Every morn and every night
Some are born to sweet delight
Some are born to sweet delight
Some are born to endless night
William Blake, Auguries of Innocence
Le soleil entre à flots par la vitre de la petite chambre, alors Lavande ouvre les yeux. Les taches et les ombres sur le plafond dessinent d’étranges visages et des animaux fantastiques. Son regard suit le chemin chaotique d’une craquelure du plâtre jusqu’à une Manticore ramassée pour bondir puis glisse le long du nez crochu d’une sorcière aux traits trop accusés pour être vrais. Elle cligne des yeux, balance ses jambes par-dessus le bord du matelas et se lève, embarquant au passage la couverture qu’elle a repoussée du pied pendant la nuit et qu’elle jette sur ses épaules nues – ça gratte, tant pis. Dans la pénombre, de l’autre côté du lit aux draps blancs, Parvati dort, immobile.
La fraîcheur des dalles en terre cuite sous ses pieds la fait frissonner et, lorsqu’elle ouvre la fenêtre, l’odeur de la mer la frappe comme une gifle. Le soleil, bien qu’encore bas sur l’horizon, fait scintiller les vagues. Il fait beau ; un temps à prendre le petit déjeuner dehors, peut-être au bord de la falaise. Quelques nuages passent dans le ciel, blancs et cotonneux : on peut y apercevoir un Boursouf rond et moelleux, un Augurey aux plumes ébouriffées et même, en se concentrant bien, la tête d’une licorne de profil. Lavande a toujours aimé trouver du sens là où les autres ne voyaient qu’un vaste bordel : dans les nuages, depuis toute petite ; à Poudlard, c’était dans les feuilles de thé des cours de Divination ; et puis sur les murs et au plafond depuis qu’elle ne dort plus la nuit, parce qu’il faut bien s’occuper.
Le paquet de Silk Cut posé sur le rebord de la fenêtre la nargue, alors elle en sort une clope et son briquet, même si normalement elle ne fume pas le matin. La première latte a un goût de fatigue, de crasse et de nuit d’insomnie, le goût dégueulasse de son deux-pièces-cuisine-salle de bain avec vue sur la rue et l’immeuble d’en face : le goût de Londres, loin de la mer et du soleil et des draps blancs et du sel sur sa peau. La fumée s’envole en volutes grises qui salissent le ciel un peu trop bleu.
Ça bouge derrière elle : d’abord un froissement de draps, et puis le bruit discret de pieds nus sur les dalles. Un instant après, la bouche de Parvati se pose sur son épaule, longuement, le temps d’imprimer dans sa chair le souvenir de cette chaleur un peu moite ; recommence, une fois, deux fois, trois fois, jusqu’au creux de son cou. Lavande ferme les yeux, tourne la tête, et elle prend le temps de savourer la pression de la main de Parvati, brûlante sur sa hanche à la peau glacée par le vent matinal ; le velouté de la peau entre sa joue et la racine de ses cheveux, le long de la mâchoire, sous ses doigts ; et puis la douceur de ses lèvres, à peine entrouvertes contre les siennes. Le baiser est délicieusement interminable, lent comme il faut, comme ces deux derniers jours.
Lavande garde obstinément les yeux fermés, se retourne, laisse la couverture tomber à ses pieds, se presse contre le corps d’une Parvati encore toute chaude de sommeil, colle la froideur de sa peau contre la sienne, cherchant la plus grande surface de contact possible ; elle sent ses bras se refermer sur elle, ses mains se poser dans son dos, et c’est comme si son cœur allait exploser, même après dix ans. Elle pense aux heures passées dans le dortoir de Gryffondor, à écouter patiemment des histoires de garçons qui lui tordaient le ventre ; à toutes ces nuits où elle a attendu une heure ou deux ou trois de pouvoir changer de hamac, dans une Salle sur Demande bourrée d’insomniaques et d’angoissés ; aux mensonges servis tout chauds à Seamus, à ses parents, à sa patronne, pour pouvoir s’échapper, s’enfuir loin de l’appartement au goût de tabac froid ; et aussitôt elle oublie tout ça, parce que si c’était à refaire, rien que pour un instant comme celui-là, elle le referait.
Parvati embrasse ses paupières closes, recommence, une fois, deux fois, trois fois ; elle chuchote : « qu’est-ce que t’as ? » et Lavande niche son visage dans son cou, la serre fort, fort, comme si elle voulait s’installer là, tout près de son cœur – ou, moins romantiquement, entre ses deux seins – et y rester pour toute la vie.
- Qu’est-ce que t’as ? redemande Parvati.
- Je veux que tu me lances un Reducto et que tu me mettes dans ton soutif, marmonne Lavande.
- Ah, bien ! Et jusqu’à quand, s’il te plaît ?
- Toute la vie. Si c’est possible.
Le rire de gorge de Parvati est aussi chaud que sa peau.
- C’est un projet de vie sacrément ambitieux, ça, madame, d’habiter dans mon soutien-gorge !
- Ce serait sûrement mieux que mon appart, y aurait même un petit balcon…
Parvati secoue la tête et Lavande la sent lever les yeux au ciel avant qu’elle ne l’embrasse sur le front.
- C’est pas très gentil de ne pas me prendre au sérieux, grommelle-t-elle ; et, comme pour se venger, elle prend d’autorité la bouche qu’elle devine rieuse, au-dessus d’elle.
Bien plus tard, alors que les draps blancs ont rejoint la couverture en laine qui gratte sur les dalles en terre cuite, que le soleil est haut dans le ciel et que les ombres sur le plafond ont disparu, Lavande ouvre les yeux de nouveau. La place est froide à côté d’elle et une odeur de café frais flotte dans l’air. Sur la table de nuit scintille la bague d’or sertie de trois émeraudes identiques qu’elle a quittée hier soir.
Dans le ciel bleu, loin vers le levant, l’Augurey blanc et cotonneux renverse la tête pour pousser son cri silencieux.