King Cross, immense cathédrale de verre et de fer. Les pesantes pierres montent paresseusement à l'assaut de la lumière qui filtre à travers le toit de verre.
La gare se remplie de gens, les wagons argentés dégueulent un flot continu de personnes qui se perdent dans la foule ambiante.
L'atmosphère s’emplit des larmes du départ, des rires de retrouvailles et des cris des gens espérant couvrir de leur voix les crissements des roues sur les rails. Tout se mêle dans une joyeuse cacophonie.
Les valises roulent joyeusement sur le bitume, les néons en cette matinée grisâtre éclairent de leur lueur crue les murs sales de pollution.
Les retours de vacances croisent les départs d'enfants vers les différents internats qui peuplent la campagne britannique.
C'est ici que venait à chaque rentrée des classes, Mr Jones. Ce vingtenaire, oisif et peintre par passion, adorait peindre les visages des gens qui peuplaient la gare le temps d'une journée. Il aimait capturer de ses coups de pinceau précis, les émotions qui saisissaient les enfants lors de leur départ pour leur établissement scolaire. Il tentait au mieux de saisir l'angoisse qui se dessinait sur les visages des parents lors du départ de leur progéniture. La rentrée des classes était son rendez-vous annuel à la gare King Cross. Ensuite, en attendant ce nouveau jour, il retournait à son atelier, et ses peintures de paysages, nues et autre sujet consentant. Ici, il cherchait avant tout à capter une émotion et non une image précise. Ce n'était pas un sujet qu’il peignait sur sa toile mais des visages, des émotions, il arrivait qu’un personnage soit le résultat de plusieurs modèles.
Il était là déjà depuis deux heures fixant sur ses papiers de nombreuses esquisses, et croqué sur son chevalet en coups rapides de fusain quelques modèles. La magnifique gare servant de décor à cette foule se mêlant en un vif ballet d'odeurs, couleurs et sensations.
Le soleil commençait à poindre à travers les immenses verrières qui recouvraient les quais. C'est à ce moment-là qu'une famille apparut dans son champ de vision. Le son d’un piano et celui d’une guitare sur lesquels jouaient deux jeunes filles, couvraient leurs paroles.
Seuls quelques mots lui parvenaient. Des mots étranges qu'il ne comprenait pas. Un moldu sonna étrangement à son oreille. Cela devait être un mot étranger car il ne l'avait jamais entendu. La petite fille rousse se pendait au bras de sa mère en pleurant, criant, suppliant. Pendant ce temps, ses nombreux frères arborant tous la même couleur de cheveux flamboyante, s'avançaient lentement poussant péniblement les chariots remplis de valises. Un jeune garçon, à l'entente du mot moldu, s'avança vers eux. Il était malingre et sa chétive taille disparaissait sous l'encombrant chariot où trônaient une valise, un chaudron et ce qui semblait être une chouette dans une cage. Ce mot devait être une sorte de code, il ne voyait que cette explication. Mais déjà il ne se souciait plus de la vie de ces personnages qui jouaient leur scène devant lui. Il ne voyait en eux que des modèles, et prit d'une envie subite, il crayonna sur des feuilles cette petite fille qui tirait sur le bras de sa mère. Ce bonhomme essoufflé qui courait après deux turbulents garçons. Il s'acharna à dessiner la mine empressée et pleine de morgue d'un grand dadais roux. Et surtout, il dessina des croquis de cette chouette qui arborait un air calme en plein jour dans cette gare bondée. De ses coups vifs, naissait sur la page vierge un petit garçon dans ses vêtements trop grands et de seconde main, observant le monde d'un air effaré. Ce garçon l’attirait plus que la fratrie de rouquins. Il voyait dans ses prunelles vertes un passé trouble. Et puis soudain, alors qu'il était penché sur les yeux du garçon qu'il dessinait sur sa feuille, espérant capter sa lumière de curiosité qu'il y lisait, il releva la tête et les vit disparaître comme ça au détour d'un mur. Enfin plus précisément dans un mur, le reflet du soleil éclairant la verrière sur ses lunettes avait dû l'aveugler et lui faire croire que les personnes qui avaient tourné à l'angle du pilier l'avaient traversé.
Il était retourné dans son atelier plus tôt que prévu souhaitant fixer sur sa toile les personnages mystérieux qu'il y avait rencontrés. Il avait gardé de cette aventure une saveur particulière. L'amer d'un secret effleuré du doigt et la saveur veloutée de l'étrangeté de cette rencontre se mêlaient dans sa bouche.
Chaque année Mr Jones allait à la gare King Cross et observait de loin la fratrie et le jeune garçon qui semblait les avoir adoptés. Il y allait même lors du retour dans leur foyer des enfants pour les vacances d'été. Il continuait à peindre fiévreusement ses scènes de retrouvailles. De nouvelles toiles étaient venues s'ajouter aux anciennes. Deux garçons percutant un mur de pierre. Deux adultes affichant des mines outrées devant la fréquentation du jeune garçon aux yeux verts. Une petite fille aux cheveux hirsutes souriant.
Au fil des ans, ils les avaient vus grandir. Des visages enfantins côtoyaient des visages devenant de plus en plus adulte. Les rondeurs enfantines disparaissaient sous les assauts du temps, les visages s'affinaient, devenaient plus graves.
Ils les avaient vus évoluer, grandir sous ses yeux. Sur ses toiles, il peignait le temps qui passait.
Cela faisait maintenant cinq ans qu’il les observait malgré la joie de se revoir, il y avait au fond de leurs yeux comme une lueur d'inquiétude. Les gestes étaient plus assurés, plus mesurés aussi. Il retrouvait maintenant cette inquiétude clairement affichée sur les visages. Les au revoir se faisaient plus pressants. Cette peur n'avait pas lieu d'être dans ce lieu où les sourires joyeux et les pas pressés se chevauchaient. Le secret qu'ils semblaient cacher s'épaississait. Lors de leur dernière année scolaire, il n'avait pas vu tout le monde réapparaître. Les traits se faisaient lourds, les regards fuyants ou batailleurs. Les gens semblaient apeurés, sur le pied de guerre.
Il rentra après leur départ dans son atelier et peignit ce qui l'avait vu, il contempla toutes ses toiles. Il avait effleuré un secret, un monde jusque-là inconnu. Il ne le réalisait pleinement qu'aujourd'hui alors qu'il quittait ce monde insoupçonnable. Il n'avait plus envie de revenir à la gare, les gens lui paraissaient fades après ce qu'il avait aperçu. Les hommes avec leur préoccupation quotidienne le lassaient, ces jeunes gens combatifs l'avaient interpellé et fasciné pendant des années. Il était temps de tourner la page, il disait adieu à King Cross et ses étranges personnages qui disparaissaient au coin de la voie 9.
Il rangea soigneusement les toiles dans un coin de son atelier, tira les rideaux et ferma la porte grinçante. Il était l'heure de se trouver une autre passion.
Normalement cette histoire devait être un OS. Mais voilà je me suis attachée à ce personnage. Donc un an et demi plus tard voici une suite.
Merci à ma beta loloche35
Alors petite question ^^
Quel est à votre avis ce secret que Mr Jones à touché du doigt?