« On part dans un quart d'heure ! Dépêchez-vous ! »
La sorcière pose un regard sur sa malle et ses vêtements, éparpillés sur le sol de sa vaste chambre. Elle soupire, indécise, puis d'un coup de baguette, envoie tous ses habits dans la valise, qui se ferme dans un bruit métallique. Prise d'une soudaine envie de vomir, elle se précipite dans la salle de bain, et se penche par-dessus la lunette des toilettes. L'angoisse lui tord le ventre, et fait remonter toutes ses peurs. Les yeux rivés sur le fond des cabinets, elle attrapa sa baguette, et ferme la porte d'un sort. Les larmes menacent de couler, et la jeune fille, la jeune femme, les chasse d'un geste rageur de la main. Roxanne ne pleure pas. Alors elle se redresse, et fait face au miroir. Elle caresse du bout des doigts sa peau sombre, son épaisse chevelure brune, sa large bouche colorée de rouge pour l'occasion. Elle n'est pas très belle Roxanne, avec ces yeux trop grands, ces pommettes trop hautes, ces oreilles décollées. Mais quand ses yeux s'illuminent de joie, quand son rire gras lui échappe, elle est si jolie Roxane. Soudainement coquette, elle essaye, en vain, de démêler ses cheveux, sa touffe rebelle. Impuissante, elle décide de les ramener en chignon sur le haut de son crâne, attachés par un simple foulard. Des mèches tombent de tous côtés, mais elle n'a plus le temps de s'en occuper. De toute façon, depuis quand elle essaye d'être présentable Roxanne ? Elle sort de la salle de bain, et rejoint son domaine, priant pour ne pas tomber sur un membre de sa famille. Ils verraient son menton qui tremble, ses mains qui triturent son bracelet, comme lorsqu'elle est stressée. Arrivée dans sa chambre, elle ignore le bazar qui règne et son sac à dos défait, et s'approche de la fenêtre. Elle regarde le jardin, tout vert et ensoleillé. Elle détaille les massifs de fleurs si familiers, observe la vieille balançoire rouge, rouillée par le temps. Elle se souvient qu'avec Fred, ils s'y balançaient souvent. Un jour, elle s'était même mise debout sur la nacelle, et avait hurlé de joie, criant à Fred de la pousser plus fort. Puis Angelina ou Georges, elle ne sait plus, était arrivé et avait grondé gentiment les deux garnements, leur expliquant que ce n'était pas prudent. Ils avaient recommencé le lendemain, puis tous les jours des vacances. Roxanne se souvient aussi que Fred avait escaladé le grand chêne, un soir. Il avait décidé d'aller tout en haut, mais avait glissé sur une branche plus fine que les autres. Roxanne avait alors fermé les yeux, très fort, et prié pour que son frère ne s'écrase pas par terre. Quand elle avait desserré les paupières, elle avait vu Fred, à quelques millimètres du sol, qui semblait être retenu par un fil invisible. Devant la vision de son frangin qui se débattait dans les airs, incapable de se défaire de cet étau magique, la fillette avait éclaté de rire. Fred s'était alors aussitôt écrasé sur le sol. Quelques semaines après, Roxanne avait reçu sa lettre pour Poudlard.
La petite fille devenue femme se détourne de la fenêtre, et entreprend de remplir son sac à dos, toujours vide. Elle y glisse un bouquin sur les dragons, un paquet de chocogrenouilles, une paire de lunettes de soleil, et un vieux chapeau en paille. Consciente d'avoir sûrement oublié la moitié de ses affaires, elle met tout de même son sac sur son épaule, et se rend sur le palier. Elle jette son paquetage au rez-de-chaussée, par-dessus la rambarde de l'escalier, et ébauche un sourire en entendant le cri d'indignation de sa mère, qui a sûrement assisté à la scène. La sorcière brune s'engouffre de nouveau dans sa chambre, et attrape sa valise qu'elle fait voleter le long des marches. À quelques centimètres du sol, de l'étage supérieur, Roxanne abaisse sa baguette, et sa malle se fracasse sur le sol. Cette fois, elle glousse en entendant les remontrances de son père.
« Ça te fait rire hein ?
Voix velours, voix chagrin. Roxanne se retourne vers son frère, qui s'est adossé à la rambarde du palier et observe Georges qui grogne en attrapant les bagages. La jeune femme redevient petite sœur, et baisse la tête honteuse.
- Tu m'en veux ?
- Bien sûr que non, t'es bête.
Roxanne pouffe, heureuse de ne pas avoir fâché son frangin. Puis elle répète, les joues rosies :
- Tu m'en veux ?
Fred se fige, comprenant que sa sœur ne parle pas de la chute de la malle, mais de la décision qu'elle a prise il y a maintenant six mois. Elle l'analyse, le scanne de ses grands yeux noirs, et attend patiemment sa réponse. Puis se détend lorsqu'il répète à son tour :
- Bien sûr que non, t'es bête. »
Alors il attrape sa main, et l'emmène dans sa chambre. Elle se laisse tomber sur le lit de son frère, et plonge son regard empli de questions dans celui, sécurisant, de Fred. Il la rejoint et la pousse gentiment, pour se faire une place. Roxanne fixe ses ongles rongés, et reste silencieuse. Elle aimerait bien parler, mais elle n'est pas douée avec les mots. Fred, lui, les manie avec adresse.
« T'as peur ou quoi ?
La sorcière passe une main fébrile dans sa nuque. Il l'a percée à jour visiblement. Elle ouvre sa grande bouche, la referme. Elle voudrait lui parler rien qu'en le regardant, comme elle sait si bien le faire, mais il fait exprès de s'intéresser au sol. Alors elle lâche, hautaine :
- Je n'ai jamais peur, tu devrais le savoir. »
Pourquoi n'y a-t-il que des mensonges qui sortent de sa grande bouche ? Elle n'en sait rien. Roxanne ne dit la vérité qu'avec les yeux, et Fred le sait bien. Alors il attrape son menton, et plonge son regard dans le sien. Il y lit sa détresse à l'idée de partir, de se retrouver seule. Il comprend sa peine à l'idée de laisser ses parents, de le laisser lui. Il n'est pas étonné par sa détermination, mais surpris par ses doutes. Alors il rompt le contact, et l'enlace tendrement.
« Tu ne seras pas toute seule là-bas ! Il y aura Charlie, tu le sais bien. Tu te feras plein d'amis, tu verras. Ne t'inquiète pas, Papa et Maman s'en sortiront. Si tu es heureuse, ils le seront aussi. Ne doute pas, petite sœur, c'est ce que tu veux depuis si longtemps. Et surtout, ne pleure pas. T'es pas une mauviette, à ce que je sache. »
Roxanne rit doucement, et cligne des yeux pour chasser la larme qui menace de couler sur sa joue. Elle se redresse d'un bond, et annonce qu'elle descend. Fred ne s'offusque pas de l'absence de réponse. Ça a toujours été comme ça. Lui parle avec des mots, elle avec son rire. Il rejoint sa famille au rez-de-chaussé, et s'empare de la malle de sa sœur. Roxanne a mis son sac à dos cabossé sur ses épaules, et sans une parole, transplane au Terrier.
Elle apparaît dans la cuisine, et tombe aussitôt à la renverse. James s'est jeté sur elle, et la serre de toutes ses forces. Elle lui rend son étreinte, puis le repousse en grommelant. Le jeune homme à lunettes la détaille attentivement, et sourit en apercevant le bracelet à son poignet. C'est juste un bout de ficelle usé. Mais James a le même, et a craint un instant qu'elle l'ait enlevé avant de partir. Heureusement, elle porte le symbole de leur amitié. Roxanne attrape la main de son cousin préféré, et rejoint le salon, où tout le monde est presque arrivé. La jeune fille sourit, contente de les voir, mais une pointe d'amertume lui perce le cœur. Elle n'aime pas les réunions de famille, elles lui rappellent trop celles de son enfance. Malgré tout, elle s'installe sur le canapé, et retient un soupir de soulagement en entendant James qui prend la parole. Elle se contente d'approuver ses dires d'un signe de la tête, d'un clignement des yeux. Fred et ses parents les rejoignent, et Roxanne voit défiler avec peur les minutes qui la séparent du départ. Soudain, la main de James se glisse de nouveau dans la sienne, et il lui désigne le jardin du menton. Les deux cousins se lèvent simultanément, sous le regard bienveillant de Fred. Fred aime bien James. Il arrive souvent à faire parler Roxanne. D'ailleurs, elle semble déjà devenue plus loquace, avant même d'être sortie de la pièce. Elle chuchote quelque chose au brun à lunettes, qui lève les yeux aux ciels.
« Tu vas me manquer Rox, tu sais ?
Roxanne regarde le grand soleil d'été, et hausse les épaules.
- Tu m'enverras des hiboux ? Et tu reviens pour les vacances hein ! Ou je viendrai, si tu préfères. De toute façon, Lily voudra sûrement... »
Roxanne a arrêté d'écouter. James en a conscience, mais en bon bavard qu'il est, il continue. Et puis il sait que Roxanne aime bien sa voix, et il ne peut s'empêcher de sourire en la voyant se détendre. Roxanne c'est sa cousine préférée, sa complice de Gryffondor, sa meilleure amie. Ils ont fait les quatre cents coups ensemble à Poudlard. Il envie son courage et sa volonté, mais sa jalousie s'envole bien vite lorsqu'elle se met à rire. Il pourrait tout lui pardonner quand elle rigole, Roxanne.
Ils sont assis sur les marches qui mènent au jardin, les pieds dans l'herbe. Ils ont enlevé leurs baskets en toile, et Roxanne s'amuse à crisper les orteils pour sentir la terre contre sa peau. Elle observe attentivement la saleté incrustée dans ses ongles. Brusquement, elle se relève, époussette son tee-shirt trop grand et remet ses chaussures. James a cessé de parler, et la dévisage, pensif. Elle pose une main sur sa joue, et la caresse avec une tendresse infinie. Puis lâche :
« Toi et tes babillages incessants ne vont pas me manquer, abruti. »
Mais ses yeux disent le contraire, et ils disent aussi merci. James lui tire la langue, et entre de nouveau dans la maison, sa cousine qui rit sur les talons.
Le moment du départ est arrivé. Roxanne enlace tous les membres de sa famille, sans exception, ses grands-parents, ses cousins, ses oncles et tantes. Elle embrasse fort la jeune Lily, et réalise que ses yeux verts et son caractère bien trempé vont lui manquer. Elle espère qu'elle la rejoindra, comme elle ne cesse de le promettre. Albus, timide comme toujours, lui marmonne qu'il viendra la voir, et James approuve d'un mouvement de la tête, ajoutant qu'il y veillera. Roxanne reste distante avec les trois enfants de Bill et Fleur. Elle a toujours été impressionnée par Victoire qui semble avoir mille ans. Domi et Louis, elle ne les connaît pas bien, et n'en a pas envie. C'est comme pour Rose et ses airs de Miss je sais tout, et Hugo, trop souvent dans la lune. Percy et sa famille, elle ne les voit pas souvent. De toute façon, les Potter lui suffisent comme cousins. Elle est happée par l'étreinte puissante de Georges et Angelina, puis par celle, beaucoup plus douce, de Fred.
Elle s'approche de la porte, son sac sur l'épaule, sa malle dans la main. Elle n'a plus du tout envie de partir d'un coup, Roxanne. Son cœur se serre, et la boule si familière se forme dans sa gorge. Elle ne veut plus quitter le Terrier. Même la vilaine Rose, va lui manquer. Roxanne balaie du regard une dernière fois sa grande famille, s'arrêtant successivement sur James, ses parents, puis Fred. Elle sent les larmes qui montent, et s'apprête à poser sa valise. Elle refuse d'aller en Roumanie, de retrouver Charlie et ses dragons. Elle commence à haleter, et la panique la fige.
« T'as peur ou quoi ?
Fred a ouvert sa grande bouche, et la fixe, amusé. Mais sa voix ramène Roxanne à la réalité. Elle veut partir en Roumanie, elle ne peut pas renoncer maintenant. Elle inspire un grand coup, et répond d'une voix rauque :
- Je n'ai jamais peur, tu devrais le savoir. »
Fred sait pertinemment qu'elle ment. Les yeux de Roxanne le supplient de la retenir, mais il fait non de la tête. Il ne peut pas l'empêcher d'y aller, juste parce qu'elle est terrorisée. Alors Roxanne ferme les yeux, pour que personne ne puisse y lire la vérité, et ne voit les larmes qui vont finir par couler.
Puis elle transplane, et son rire résonne dans le Terrier.
Fred le sait bien, alors il n'en doutait pas . Roxanne rit, elle ne pleure pas.