Au mois de mai joli mois de mai, Lavande sortit du minuscule cabinet de la Psychomage Kaur pour ce que celle-ci avait indiqué être la dernière fois. Et elle fut éblouie par les rayons du soleil printanier, qui avait percé les nuages duveteux et fait s’évaporer la rosée sur les fleurs multicolores dont les tiges habillaient enfin les parterres du Chemin de Traverse.
Lavande était, avait toujours été une personne rythmée : elle se levait à la même heure, enfilait le haut avant le bas, prenait son thé après avoir mangé, et si d’aventure elle devait déroger à l’une de ses précieuses habitudes alors, son troisième œil la tracassait toute la journée, lui soufflant les malheurs qui pourraient bien s'abattre sur elle.
Lavande était, avait toujours été une personne rythmée, et depuis près de deux années qu’elle consultait, le mardi et le jeudi, Aadrika Kaur dans une pièce lumineuse et tout en longueur, où débordaient du plafond des lianes et des lianes de pothos, de fougères, d’aeschynanthes et de sindapsus, depuis près de deux années, Lavande une fois sortie prenait une grande inspiration sur le perron, et elle transplanait pour la maison de Dean où Seamus – Seamus l’attendait toujours, toujours pour le déjeuner. Il lui offrait, à l’été, du sirop à la fraise, à l’hiver des chocolats crémeux saupoudrés de cannelle, et ils mangeaient ensemble. Parfois, ils évoquaient l’heure passée avec la Psychomage, Seamus s’enquérait ou Lavande laissait échapper soudainement des mots bruts puis se taisait puis revenait à la nourriture. Et, le plus souvent, ils se narraient le reste, tout le reste : la matinée de Seamus, au bureau des Aurors, le classement des Harpies qu’il savait minutieusement par Harry, des anecdotes, et comment Angelina était venue à bout, pour la première fois, de leur instructeur surpuissant, comment Adrian Thruston et Célestine Montgomery avaient été pris en flagrant délit de vol de Fizwizbiz dans les placards communs, et les articles de Lavande, ses piges, ses idées, ses projets, ses rencontres fortuites et programmées et le bonjour de Parvati, le bonjour de Hannah, le bonjour de Susan.
Mais, cette fois, plutôt que d’apparaître d’un perron à un autre, Lavande choisit de transplaner au pied de la colline arrondie qui menait à la maison de Dean.
Ça n’était pas, à proprement parler, la maison de Dean, mais la maison de son père, dont il avait retrouvé la trace au Ministère après la guerre, son père, dont il avait su une vie après la mort qu’il était un sorcier. Et un sorcier qui lui avait laissé une maison de pierres, dans le parc national de Peak District. Elle surplombait les landes de bruyères et les moutons y pâturaient à l’année et la rivière seule transperçait les prairies verdoyantes et Lavande atterrit là, dans l’une de ces prairies, où fleurissaient en abondance les coquelicots, les bleuets, les marguerites et les asters, les reines-des-prés, les orchidées sauvages.
Elle les caressa du bout des doigts, songeant qu’elle préférait, pour un instant très très suspendu dans le temps, leur compagnie à celle des badauds du Londres sorcier, et même de ses amis.
Lavande était sociable, extravertie, même, l’amie qui connaissait tout le monde, et organisait les fêtes et planifiait les surprises, elle était celle qui envoyait le plus de hiboux à la journée et savait sur le bout des doigts le nom et le prénom des conjoints des enfants des parents des animaux de toute leur promotion, et elle aimait ça, elle aimait les gens, Lavande. Elle les trouvait intéressants. Et, souvent, quand Aadrika Kaur accusait un léger retard et que Lavande attendait à la baie vitrée, elle jetait un œil sur le Chemin de Traverse, puis deux, guettait. Elle s’amusait follement à inventer, pour chacune et chacun des passants qui arpentaient la ruelle escarpée, une histoire, une vie. C’était un jeu qui requérait une certaine imagination, et pouvait s’avérer lassant, mais elle le préférait de mille fois à celui qui l’avait expédiée tout droit au cabinet de la Psychomage.
Quand
quatre ans auparavant
les crocs s’étaient refermés sur sa chair
elle avait vu les yeux
les yeux de la bête ils
Brillaient : de la lueur du joueur.
Et alors était arrivé quelque chose d’extraordinaire : les Médicomages, les professeurs, la rare famille qu’il lui restait, ses amies, ses amis, toutes et tous, ils avaient décrété la voilà elle est là, la cause du traumatisme. C’est la figure monstrueuse le macabre spectacle ton sang dans tes vêtements tes cheveux tes yeux et sur les pierres qui gardaient le souvenir de tes rires tes gloussements ton insouciance. Et Lavande, Lavande brisée éteinte souvent mais fougueuse parfois, avait argué : si le sordide était la seule cause de mon internement alors le pays entier serait enfermé entre vos murs blancs. Et les Médicomages avaient dit : certaines personnes sont plus fragiles – sont plus faibles – que d’autres et probablement Lavande était de celles-là.
Alors, le regard de Fenrir Greyback, ses yeux absolument conscients, absolument vivants qui avaient été le miroir d’un monde où Lavande se préférait peut-être morte, qu’à la merci, son regard, le méthodisme avec lequel il avait mordu, faisant des striures régulières, plus travaillées que ne l’aurait été un fichu dessin, tout ça, Lavande l’avait gardé pour elle, et son univers était resté gris.
Et puis, ses parents étaient morts.
Ils avaient été assassinés, par des Mangemorts, parce que Lavande. Parce que Lavande avait lancé un maléfice aux Carrow dans la Grande salle pour permettre à une élève de son année de fuir avant de déguerpir elle-même vers la Salle sur demande. Parce qu’ils ne l’avaient pas trouvée. Parce qu’ils l’avaient dans leur collimateur depuis le début de l’année : ses deux parents étaient des sorciers, mais des sorciers nés de Moldus. Ses deux parents étaient. Ses deux parents étaient morts. Et là encore, les Médicomages avaient vu ce qu’ils voulaient voir et ce qu’un service surchargé de victimes traumatisées laissait à leurs six paires d’yeux le temps de voir. Ils avaient vu le chagrin, la détresse, un autre traumatisme mais c’était Seamus qui, le premier, avait nommé la culpabilité, face aux sanglots incontrôlés.
C’était Seamus, qui l’avait crue, qui l’avait soutenue, Seamus, qui avait dit qu’il était qu’il serait là, qu’elle était elle qu’elle était belle, qu’elle était forte qu’il était fier c’était Seamus, c’était Seamus qu’elle aurait dû courir retrouver, et remercier, et enlacer embrasser, c’était toujours Seamus.
La Psychomage Kaur était affirmative : Lavande savait désormais voler.
Et pourtant elle faisait des détours, des ronds de jambe dans le chemin sinueux que le pas de ses amis avait dessiné à travers la prairie et qui desservait la maison de Dean. Lavande tournait se retournait tournoyait, au milieu des fleurs, et elle avait peur.
C’était ce qu’on lui avait promis, un avenir radieux, la première fois qu’elle avait quitté Sainte-Mangouste. Les jours raccourcissaient déjà, les feuilles doraient aux arbres et elle avait raté la rentrée, mais Seamus était venu la chercher, évidemment que Seamus était venu la chercher, et elle avait retrouvé Poudlard, Parvati, Dean, son dortoir, son lit, sa place dans la Grande salle et à la bibliothèque, Lavande avait retrouvé sa vie. Et puis la Terre avait fait trois-quarts de tour et les jours filaient vers le plus long lorsque Pompom Pomfresh avait diagnostiqué une dépression.
Elle avait craint, alors, de perdre ses amis, qu’ils se lassent et se détournent, elle avait craint, surtout, d’avoir atteint la limite de ce que pouvait supporter Seamus. Et Seamus, fidèle et tendre et droit, Seamus avait été là. Il l’avait encore été, il le serait toujours. Il l’avait convaincue, et re-convaincue, et jour après jour, les matins chagrin les matins rien les matins moyen et les matins bien, il avait chanté le même refrain. Il s’était réjoui qu’au fil des jours, des semaines, des mois et finalement des années, Lavande chante avec lui.
C’était peut-être pour ça, qu’elle traînassait désormais dans la bruyère, Lavande. Parce qu’elle était radieuse, mais soucieuse, elle était épanouie et guérie mais elle se souvenait, aussi. Elle ne voulait pas briller trop fort, susciter trop d’espoir, elle ne voulait pas faire croire à Seamus que c’était fini, et l’entraîner une énième fois dans quelque chose de plus grand que lui.
Et cependant qu’elle s’abaissait, cueillait à la volée un bouquet de cosmos et laissait choir quelques pétales éclatants dans sa chevelure abondante, Lavande réalisa deux choses :
elle se sentait vraiment, vraiment bien, et guérie ça n’était pas le mot qu’elle aurait choisi mais tout de même ce contentement, cette sensation d’apaisement et –
et la deuxième chose : Hannah venait vers elle.
— Hé, Lavande !
Parce que tous les instants de sa vie, Hannah, elle paraissait les passer ici, dernièrement, dans les prairies colorées où ricochait l’écho de leurs rires, les rires de tous leurs amis.
La maison de Dean était bringuebalante et terne la première fois qu’il en avait poussé la porte. Son jardin était à l’abandon, le lierre perçait les carreaux, et l’humidité avait laissé d’épaisses traces noires sur les murs défraîchis. Il avait d’abord entrepris de la rebâtir, seul, et à la Moldue, comme il l’avait appris de son beau-père et ses belles-sœurs et de la seule famille qu’il ait jamais vraiment connue. Et puis Seamus était venu. Et Parvati et Lavande, bien sûr. Et Luna. Alors, Neville, Hannah, et Ginny, évidemment. Alors Harry et Hermione et Ron et Angelina. Alors Katie, Olivier, et Ernie, Lee, Susan, Justin, Padma, et Terry et Michael et Demelza et Morag et Lisa et Megan et Dennis les anciens, les combattants, les survivants avaient construit à la seule force de leurs mains et du lien éternel qui les reliait les uns aux autres : un paradis sauvage.
Ils s’y retrouvaient, depuis. Dean, Seamus et Lavande l’habitaient à temps plein, Parvati avait une chambre attitrée, Luna aussi, Theodore s’était installé depuis plusieurs mois, Harry et Ginny habitaient un coin du grenier entre les gardes de l’un et les matchs de l’autre et Ron et Hermione avaient occupé une grande chambre au premier avant de rêver d’un endroit pour eux deux – ils habitaient désormais une jolie maison de ville à Notting Hill, dont la façade, ocre, était enchantée pour qu’ils puissent exercer la magie sans être visibles des Moldus, et le jardin qu’entretenait Ron accueillait les amies, les amis, dans des fêtes qui n’avaient rien à envier à celles de la maison de Dean.
— Tu reviens de Londres ? s’enquit Hannah.
— La Psychomage, précisa Lavande.
Hannah, elle, était souvent là, habitait avec Susan dans un appartement baigné de lumière, au dernier étage d’un immeuble biscornu du Londres Moldu. À sa sortie de Poudlard, Hannah s’était lancée dans une formation de guérisseuse à Sainte-Mangouste, mais son anxiété chronique et les images dramatiques qui l’habitaient depuis la bataille l’avait fait renoncer, quelques mois en arrière. Et depuis, elle fréquentait de plus en plus souvent la maison de Dean, où Neville avait fait fleurir les massifs les plus tristes.
Lavande ne lui cachait rien ; Hannah non plus. Elles ne cachaient rien, ils ne cachaient rien à personne, toutes et tous, parce qu’ils avaient partagé quelque chose de plus fort encore que la mort, ils avaient partagé la vie les uns des autres. Ils s’étaient confiés la vie des uns des autres, l’avaient mise entre leurs mains d’enfants, leurs mains de grands. Pendant les six premières années qu’ils avaient passé au château ils s’étaient déchirés, parfois, ils s’étaient querellés comme des adolescents savaient le faire, mais le conflit les avait liés à tout jamais.
— D’habitude, tu rentres tout de suite à la maison, après, nota Hannah.
Ils ne se cachaient rien, parce que leurs peurs étaient les mêmes, leur façon de les affronter et, parfois, de s’en détourner, ils étaient chacun le miroir d’au moins l’un d’entre eux. Hannah était le miroir de Lavande : elle s’était effondrée à la fin de ses études mais ne s’en était jamais cachée, assumant ses sentiments, et tout ce qu’elle ressentait.
— J’avais besoin d’un peu de temps, souffla Lavande.
— Oh. Ça ne s’est pas bien passé ?
— Le contraire. Je crois.
— Seamus t’attend, tu sais.
Lavande savait – Seamus l’attendait toujours.
— Tu as de la chance de l’avoir, poursuivit Hannah.
Lavande le savait aussi.
— Et Seamus, Seamus il a de la chance de t’avoir, toi.
Et cependant ça c’était déjà moins évident, mais pas surprenant non plus, parce que précisément Lavande et Aadrika Kaur avaient évoqué ce point, plusieurs fois, aujourd’hui même, encore.
Parce que, souvent, et tous les jours d’abord, des journées qui s’étaient ensuite étirées, Lavande se demandait ce qu’aurait été la vie de Seamus, si seulement elle n’en avait pas fait partie.
C’était certain, il aurait candidaté au Bureau des Aurors de la même façon, même si lui avait cette théorie comme quoi, si la pensée de Lavande ne l’avait pas obnubilé cette nuit-là, entre le 1er et le 2 mai 1998, si Lavande n’était pas là Seamus clamait qu’il se serait perdu, et qu’il aurait été perdu. Mais Lavande, ce qu’elle voyait, elle, c’était Seamus accomplir sa destinée, réussir brillamment ses ASPIC et entrer au Ministère et s’intégrer aux Aurors comme il savait le faire avec charme et exubérance et talent et, et le soir, et le midi deux fois par semaine, Seamus lui revenait. Seamus, qui nouait si aisément des liens avec la terre entière, qui aurait fait s’exprimer un fichu lampadaire, Seamus et depuis près de trois années, ne l’avait jamais laissée tomber. Il n’avait jamais abandonné Lavande à ses collègues, à ses amis, à un verre sur le Chemin de Traverse, à une soirée, jamais. Ils y étaient allés ensemble, ou ils n’y étaient pas allés. Et Lavande s’était demandé, se demandait encore, ce qu’aurait été la vie de Seamus sans elle : plus douce, certainement, plus drôle, plus imprévisible et toujours toujours plus.
— Elle m’a dit que je n’avais plus besoin de venir, confia Lavande.
Hannah déposa avec délicatesse les immenses parchemins qu’elle recouvrait de fleurs séchées entre les herbes folles qui leur chatouillaient les mollets, à Lavande et elle, et après, elle lui sourit.
— C’est une bonne nouvelle.
— Oui, ça l’est. J’ai juste peur que ça ne soit pas vrai.
— Et si ça ne l’était pas : il se passerait quoi ?
Il ne se passerait rien que Lavande n’avait pas déjà vécu, c’était certain, et rien que Seamus n’avait pas connu, rien que Dean et Parvati et Hannah et Luna et Harry et Ginny et Neville et Hermione et leurs mille amis n’avaient pas vu.
Mais,
il se passerait que
Seamus –
— Je ne voudrais pas faire du mal à Seamus, avoua Lavande.
— Seamus ? On parle bien du gars, là-bas, qui sourit comme un abruti à chaque fois que tu le regardes, et que tu parles, et que tu respires, et même à chaque fois qu’on t’évoque, sans s’imaginer un seul instant que ça en est agaçant, de le deviner aussi heureux, de vous deviner, tous les deux, aussi heureux ensemble.
— Je…
— Lavande. Je vais te dire un secret : tu auras encore des peines. Tu auras encore des épreuves à surmonter, des coups durs, des pertes. Et parfois, tu auras le sentiment de retourner en arrière, tu croiras que tu ne veux plus avancer, que tu ne peux plus avancer, parce que c’est comme ça, c’est la vie, des fois, c’est triste c’est juste triste, et il n’y a qu’une chose qu’on puisse y faire.
— Regarder les fleurs ? se risqua Lavande.
Hannah portait toujours des rubans colorés dans ses cheveux ondulés. Et s’ils avaient des motifs, c’était encore mieux, si les motifs étaient niais et pailletés, c’était parfait. Hannah était la seule à pouvoir l’emporter sur Neville lorsqu’il s’agissait d’identifier la flore endémique et invasive, même si, lors de leurs plus grandes fêtes, c’était généralement Luna qui l’emportait en dégainant soudain une espèce de plante qui ne poussait qu’une fois tous les dix ans dans une plaine indonésienne si toutefois celle-ci avait été arrosée par la pluie au printemps.
Et Hannah chantait merveilleusement bien, d’une voix grave et maîtrisée, Hannah dansait le rock et la polka, Hannah parlait couramment l’espagnol, Hannah guérissait les blessures les yeux fermés et les plaies de l’esprit de ses baisers très, très roses – c’était le rouge à lèvres – Hannah, Hannah détestait qu’on l’interrompe dans ses grandes tirades, mais si c’était les fleurs, alors – si c’était la Lavande qui, un matin, avait glissé une tulipe dans son sac, l’air de rien, Hannah avait été torturée la veille et c’était une blessure de l’esprit que Lavande savait panser aussi qui parlait le langage des fleurs, si c’était Lavande elle riait, elle ne détestait pas.
— Il y a deux choses qu’on puisse faire, reprit Hannah en surjouant l’exaspération. La première, c’est de m’écouter et de ne pas m’interrompre, Brown, je sais que ce n’est pas facile mais je t’assure, tu vas y arriver.
Alors Lavande pouffa : Hannah aussi, et à deux elles gloussaient, et la brise délicate faisait s’envoler un millier de pétales autour d’elle.
— La deuxième chose qu’on puisse faire, et qu’on doive faire parce qu’au moins, nous, on le peut : c’est de prendre toutes les joies que la vie a à nous donner, et de ne surtout, surtout pas s’en priver. Parce qu’il y aura assez de peines, et que les peines, il n’y a que les joies qui les effacent, et que les joies, il n’y a que les peines qui les embellissent.
— Hannah…
Elle voulut prononcer un mot, et s’avancer vers Hannah, lui tendre la main, mais une bourrasque plus forte fit s’envoler l’herbier minutieusement travaillé et, passée une seconde ébahie, une seconde en suspens, elles rirent encore plus fort. Elles se mirent à courir après les parchemins, et Lavande s’esclaffait à s’en étouffer tandis qu’Hannah criait, jurait et pleurait de rire et de joie et de peines envolées.
Lorsque Lavande remit le dernier feuillet entre les mains de Hannah, effleurant la profonde cicatrice qui sectionnait son pouce du reste de sa paume droite, elle redevint sérieuse mais aussi –
— J’ai ton autorisation pour m’exprimer, cette fois ?
– était-ce une joie était-ce, d’une façon, un bonheur, était-ce ça rien que ça, de courir les prés multicolores, d’être heureuse ?
— Tu veux rentrer avec moi à la maison ?
C’était ça.
Son pas, leur pas nonchalant ramenait Lavande à Seamus à la maison de Dean à leur famille, leur pas, à Lavande et Hannah, leur pas les ancrait, elles étaient le port l’une de l’autre, elles étaient à tour de rôle le port et le bateau elles étaient la joie elles étaient la peine, elles étaient la vie.
Lavande comprit : c’était ça, c’était pour ça.
Elle avait été, serait toujours profondément bouleversée par le décès de ses parents, et jusqu’à la fin de sa vie, une part d’elle-même s’en sentirait coupable. Elle n’oublierait jamais non plus les cris, la douleur, et comment l’aurait-elle pu ? Ses cicatrices lui rappelleraient toujours ce qu’elle avait perdu.
Mais si Lavande se refusait à dire qu’elle l’avait accepté, parce que ça n’était pas un choix qu’elle avait fait mais une croix qu’on lui avait imposée, si Lavande se refusait à dire qu’elle avait accepté la mort, le monstre, elle avait accepté d’en parler. Elle avait remis des mots, des images sur ce qu’avait été sa vie, avant, sa vie avec ses parents, elle les avait narrés à Seamus et pas seulement, à ses amis, à Hannah, plusieurs fois. Elle s’était épanchée, elle s’était confiée et peut-être bien qu’à chaque fois, elle avait laissé un peu de sa douleur sur le côté, et accueilli en retour la douleur de ses proches pour les soulager de la leur. Elle s’était épanchée, elle s’était confiée et un matin, et deux matins trois matins mille matins, enfin, elle avait assumé ce qu’elle était, tout ce qu’elle était, Lavande la coquette, la superficielle, Lavande la poupée et Lavande désarticulée, Lavande brisée Lavande pansée, Lavande vivante.
Dans les mois, les premières années qui avaient suivi le conflit, Lavande s’était cru anesthésiée : elle s’était persuadée que les gens s’en iraient, si traumatisée par l’idée de la perte qu’elle ne savait plus se figurer sa vie autrement, autrement qu’en un tas de débris sur lesquels dansaient et danseraient toujours les fantômes d’un passé embelli. Elle s’était persuadée que les gens se lasseraient, l’abandonneraient, s’en iraient, et qu’un beau jour, elle s’en irait aussi, et ça n’était même pas si grave, voilà, c’était ainsi. Alors, elle regardait ses amis, ils étaient là devant elle et elle les contemplait comme s’ils s’étaient tenus sur l’autre rive d’un océan déchaîné.
Mais la main de Hannah dans la sienne avait soudain, avait enfin, avait la chaleur, avait la douceur, d’une soirée d’été dans la vallée de son enfance, vallée arborée vallée rêvée, la chaleur, d’un baiser sonore sur ses joues roses roses roses, la douceur, de porter son regard à l’horizon lointain et de pouvoir l’imaginer, bon.
Il y avait à l’horizon : la dernière page de l’herbier de Hannah, le retour prochain de Parvati qui aurait des étoffes par milliers à travailler leurs mains mélangées avec Michael, avec Susan, il y avait Theodore qui devait venir pour le dîner et Dean qui rosissait quand Harry et Ron le taquinaient à ce sujet il y avait, Neville, il y avait Ginny il y avait, l’anniversaire de Terry à préparer il y avait, Seamus.
Il y avait : la maison.
Et Lavande en clencha la serrure, fendit le vestibule parce qu’elle était marquée, parce qu’elle le serait toujours, mais parce qu’elle était aussi mille choses et ce jour, elle le savait, elle était vivante, et –