagine, si ce vieux fou de Dumbledore te découvrait ! Il se doute déjà de quelque chose, et me surveille de près… Quiconque te lit pourra tout savoir de moi. C’est un danger que je ne veux pas courir. Il ne faut pas que l’on m’arrête maintenant, alors qu’enfin je sais ce que je suis. Lord Voldemort.
Je n’aurais pas dû ouvrir la Chambre. Pour être qui je veux être, il faut que je finisse mes études dans ce château. Jamais je ne retournerai dans cet infect monde de moldus. Heureusement que ce gros balourd d’Hagrid était là, avec son araignée… Dumbledore m’aurait sûrement accusé. Il ne croit pas à la culpabilité du lourdaud.
Bref, tu me compromets. Je vais donc cesser d’écrire. Il faut que mes pensées restent secrètes. Elles m’appartiennent à moi seul. J’ai commencé à apprendre la légilimancie, avec des livres de la réserve. C’est très dur et douloureux, mais c’est un passage nécessaire. Personne ne doit savoir.
Cependant, tu es un peu moi maintenant. Tu es une partie de moi. J’ai vécu trop de choses avec toi. Je ne veux pas de détruire, tu es trop précieux. Comment faire pour te cacher aux yeux du monde sans toutefois t’annihiler ?
Le 18 août 1942
Je me suis retenu tant bien que mal d’écrire. Une habitude bien ancrée est dure à perdre. J’y avais pourtant réussi jusqu’à aujourd’hui. Je voulais marquer ce jour. Ce jour important, où mon moldu de père est enfin rayé de la surface de la terre, ainsi que ses moldus de parents. J’ai enfin nettoyé ma race. Personne, jamais, ne connaîtra mes origines. Je suis un sorcier. Je suis un Sang-Pur. Et personne ne pourra se mettre en travers de mon chemin. Même pas toi, cher journal. Tu vas rester caché jusqu’à ce que j’aie trouvé une solution. Sinon, je te détruirai – bien que cette extrémité me déplaise. Je dois être invulnérable. Et je vais l’être très bientôt. J’ai mon idée pour échapper à jamais à la mort. Mais je n’en écris pas plus, cela est beaucoup trop dangereux. Je ne m’exprimerai ici pour la dernière fois que lorsque j’aurais enfin la protection idéale pour ces pages si pleines de sens. Au revoir donc, cher journal, toi en qui j’ai pu me réaliser. Tout doit disparaître pour que je reste unique, plus fort que jamais. Rien ne doit pouvoir m’affaiblir, même pas toi.
Le 15 janvier 1943
J’ai enfin trouvé, après des mois de recherche. La solution était dans Sortilèges méconnus et malédictions de nos ancêtres, que je n’avais consulté que distraitement lors de ma première année. Je vais te transformer en souvenir. Un souvenir de papier, mais un souvenir vivant et conscient. Ainsi, tu continueras à être moi, et tu garderas un contrôle sur tous ces secrets. Tu seras un souvenir qui me permettra peut-être de terminer mon œuvre : ouvrir la Chambre pour nettoyer un peu ce château. Dans quelques années, tu t’en chargeras pour moi, sans qu’on puisse me soupçonner. Tout est parfait. Tu seras même une VRAIE partie de moi, si je parviens à exécuter mon projet. Tu vas me rendre immortel.
Adieu donc, je n’écrirai plus entre tes pages. Tu demeureras le Tom Jedusor de 16 ans, de ce jour, de ce moment. Moi je m’avance vers mon destin. Et personne ne pourra m’en empêcher.