La salle est sombre. Trop sombre. Pourquoi n’y a-t-il pas de couleur ?
J’expire lentement en penchant la tête en arrière. Le froid du métal du fauteuil me fait frissonner. J’allonge un peu plus mes jambes. Un clapotement me rappelle que mes talons viennent de prendre l’eau. A quoi bon ? Il faut de la couleur, je l’ai toujours dit !
Mes mains glissent le long des accoudoirs en velours. Ils me piquent la peau, m’électrisent les sens. Je soupire lentement. Ce calme fait tellement de bien ! Pas de cri, pas de dispute, uniquement le doux murmure de l’air dans mon larynx.
Une odeur âpre me saisit à la gorge. Je sens que je vais vomir ! Non, non. Je souris. Cette odeur, celle de la victoire, je la savoure avec délice. Depuis le temps… Il fallait de la couleur dans cette chambre, je le savais !
Un rictus se dessine sur mes lèvres. Je caresse délicatement mes dents blanches du bout de la langue avant de goûter l’atmosphère. Un courant d’air s’engouffre dans l’étoffe de soie blanche de ma robe longue. Une robe de princesse. Une robe pour moi.
Blanche, encore. Pourquoi ne m’offre-t-on jamais de couleur ? J’éclate de rire. Amertume passagère vite envolée. Légèreté bienveillante qui s’offre à moi. La fenêtre est grande ouverte. Au loin j’entends le cri de la mésange à l’agonie dans la neige. Un oiseau tout de bleu vêtu. Un nuage de couleur dans un ciel d’une clarté opalescente. Je grince des dents. Elle est à moi !
Mes muscles se raidissent et j’exalte un grognement roque. Ma main se sert sur le métal poli au bout tranchant. Je sens la lame meurtrir ma chair. Un liquide poisseux goutte sur le parquet poli et vient mouiller à son tour la semelle de mes escarpins. Ah ! Enfin !
Des soubresauts assaillent ma poitrine. Je la voulais tellement ! Je me laisse lentement glisser au sol, admirant les aquarelles se former sur le tissu blanc. J’écarquille les yeux, que de pureté dans ces arabesques.
Je laisse courir mes doigts dans la flaque. Un à un ils buttent contre la noirceur, cet oppresseur des idées polychromes. Je me penche doucement vers lui et embrasse ses lèvres rosées. Un soupçon de bonheur me traverse. C’est encore trop pâle.
Je m’allonge de tout mon long au sol. Quelle extase ! Cette pièce tellement fade de laquelle je ne peux sortir… Pourquoi ?! Pourquoi pas ! Tout ce gris me donne la migraine. Je ferme les yeux et me laisse envahir par le bonheur de voir enfin de la couleur.
Lentement je lève ma main. Une goutte tombe. Puis une autre. Ce clapot calme et rassurant me donne du courage. Je m’extirpe de mon nid de bien-être et m’approche du mur. Et si … ? Au fond, je l’ai toujours voulu.
Je hurle toute ma colère contre ce traditionalisme qui bannit de la palette ceux qui sont trop hauts en couleur et pose ma main contre la cloison. Voilà, c’est fait. Je respire mieux. Un sourire extatique balaye mon visage. Je me laisse tomber à genou et fixe avec émerveillement mon œuvre, mon art.
La porte s’ouvre, elle hurle. Je ne bouge pas, le regard toujours tourné vers mon chef d’œuvre. Elle appelle au secours. Elle s’énerve. Pourquoi ? Je l’ignore. Elle crie qu’on aurait dû m’interner depuis longtemps. A quoi bon, j’étais déjà prisonnière. Prisonnière du conformisme. Prisonnière de la vision étriquée du monde.
Je l’entends, je ne suis pas folle vous savez. Je la devine penchée sur le corps de Draco.
Et si c’était à refaire ? Je sais que Daphnée se pose sans cesse cette question. Je sens le fumet nauséabond de l’amertume d’ici. Le regret la consume comme une flamme qu’on attise. Elle qui rêvait de mariage, d’enfant et de gloire. Elle qui rêvait de Draco. Ma sœur qui n’en est plus une depuis que la jalousie suinte de ses pores.
Et si elle n’avait pas refusé ce jour-là ? Et si elle n’avait pas joué à ce petit jeu puéril ? Elle serait à ma place ! Je serai libre ! Mais Draco n’est pas un homme qu’on fait attendre. Oh combien je la hais ! Non… Si… Je ne sais plus. Tout est si flou.
Cette tâche miroite sur la tapisserie crème. Les ombres mouvantes dessinent les barreaux qui jonchent ma vie. Je voulais… Je voulais tellement ! Mon existence a pris un tournant insipide quand la bague m’a brisée aussi sûrement qu’un boulet au pied. Il a essayé. Oh oui ! Il a essayé. M’enfermer, me cacher, me priver de couleur dans cette chambre à l’édredon nacré.
Pourquoi ont-ils tous si peur de moi ? Je ne veux que leur bonheur. Une touche de gaité dans ce monde si fade. Elle chuchote que je suis un monstre, que mon mari avait pourtant été mis en garde. Je l’entends le secouer encore et encore, lui caresser ses joues exsangues.
C’est inutile, je le sais. Draco m’appartient pour toujours. Même ce fantôme qu’il a voulu imposer entre nous. Même cette pâle idée de me quitter qu’il a osé esquisser tout à l’heure. Rien ne me l’enlèvera.
Draco est ma plus belle œuvre. Il m’a fait le plus beau des cadeaux.
Le rouge.