C’est le premier Noël depuis la fin de la guerre. L’air est à la fête. Les commerçants se sont surpassés pour décorer les boutiques de la rue la plus attractive du Londres sorcier.
Pourtant, les passants s’arrêtent parfois devant des devantures abîmées et des vitrines vides. Le numéro 36 de la rue fait partie de ces commerces abandonnés.
Un panneau de bois méconnaissable se balance au grès du vent dans un grincement de fer rouillé. Le nom affiché au-dessus de la vitre est méconnaissable. La peinture écaillée a perdu sa belle couleur sous une couche de cendres due à l’incendie de la maison d’à-côté, un an plus tôt. Certains mots ont été effacés à coups de baguette et de rayures profondes ; les autres sont illisibles. En examinant attentivement l’affichage, on peut encore reconnaître un cornet de glace, auparavant décoré de boules multicolores. La vitre sale laisse apercevoir le désordre de la salle, des tables renversées et des chaises cassées, ainsi qu’un comptoir détruit par une explosion. Des lourdes chaînes sur la porte empêchent quiconque d’entrer depuis plus de dix-huit mois.
Ce n’était pourtant pas comme ça, avant la guerre. Glaces Florian Fortarôme était un lieu de pause bien connu des sorciers. Jusqu’à ce jour funeste de juin 1996, où plusieurs Mangemorts embarquèrent le glacier dans une violente attaque. On ne le revit plus jamais.
Quand la porte s’ouvrit, un léger tintement de clochettes résonna dans le silence de la pièce. Les premiers clients étaient entrés ! Florian sortit de la salle arrière, un bac de glace Vanille au Cœur de Caramel Fondant dans les mains. Il lança un grand sourire aux trois jeunes filles avant de poser l’énorme pot dans le frigo magique. Chez Glaces Florian Fortarôme, pas besoin de vitre ensorcelée pour garder la température idéale pour les glaces ! Depuis qu’il avait installé ce nouveau frigo « Température Idéale pour vos Marchandises », la qualité de ses sorbets n’en était que meilleure !
Il s’approcha des enfants, installées sur la table la plus proche.
« Misses bonjour ! Qu’est-ce que je vous sers ce matin ?
— Trois chocolat chauds, commanda l’aînée. »
Elle devait avoir à peine onze ans mais elle cherchait visiblement à agir comme une grande dame. Emmitouflée comme elle l’était dans son écharpe serpentard, elle gardait ce côté naïf et innocent de ces jeunes sorciers qui ont découvert Poudlard et qui ne trouvent pas les mots pour décrire leur émerveillement. Florian n’était pas sûr qu’elle souhaitât même montrer ce sentiment à ses sœurs.
« Mais moi je veux une glace ! réclama la plus jeune. »
Elle était aussi blonde que sa sœur aînée était brune. Elle devait à peine avoir sept ans.
« Narcissa, fit son autre sœur avec un sourire, Mère a dit de prendre des chocolats en l’attendant.
— Si tu prends une glace, continua la plus âgée, tu vas être malade ! »
La jeune Narcissa croisa les bras d’un air boudeur.
« Mais Bella, je veux une glace. »
Ses sœurs soupirèrent, avant de regarder Florian. Il leur fit un grand sourire.
« Je peux lui apporter mon nouveau cornet Triple Chocolat pour satisfaire tout le monde ! Une glace chocolat noir avec des pépites de chocolat au lait et un cœur chocolat bien chaud pour terminer. Les avantages de la glace, avec le réconfort d’une tasse de chocolat chaud ! »
Elles l’examinèrent avec des yeux ronds.
« C’est possible ? demanda Narcissa avec un grand sourire.
— Bien sûr, c’est de la magie ! »
Quand il revint avec leurs commandes, les trois sœurs restèrent ébahies devant le cornet. La glace restait fermement en place, sans couler, alors que le biscuit restait bien chaud dans les mains de Narcissa.
« Vous pourrez même dire à votre mère que vous avez pris des chocolats chauds ! Ce sera notre petit secret, continua Florian avec un clin d’œil. »
Narcissa rit, amusée, avant de déguster son Triple Chocolat. La porte sonna pour accueillir de nouveaux clients, mais Florian passa régulièrement voir les enfants pour s’assurer que tout allait bien. Quand leur mère apparut à la vitre, il ne restait aucune preuve de la glace et du forfait.
La petite Ginny était à présent toute seule avec sa mère, en cet après-midi de septembre. Ses six frères étaient tous partis à Poudlard, certains en étaient même revenus. C’était la première fois qu’elle venait au Chemin de Traverse seule avec sa mère. Enfin, c’était ce qu’elle avait dit à Florian avec cette moue boudeuse des enfants laissés de côté.
« Mais tu sais Ginny, l’année prochaine tu pourras profiter à ton tour de Poudlard ! Un an à attendre, ce n’est pas beaucoup, non ? »
Florian cherchait à la rassurer, à l’aide d’un Sunday chocolat couleur de l’arc-en-ciel. Le cadeau de la maison !
« C’est beaucoup trop, marmonna-t-elle en soupirant.
— Ginny ! N’embête pas Mr Fortarôme. »
Mrs Weasley voulut repousser le Sunday. Elle n’aimait jamais quand il offrait des glaces à ses enfants. Il le faisait pourtant avec joie !
« Dégustez-le ! insista le glacier. Cette petite n’aura pas tant d’occasion de vivre comme une enfant unique, qu’elle en profite ! »
Il allait s’éloigner, quand l’enfant demanda :
« Et toi, tu étais dans quelle maison ? »
Il eut un sourire amusé, avant de lui répondre :
« J’étais à Poufsouffle. La meilleure maison de Poudlard, c’est certain ! »
Il se rapprocha d’elle et lui murmura à l’oreille :
« On dit que c’est la maison qui ne vaut rien, mais c’est faux ! On y trouve les amis les plus fidèles, les joies les plus pures et les plus belles mains tendues. Et aussi de très bonnes blagues. »
Quand il s’en alla vers d’autres clients, Florian Fortarôme fut ravi d’entendre les rires de la petite fille qui racontait l’histoire à sa mère.
Malgré plus de trente-cinq ans de carrière dans sa petite boutique de glaces, il ne se lassait pas d’entendre les rires et les joies des enfants. Il s’amusait des lueurs émerveillées dans leurs regards quand ils découvraient les boules aux couleurs changeantes. Les né-moldus comme les enfants de longues lignées de sorciers dégustaient ses glaces avec autant de joie.
Il avait ouvert cette boutique pour ça, trente-sept ans plus tôt. Il avait toujours aimé les glaces, et surtout les produits typiquement sorciers : éclats lumineux, températures incongrues, mélanges aux saveurs plus inattendues les unes que les autres. Mais c’était pour les enfants, rien que pour eux, qu’il avait décidé de se lancer dans l’aventure.
Il n’avait pas regretté ce choix une seule fois de toute sa vie.
« Un soir de juin 1996, trois Mangemorts sont entrés dans la boutique et en sont ressortis avec le pauvre homme. On n’a jamais su pourquoi ils s’étaient intéressés à Florian. C’était un glacier très apprécié par les jeunes sorciers. »
Il relève la tête pour dévisager la jeune femme devant lui.
« Il y a quelques dégâts matériels, mais rien de bien important. C’est l’histoire de quelques jours de travaux, pour remettre un coup de peinture et réparer la porte. Je connais un bon maître d’œuvre qui pourra vous aider.
— Merci de votre aide, j’aimerais vraiment pouvoir ouvrir la boutique rapidement.
— Bien entendu. »
Il se lève, et la raccompagne jusqu’à la porte. Avant de la laisser partir, il lui demande :
« Normalement, je ne m’intéresse pas à ce que font les propriétaires des locaux qu’ils achètent, mais permettez-moi de vous demander : qu’allez-vous faire chez Florian Fortarôme ? »
Elle attend un moment dans le froid, la tête tournée vers la boutique de l’autre côté de la rue. N°36 Chemin de Traverse. Quand elle le regarde à nouveau, elle a un grand sourire chaleureux.
« Des glaces, bien sûr ! »
Le jour de Noël, elle accrochera la bannière rouge et verte qu’elle a déjà préparée de ses mains, dès qu’elle a su que son offre d’achat était acceptée. Elle est certaine que les mots « Réouverture prochaine » plairont à plus d’un sorcier.
Aux grands sourires aimants, passionné, plein d’audace
Il faisait des cornets, si beaux, si colorés
Que les larmes et les peurs paraissaient s’effacer
Il y mit tant d’amour, de joie et de douceur
Des filets de magie, des rires et des saveurs
Et loin des beaux discours, des grandes théories
Animé jour après jour par sa force et ses sourires
Il changeait la vie.