J’avais écrit cet OS pour le concours « coffrets, boîtes et autres cartons », organisé par kiwxi il y a… plus de deux ans ? Dans la mesure où il ne répondait pas vraiment au sujet, je ne l’avais pas publié. Passée la frustration de l’avoir laissé partir en vrille, je profite d’un passage pour le mettre en ligne.
Concrètement, le principe d’Heisenberg signifie qu’il existe une valeur de l’énergie, mais que nous ne la connaissons pas.
On me dit qu’à onze ans, je ne croyais déjà plus aux choses concrètes.
Ontologiquement, le principe d’Heisenberg signifie qu’il n’y a pas de valeur de l’énergie à connaître.
Il signifie que l’on peut créer la matière à partir du néant.
Et que plus on emprunte à l’univers, moins il nous reste de temps pour lui rendre son dû.
[…]
Certains sortilèges se plient aux lois de conservation de la matière.
Wingardium Leviosa.
Si j’articule la formule en pointant ma baguette sur ce vase de fleurs, il se soulève au-dessus de la table, l’eau tangue un peu. Mais rien ne se perd, et rien ne se crée.
Ron dit que je partageais son banc lorsqu’on m’a enseigné cette magie-là. Il dit que lui, il n’y est pas parvenu tout de suite.
- Tu vois, me rassure son portrait, tu es encore une bonne sorcière.
Peut-être.
Je connais le geste, l’incantation à prononcer et la manière dont la prononcer.
Simplement, je ne sais plus comment tout cela m’est venu.
[…]
J’ai la connaissance, mais pas le souvenir du livre dont je l’ai extraite. Le savoir qui me reste ne se raccroche à rien.
Il vient du néant, et y retournera. Principe d’Heisenberg.
L’incertitude dans le temps est supérieure ou égale à la constante de Planck divisée par deux Pi et multipliée par l’inverse de l’incertitude dans l’énergie.
Alors, je suppose que ce n’est pas pour tout de suite.
[…]
J’ai tendu un miroir devant le mur de Ron. C’était la première fois qu’il se voyait.
Il proteste que ses oreilles ne lui avaient jamais parues si rouges que ça.
Il ajoute quand même que sa Maman a fait un bel effort. Personne ne lui a vraiment appris à peindre.
Molly a ramené l’essence qui fait que Ron est Ron. Elle a créé l’énergie et la matière en l’absence de tout.
Il restera un certain temps un tableau suspendu dans la salle-à-manger, et puis retournera à l’univers.
[…]
Souvent, je rêve d’immenses trous noirs.
[…]
- Qu’est-ce que ça fait ? j’ai demandé à Ron.
Il dit qu’il ne peut pas répondre.
- Tu as eu mal ? j’insiste.
- Le Sectumsempra m’a fait mal.
- Mais après ?
- Après… je ne serais pas capable de te l’expliquer.
Puis, au bout d’un moment :
- Je ne suis qu’une image, tu sais.
[…]
Je me rappelle ma toute première pensée.
Ne t’évanouis pas, c’était.
Je n’ai plus l’image de Rodolphus Lestrange pointant sa baguette sur moi.
Je ne sais plus les effets physiologiques du sortilège d’Oubliettes.
Il y a juste le trou noir.
Et arrachée à la ligne d’horizon, cette idée :
Ne t’évanouis pas, tu dois aider Ron.
Comme un vestige.
J’ai ouvert les yeux, et j’ai compris que j’ignorais qui était Ron.
[…]
Ron est parti se promener. Je l’ai cherché dans tous les coins de son tableau ; il n’y est plus.
[…]
- Serpensorta.
J’attends. Il me siffle un secret que je ne comprends pas. Le trou noir palpite en le tirant vers ses abords.
Soudain, le serpent disparait. Je sursaute et consulte l’horloge. Celui-ci a vécu deux heures. A nouveau, je lève le bras.
- Serpensorta.
Je recommence, plusieurs fois je crois. Ca me plait de ne plus être seule entre leurs yeux jaunes. Bientôt le sol en est couvert. Molly me gronde, et ils font comme un nœud lorsqu’elle les balaie au dehors.
Je les suis dans le jardin. Le soleil me fait mal aux yeux après tout ce noir dans le salon.
Molly me trouve la mine inquiète. Elle me dit :
- Hermione, ça va ? Tu devrais t’allonger.
Ce n’est probablement pas la peine de répondre.
Elle me pousse un peu tout doucement sur l’épaule. Je reste là les bras ballants. Molly soupire et laisse la porte entrouverte.
J’ai beau les fixer tout le temps, j’ai l’impression qu’ils s’en vont juste au moment où je bats des cils.
[…]
Dans le coin du salon, le trou noir a enflé.
[…]
Il y a une boîte. Je pourrais l’ouvrir, mais j’ai peur. J’ai l’impression d’y être enfermée toute entière.
C’est Molly qui me l’a donnée. Elle l’a trouvée en nettoyant la chambre de Ron. Elle a un peu rougi, je n’ai pas compris. Elle m’a dit :
- Il les avait laissés dans sa Pensine. Je ne les ai pas ouverts, je me suis dit que c’était privé, mais toi, peut-être…
[…]
George est venu chercher les affaires de Fred.
- Enfin, je veux dire, ce n’est pas comme s’il y avait eu mes affaires et les affaires de Fred. Mais maintenant, je suppose que tout ça est vraiment à moi ?
J’ai hoché la tête.
Il a pleuré en entrant dans leur chambre. Je l’ai aidé à empaqueter ses choses dans des cartons.
Il m’a dit :
- Merci.
Et il a continué de pleurer sans faire de bruit. Je l’ai pris dans mes bras. C’était un peu bizarre, parce que j’avais honte de ne rien pouvoir faire de plus.
Lorsqu’on a eu fini de vider la pièce, on est descendus dans le salon.
Je lui ai demandé :
- Tu le vois, toi, le trou noir ?
Il a répondu :
- Bien sûr.
- Dans le coin, là ?
- Je crois qu’on n’a pas tous le même. Le mien est sur l’horloge. Et il avance en ronds.
[…]
Ron est revenu. Il passait la nuit dans le portrait de Dean. Ils essaient de convaincre Harry de se montrer. Harry se cache derrière un rideau au fond de son tableau. Lorsqu’on essaie de lui parler, il crie :
- Laissez-moi tranquille !
Je ne l’ai jamais aperçu qu’en photo.
Ron dit qu’on était amis, tous les trois.
[…]
Le trou noir a essayé de m’arracher la boîte.
J’étais assise sur le canapé, je lisais. Je l’avais déposée sur l’accoudoir à côté de moi. Et puis, tout à coup, j’ai vu la boîte tomber. Je l’ai rattrapée juste avant qu’elle ne touche le sol.
C’est alors que j’ai aperçu le trou noir qui avait rampé entre mes pieds.
J’ai crié.
Molly est venue s’assurer que tout allait bien.
- Hermione, Hermione, elle répète tout doucement en me bordant.
Je m’endors en serrant la boîte contre moi.
[…]
George m’a tenu la main, et il a chuchoté, comme s’il avait peur de me faire sursauter :
- Hermione, tu ne penses pas qu’il est temps de sortir ?
J’ai réfléchi, et j’ai répondu :
- Non.
- Tu es sûre ? Je crois que ça te ferait du bien.
- Je préfère rester ici.
Il m’a regardé, puis il a regardé la boîte. J’ai eu peur qu’il me la prenne. Il a dû le voir à mon visage. Il a dit avec l’air un peu triste :
- Tu devrais l’ouvrir, tu sais.
- J’hésite encore.
Il a tendu le bras vers la boîte. J’ai pointé ma baguette sur lui. Finalement, il a soupiré :
- Je ne te comprends plus.
[…]
Ron me demande :
- Hermione, tu comptes le faire ?
Je hausse les épaules.
- Tu ne devrais pas.
Je l’entends mal. Il y a comme un bourdonnement entre mes oreilles. Ses yeux vernis sont dans mon dos, je fais face à l’horloge arrêtée sur le mur.
- Pourquoi pas ?
- J’ai peur que ça te fasse mal.
- Mais ce sont les miens, maintenant !
Il pleure. Ca m’est égal. Je sais bien que ce n’est pas lui.
[…]
Le Professeur MacGonagall est venue.
"Pour me rendre visite," elle a dit.
Comme si je ne pouvais plus quitter le Terrier.
Il y a une masse quelque part entre les murs de cette maison qui m’a prise dans son champ de force.
[…]
Ne t’évanouis pas, tu dois aider Ron.
A l’origine, un cri : "Stupéfix !"
La baguette de Rodolphus Lestrange explose.
Ma mémoire se disperse alentours, puis se condense : trou noir.
Lourd de ses milliards de masses solaires.
[…]
George est dans la cheminée.
- Qu’est-ce qu’elle contient selon toi ?
Son rire me crache un peu de cendre au visage quand il répond :
- Toute la douleur du monde. Et l’espoir qui vient avec.
Je secoue la tête. C’est simple, pourtant.
- Dans la boîte, il y a moi heureuse et moi malheureuse.
- Donc la douleur et l’espoir.
- Pas comme ça. Pas l’un et l’autre. Il y a moi heureuse et moi malheureuse en états superposés.
Il fronce les sourcils. J'explique :
- C’est une expérience de pensée.
[…]
Molly refuse de me parler.
Les mots comme amnésie rétrograde et mémoire épisodique me rassurent.
[…]
Je tends le miroir devant moi. Yeux bruns qui clignent, et des taches sur le nez.
- Tes cheveux sont très bien, insiste Ron. A l’école, tout le monde te complimentait.
Je presse un doigt sur ma cornée, gluante comme un vernis. Je dis :
- Moi aussi, je ne suis qu’un portrait.
[…]
Je suis seule au milieu du noir et dans mes bras il y a une boîte.
Il y a ma main sur le couvercle.
Et dans la boîte il y a moi, des morceaux qui me manquent et retournent et retournent...
En spirales autour du Terrier.