Parce que ce n'est jamais facile de devoir quitter sa famille. Parce que, malgré tout ce qu'ils ont pu nous faire endurer, on les aime.
Maman, si un jour par miracle tu passes par là, sache que je t'aime. Et tu me manques.
Ce soir, il y a eu une énième dispute. Qui n’aurait pas dû être. Après tout, nous sommes des Sangs-Purs, et à ce titre, nous, les enfants, ne devrions pas tenir tête à nos parents. Les enfants. Je n’en suis plus une depuis longtemps. Je suis majeure depuis quelques mois, mais quelque part, je n’ai jamais vraiment eu le loisir d’être une enfant. Pas en public. Et plus jamais après mes 9 ans. Nous avons un statut à tenir, un rôle à jouer. Sangs-Purs. Nous devions être parfaits. La Noble et très ancienne famille des Black. Toujours Purs. Parfaits. Pas de cris, pas de pleurs. Pas de joie non plus. Pas de démonstration d’émotion. Chaque geste devait être calculé. Le moindre sourire devenait factice, un instrument pour parvenir à nos fins. Je déteste cet univers. Je l’ai toujours détesté. Ce monde hypocrite, auquel j’ai pourtant participé. J’y ai eu ma place, pendant un temps. Pas autant que ma sœur aînée, Bella, mais une bonne place quand même. J’étais un parti recherché, car parfaite. Pure.
J’étais. Car ce soir, cette dispute, c’était la dernière. Mes parents ne peuvent pas comprendre. Pour eux, tout ce qui compte, c’est la Pureté du sang. Tout ce qui n’est pas Pur doit disparaitre. Ted n’est pas Pur. Il est né-moldu. Il doit disparaitre. J’aime Ted. Je refuse me soumettre à leur volonté et le quitter. Je ne suis plus parfaite. Je dois disparaitre. C’est simple.
Comment mes parents pourraient-ils comprendre ? Comment leur faire comprendre que Ted me voit pour ce que je suis, pour ce que je voudrais être, et non pas pour cette coquille vide mais tellement parfaite que je m’efforçais de donner à voir ? Je ne suis pas ce qu’ils voudraient que je sois. Je ne l’ai jamais été. Ted, ce Poufsouffle, ne m’a pas jugée sur mon appartenance à ma famille. Il m’a jugée pour moi-même, avec mes peurs, mes rêves et mes espoirs. Il est juste. Et il est loyal. C’est ce qui explique son appartenance à cette maison tellement dénigrée. Je ne comprends pas qu’on la dénigre. Les gens qui appartiennent à cette maison sont des gens merveilleux de compréhension et de justice. On peut s’y faire des amis. De vrais amis.
A Serpentard, ma maison, nous n’avions pas d’amis. Nous avions des relations sociales. Notre statut à maintenir. Le moindre faux-pas était mortel. J’ai commencé à avoir des amis en sixième année quand, en cours de Sortilèges, je me suis mise en groupe avec des Poufsouffles. Ted en faisait partie. Nous avions d’autres cours en commun, comme la Botanique, et chaque fois je retrouvais avec un plaisir toujours plus grand mes amis. Je mesurais à sa juste valeur le cadeau qu’ils me faisaient. M’accepter telle que j’étais.
Depuis ma plus tendre enfance, jamais un tel cadeau ne m’avait été offert. Si, par une personne. Ma petite sœur, Narcissa. Cissy. Elle va tellement me manquer. Ils vont tous me manquer. Parce que malgré tout, malgré les disputes, les insultes, les rabaissements et leurs préceptes archaïques, j’aime ma famille. Mère, avec ses cheveux toujours tirés à quatre épingles, ces robes magnifiques qu’elle nous trouvait et qui faisait que nous étions les plus belles à chaque réception. Père, qui nous a toujours aidées à nous tirer des griffes de prétendants trop assidus. Bella, ma grande sœur, qui m’a appris tout ce que je sais en sortilèges défensifs et offensifs, presque mariée à Rodolphus Lestrange. Et Cissy. Cissy, si belle, si douce. Cissy, qui ressemble à une poupée de porcelaine. Cissy, qui venait me rejoindre dans mon lit quand elle faisait un cauchemar, petite. Cissy, qui venait dans ma chambre pour me confier ses problèmes, ses doutes, ses rêves, ses amours, ou juste parler de tout et de rien tous les soirs. Cissy, la seule à qui j’ai confié mon plus grand secret. Ma différence.
Le Choixpeau ne voulait pas m’envoyer à Serpentard. Il pensait que Serdaigle serait plus approprié. Pour ma soif de connaissances. Pour ma sagesse. Pour mon ouverture d’esprit. Parce que pour moi, la Pureté du sang n’a jamais compté. Mais j’étais trop lâche. J’ai choisi Serpentard. A onze ans, alors que je me sentais déjà si différente du reste de sa famille, je ne voulais pas être rejetée. Je ne voulais pas être seule. La solitude fait si peur.
J’ai peur. Je me sens un peu perdue. Partir ce soir, c’est arracher toute une part de moi, celle qui a été la majeure partie de ma vie. Partir ce soir, c’est abandonner là, sur le trottoir, la coquille et l’armure qui renfermaient ce que j’étais, ce que je devais être. Partir ce soir, c’est fouler aux pieds ce que j’ai toujours appris à être. Partir ce soir, c’est m’exposer telle que je suis au monde entier. Partir ce soir, c’est décevoir ma famille et être reniée. Partir ce soir, c’est repartir de zéro. Partir ce soir, c’est la liberté.
Je suis là, sur ce trottoir, seule et tellement vulnérable. Je vais rejoindre Ted. Je ne serai plus seule. Je serai moi-même. Mais je ne serai plus entière. Une partie de moi restera à jamais ici, sur ce trottoir en face de chez moi. Se déchirer ainsi en deux, est-ce du masochisme, de la lâcheté ou du courage ? Partir n’aura jamais été aussi dur. Mais c’est nécessaire à ma survie. Je ne rentre plus dans les petites cases prévues par ma famille. Je n’y suis jamais vraiment rentrée. Narcissa non plus, mais elle fait beaucoup mieux illusion que moi. Elle ne part pas. Mais je ne peux pas lui en vouloir. Si je n’avais pas eu Ted, je n’aurais jamais trouvé la force de partir. J’espère qu’elle arrivera à être heureuse.
Adieu Cissy. Adieu Bella. Adieu Père. Adieu Mère.
Je pars.
Je vous aime.