- Scorpius, je m'ennuie, gémit Rose. Elle s'étira voluptueusement.
- Tu t'ennuies souvent, chérie, observa le jeune homme, ses yeux détaillant tout de même d'un air alerte la silhouette de sa fiancée.
Sa bouche frémissait, comme un cheval fougueux s'apprêtant à bondir dans la bataille, décidée à articuler une plaisanterie, ou à proposer une activité, pour sortir Rosie-chérie de ce sentiment qui semblait lui causer tant de tourments.
- Il est vrai, soupira la jeune fille, à l'étonnement de celui-ci, qui n'était pas habitué à ce que Rose réponde aussi promptement. Mais cette fois-ci, je m'ennuie ... Ah ! Tellement que je vais en mourir, Scorpius.
Il mit un peu de temps à se remettre de sa surprise, et de l'émoi que lui avaient causés ces paroles si vite tombées des lèvres aussi rouges que le soleil qui se levait, à l'aube de ce beau jour d'été. Elles avaient roulées si rapidement sous la langue de la jeune fille, cela avait dû être éprouvant, pour son ange.
- Vraiment, mon amour ? lâcha-t-il finalement.
Ah, là il la reconnaissait. Cette moue boudeuse qui animait sa bouche charnue, ces yeux de biche qui papillonnaient paresseusement, cet ordre impérieux dans le soupir déchirant qui mouvait ses courbes de façon hypnotique, cette noblesse dans la pose languide qu'elle affichait, comme si le monde ne méritait pas les efforts, que disait-il, les miracles ! de l'impériale Rose Weasley.
- Scorpius, j'ai dit que je m'ennuyais, se plaint-elle, et tu me réponds « vraiment ? ». Désires-tu à ce point ma mort ?
Elle balaya d'un geste de la main la diligente réponse de Scorpius. Ses yeux s'ouvrirent tout grands et vinrent dévorer le ciel de leur bleu qui aveuglait même le soleil. Elle continua d'un ton douloureux :
- Scorpius, c'est terrible. Je m'ennuie si follement que parler pour ne rien dire ne me répugne même pas. Non, je m'ennuie à un point tel que je pourrais bien tuer quelqu'un pour m'en sortir, ou, mieux !, me tuer moi. Ce serait absolument atroce, Scorpius, mais moins atroce que cet ennui qui menace de me faire sombrer dans la folie. Pourquoi la vie est si ennuyeuse, Scorpius ? On aurait pu penser que la vie était un peu plus mouvementée, mais, en réalité, ce n'est qu'une succession d'épouvantables moments de désœuvrement. Et à présent, et bien, je n'en puis plus, Scorpius. Que cela cesse, Merlin ! Tu vois, je parle, je parle, moi qui suis si avare de mes paroles, je les déverse soudain, à cause de cet ennui qui me rend folle, il me dénature, c'est monstrueux ! Enfin, Scorpius, est-ce-que tu veux que ta Rosie-chérie soit changée à jamais par ce dangereux ennui ?
Scorpius s'était déjà installé devant leur grand piano à queue, et ses doigts couraient à une vitesse effrénée sur les touches. Comme tout ce qu'il faisait, il y avait une certaine violence dans ses gestes, une fougue dans la façon dont ses mains attaquaient le piano. Les doigts prenaient d'assaut les touches, avec cette sorte de sauvagerie contenue qui était Scorpius. Mais quelle grâce guerrière dans ces mains qui se déchainaient, quelle majesté dans ce grand corps brûlant d'énergie brute et brutale ! La mélodie s'égrenant du piano était à son image, agressive, brusque, mais dégageant une gravité royale, une magnificence princière.
Rose bailla, sa main longue et fine venant se déployer devant sa bouche qui dessinait un « O » parfait.
- Scorpius, je m'ennuie, j'ai dit, bouda-t-elle.
Scorpius s'arrêta immédiatement de jouer au piano, les mains en suspens, immobilisé d'un coup dans son élan.
- Je pensais que jouer du piano allait te distraire, chérie, s'excusa Scorpius.
Rose poussa un long soupir torturé.
- Eh bien, non, ça ne me distrait pas. Ecoute, Scorpius. Je sens en moi comme s'étirer le temps, et c'est si long que je crois que je vais me noyer dedans. Il y a un gouffre infini dans mon esprit, mes pensées y sont aspirées, et elles y tournent éternellement, sans but, sans jamais toucher le fond, elles tombent, tombent, tombent. Et tu penses que jouer au piano me tirera de cet affreux état d'esprit ? Enfin, non, c'est trop fort, Scorpius.
Scorpius se leva d'un bond, campé sur ses pieds comme un escrimeur.
- Quoi ! Mais c'est terrible, chérie, s'indigna-t-il.
- C'est ce que je te dis depuis le début, Scorpius ! Terrible, oui, ça l'est. Mais à présent, je te demande de faire quelque chose pour que ce terrible s'envole.
Le jeune Malefoy fronça les sourcils. Il était étrange, que, soudain, Rose soit si préoccupée par son ennui. Rose s'était ennuyée toute sa vie. Elle avait cherché l'ennui, l'avait cultivé, était passée maitresse dans l'art de s'ennuyer. Mais si cela ne lui convenait plus, Scorpius chasserait tout ennui de sa vie, il l'éradiquerait jusqu'à ce que Rose ne se souvienne plus de la signification - de l'existence ! - de ce mot.
- Et si l'on invitait une personne de ta famille ? Ce serait la première fois qu'ils me rencontreront. Ils seront surpris, ce sera drôle. Je pourrai me moquer d'eux, si tu veux.
Rose darda ses yeux bleus sur le visage aux lignes dures de Scorpius. Il avait des traits taillés à la serpe, avec des pommettes saillantes, un menton énergique et volontaire et une mâchoire carrée et puissante. Il avait l'air ... Impitoyable, c'était le mot. Seuls ses yeux gris tranchaient, brutalement, avec cette apparence. Ses yeux étaient toujours très doux ... Quand ils étaient posés sur elle, en tout cas.
- Oui, d'accord, lâcha-t-elle.
Et ce fut convenu.
Scorpius, de sa grande écriture nerveuse, avait rédigé des invitations pour un thé à l'intention d'Hermione, de Ron et d'Harry. Il avait ajouté qu'il voulait les rencontrer un par un, car cela serait « moins intimidant ». Rose avait émis un petit rire à la lecture de la lettre, « moins intimidant ? » avait-elle demandé de sa voix délicieuse et délicate, moins intimidant pour qui, Scorpius ? » et un sourire malicieux avait agité un instant les traits alanguis de la jeune fille.
Le jeune homme lui avait lancé un clin d'œil triomphant, songeant victorieusement qu'il commençait déjà à distraire Rose rien qu'en écrivant les missives.
- Tu te souviens, lui avait dit Rose avant qu'il ne les envoie, quand Smith est mort ? Ça t'avait permis d'être promu chef de ton département.
- Oui. C'avait été une aubaine.
- Ça avait été drôle.
*****
C'était Harry qui avait accepté en premier l'entrevue. Le sage, le raisonné Harry, qui, aux dires de Ron, ressemblait de plus en plus au contemplatif Dumbledore que c'en était troublant. Harry ne faisait pas grand cas des observations de son meilleur ami, il est vrai, mais la coïncidence qu'il y consente en premier, alors qu'Hermione avait été donné grande gagnante, avait été assez cocasse pour le souligner une nouvelle fois.
Harry était intrigué. Il avait entendu parler de Scorpius Hypérion Malefoy. La simple mention, quelques jours auparavant, de sa relation avec sa nièce dans la Gazette avait suffi à faire bruire autour de lui murmures et racontars.
L'écho des rumeurs dépeignait un jeune homme orageux, sévère et acharné, toujours prêt à se lancer dans une nouvelle bataille pour augmenter son influence déjà gigantesque sur la société sorcière - de là à dire qu'il était assoiffé de pouvoir, il n'y avait qu'un pas ...
Il était grand temps qu'un parent de Rose le rencontre.
A dix-sept heures, Harry se présenta devant le charmant mais ostentatoire manoir de Scorpius Malefoy. Celui-ci vint lui répondre, un sourire carnassier aux lèvres, et lui serra la main avec fermeté.
Il le conduit dans le jardin, immense et heureusement ombragé, car il faisait une chaleur presque étouffante. Le parfum capiteux des fleurs se mélangeait à l'odeur alléchante des pâtisseries et autres friandises qui débordaient presque de la table d'un blanc immaculé placée sous un arbre.
Rose, étalée de tout son long sur un sofa tendu de soie écarlate, qui avait plus sa place dans un salon de précieuses que dans un jardin anglais, sirotait déjà un thé dans une tasse en porcelaine fine.
Elle la posa sur le traversin à dorures à côté d'elle et gracia son oncle de l'ombre d'un sourire.
- Asseyez-vous, Harry, dit Scorpius en tirant une chaise d'une blancheur toute aussi éclatante que la table.
Il resta quant à lui debout, et sourit un peu en voyant le haussement de sourcils d'Harry à l'emploi de son prénom. Pas de monsieur Potter, mais une familiarité étudiée dans la phrase de Scorpius qui se glissait insidieusement dans son vouvoiement respectueux.
Harry s'éclaircit la gorge.
- Enfin, c'est trop, tenta-t-il en montrant d'un geste de la main la débauche de confiseries sous lequel croulait la table.
Rose réclama alors d'un signe de l'index du gâteau, et Scorpius, en lui servant, eut un sourire en coin. Il se tourna vers Harry, et demanda, le ton railleur de sa question à peine voilé :
- Et vous aussi, Harry, ou bien présentez-vous quelque objection à ces plaisirs simples ? Il semblait bien, pourtant, vous avez dit que c'était trop. En tant qu'Elu, nous suivrons comme parole d'évangile vos préconisations, bien entendu.
Il sourit d'un air triomphant à Rose qui lui condescendit un petit rire malicieux.
Harry leva un sourcil amusé. Son statut de « sauveur du monde sorcier » lui attirait compliments admiratifs ou sarcasmes peu subtils. Il avait l'habitude, à présent. En fait, il ressentait une soudaine affection pour le jeune Malefoy, qui ne le plaçait pas sur un piédestal, et qui, surtout, soulageait l'agacement de Rose d'être constamment envié pour sa parenté.
Rose adorait quand une personne critiquait Harry ou ses parents. Que Scorpius ait le courage de défier le grand Harry Potter pour contenter Rose prouvait son adoration sans faille pour la jeune fille, et son oncle ne pouvait qu'être ravi que sa nièce se soit trouvé un tel fiancé.
- Pourquoi en aurais-je ? Justement, rétorqua habilement Harry, je n'en ai eu que trop peu dans ma jeunesse pour ne pas les apprécier.
Rappeler la guerre et ses horribles conséquences sur les vies de leurs aînés semblaient toujours remettre à sa place la seconde génération.
Il posa un regard pénétrant sur les deux jeunes gens. Rose ne bougea pas d'un cil, et Scorpius sourit à Harry d'un air narquois, tout en jetant à la dérobée un regard à Rose pour s'assurer qu'elle avait remarqué l'irrévérence de sa réaction. Harry s'était accoutumé à l'indifférence de Rose, mais l'attitude de Scorpius piquait son intérêt.
- Tant mieux. Un si bon gâteau, je crois que je l'aurais mangé même si vous me l'aviez strictement interdit, répondit Scorpius d'un ton sardonique, alors que sa main venait caresser tendrement le dos de Rose, comme pour attirer son attention volage sur ce qu'il était en train de dire.
Rose, déjà à nouveau ennuyée, contemplait le bosquet d'azalées qui fleurissait dans un coin du jardin. Il était joli, ce bosquet, d'un rose tendre, avec des pétales délicats qui tremblaient sous le coup de la légère brise. En l'observant, elle se sentait de nouveau glisser vers l'alanguissement, le pastel fantomatique des fleurs lui rappelait les méandres ennuyés de son esprit, dans lesquels elle se perdait.
L'air absent sur le visage de la jeune fille fit passer une brève expression de désarroi sur celui de Scorpius, qui avait attendu sa réaction avec tant d'impatience qu'Harry avait cru entendre les battements excités de son cœur fébrile.
Malgré toute sa superbe, songea Harry, il avait tout du chien fidèle qui attendait fiévreusement sa récompense.
Lorsqu'il vit l'amusement d'Harry, les yeux du jeune Hypérion se plissèrent imperceptiblement et sa main se fit plus pressante sur le dos de Rose, remontant vers ses boucles rousses et les tirants doucement.
Rose releva légèrement la tête, languissante, les paupières à demi-fermées, un bâillement éclosant sur ses lèvres ourlées. Cela parut suffire à Scorpius, qui, avec empressement, servit une énorme part de gâteau à Harry.
- Voilà de quoi combler tous ces plaisirs simples inassouvis durant votre jeunesse, Harry, dit-il avec un tremblement dans la voix qu'il s'efforça de dissimuler dans son ton ironique.
Harry était assez perspicace pour comprendre que sa nervosité ne provenait pas de l'audace de sa plaisanterie, mais bien de l'inquiétude que Rose ne soit plus amusée de ses pérégrinations. Celle-ci laissa ses lèvres s'étirer en un sourire paresseux, et la main de Scorpius tomba, soulagée mais épuisée de cette attente angoissée, sur l'épaule ronde et blanche de la jeune fille.
Un rire échappa à Harry, et Scorpius pinça les lèvres d'un air mécontent, le foudroyant du regard. Harry sentit, avec étonnement, un léger frisson remonter le long de son dos, et il déglutit. Les yeux de Scorpius étaient ... Impitoyables, c'était le mot.
Rose laissa aller sa joue contre la main de Scorpius, et les yeux du jeune homme changèrent immédiatement d'expression en se posant sur elle.
Une très belle femme risquant tout pour une folle passion, avaient écrit les journaux à l'annonce de la relation entre Rose Weasley et l'héritier Malefoy, toujours à la recherche de l'extraordinaire. Il n'y avait pas que du faux, dans leurs papiers, bien que la « folle passion » soit plutôt à attribuer au bel homme qu'à la belle femme, pensait Harry. Ils avaient comparé Rose à Vénus, et, maintenant qu'Harry détaillait Rose sous l'œil jaloux de son amoureux, il se disait qu'ils n'avaient pas tort. Finalement, la recherche effrénée du spectaculaire les avait amené à toucher du doigt l'authentique, sûrement parce que Rose incarnait le théâtral.
Elle devait être, sans aucun doute, la muse ressuscitée de Botticelli, la ressemblance entre la Vénus du célèbre peintre et sa nièce ne pouvait se manquer. La peau d'une blancheur de porcelaine, la chevelure de feu qui léchait avidement les hanches, la pose lascive, l'air faussement mélancolique trahit par les yeux langoureux ...
Une Vénus sortie des eaux pour plonger dans les bras de Scorpius. Harry n'avait pas peur qu'elle s'y noie, il n'y avait aucun risque, il craignait plus pour Scorpius.
Si elle était Vénus, alors lui était Mars, dieu de la guerre, belliqueux et protecteur. N'étaient-ils pas amants dans la mythologie, prouvant leur complémentarité idéale ?
Une très belle femme risquant tout pour une folle passion, se remémora encore une fois Harry. En même temps, on n'aurait pu écrire de pareilles inepties !
On aurait pu penser, en effet, que c'était Rose, qui, effacée, languide, indolente, jouait le rôle de soumise. Un rôle qui lui aurait plu, finalement, elle aurait dû pousser des soupirs à fendre l'âme et laisser le jeune Malefoy tirer ses fils de pantin nostalgique, la promener sans qu'elle ne bouge son petit doigt de marionnette, guidée pas à pas sans qu'elle ait le besoin de faire le moindre effort. Scorpius aurait alors été celui qui dominait la relation, avec son caractère de conquérant, son ego envahissant et son arrogance démesurée.
En réalité, c'était elle, Vénus, qui le surplombait de toute sa splendeur. Il lui appartenait corps et âme, peut-être trop ... Il cédait, se laissait manipuler, sans aucune résistance, malgré son âme de guerrier et son tempérament autoritaire, lui, Mars. C'était Rose qui instillait la cruauté dans leur relation. Rose pouvait bien tordre ses instincts, dévorer ses sens, faire tomber sa garde d'un éclat de rire, l'assujettir entièrement et complétement, il s'en fichait.
Il la voulait sans concession, il suppliait cette nonchalante et négligente Rose de lui donner son cœur et son âme, comme lui l'avait fait, tributs d'une guerre trop vite gagnée par la jeune fille.
C'était terrible, estima Harry, ce pouvoir infini qu'elle avait sur lui.
Rose était capricieuse, difficile, trop souvent ennuyée. Scorpius se livrait à une dernière bataille, celle pour acquérir totalement, de façon absolue le cœur de Rose, et Harry n'était pas sûr qu'il la gagne.
Ils étaient tous deux excessifs, supposait Harry. Rose avait toujours été dans la démesure, alors n'était-ce pas une bonne chose, que, finalement, elle ait trouvé quelqu'un qui l'égalait dans son exagération ? Harry n'en était pas certain. Scorpius cédait trop à ses caprices, cherchait trop à la combler, acceptait trop ses insolences.
Rose avait toujours été paresseuse, et s'était toujours servie de son ennui pour attacher les autres à son emprise.
Déjà, à Poudlard, sa beauté de Vénus attirait prétendants et amies éphémères, qui cherchaient sans cesse à la faire rire, à l'émerveiller, sans jamais qu'elle n'ait rien à faire pour déclencher son propre amusement. Il suffisait qu'elle soit spectatrice, et elle se trouvait, juste en étant là, avec sa spectaculaire chevelure rousse et son charme éthéré, premier rôle de Poudlard.
Harry fut sorti de sa méditation par Rose qui demandait à Scorpius de lui apporter son carnet de croquis. Celui-ci alla lui chercher, et elle lui sourit joliment.
- Harry, vous semblez fatigué ? le nargua le jeune homme en croquant avec sa puissante mâchoire dans une pomme. Le fruit se brisa avec un craquement retentissant qui faisait froid dans le dos.
Scorpius était resté debout, débordant de cette énergie qui menaçait de le consumer, et caressait doucement, avec vénération, les cheveux de Rose.
- Reposez-vous, vous commencez à vous faire vieux, rit-il un peu.
Harry ne se formalisa pas de la moquerie et but un peu de son thé aux arômes fleuris, se laissant bercer par le bruissement des feuilles et celui de la soie rouge du ridicule canapé sur lequel Rose était assise. La jeune fille dessinait silencieusement, et elle levait ses yeux vers Scorpius en lui intimant de ne pas bouger, faisant courir amoureusement son crayon sur le papier, traçant de grandes lignes dures et anguleuses.
Il était drôle, vraiment, de demander à Scorpius Malefoy de ne pas bouger, lui qui tremblait presque de la force de sa vitalité, de son dynamisme. Mais il suffisait que Rose le cloue sur place avec ses yeux bleus pour qu'il n'ose même pas esquisser un geste.
Harry ferma les yeux, voulant se soustraire à la scène qui lui semblait trop intime pour l'épier. Il entendit Rose bailler une nouvelle fois, et il se dit que certaines choses ne changeraient jamais.
Harry tendit l'oreille en entendant la voix de sa nièce, qui retentissait avec clarté dans l'atmosphère lourde du jardin. Il ouvrit un tout petit peu les yeux, pour que l'on croie qu'il était encore endormi.
Rose parlait à Scorpius avec un empressement qu'Harry ne lui avait jamais vu. Il n'avait jamais entendu Rose aligner autant de mots à la suite, et, manifestement, Scorpius non plus. L'expression du jeune homme était à mi-chemin entre l'ébahissement et le ravissement le plus total, et Harry se sentait gêné pour lui. C'était touchant, certes, mais, curieusement, voir Scorpius, qui était si fier, qui paraissait presque invincible, regarder Rose avec autant de dévotion mettait Harry très mal à l'aise.
- Tu m'aimes, Scorpius ?
- Evidemment, chérie.
- C'est terrible, l'ennui.
- Je sais, mon amour. Attends un peu, tu vas vite ne plus t'ennuyer, tu verras.
- Ce serait encore pire, pour toi, de t'ennuyer, Scorpius, tu es toujours si actif. Tu t'ennuies, avec moi, parfois ?
- Enfin, non, mon ange. Jamais, promis.
- Je m'ennuie, alors je dois être ennuyeuse, Scorpius. Les gens qui s'ennuient sont toujours les plus barbants. Ce sont ceux qui ne cherchent pas à s'émerveiller du monde, ils ne connaissent pas les petites joies, ils ne voient pas les minuscules détails qui rendent le monde captivant. Et moi, je m'ennuie.
Harry comprit, tout à coup, ce qui faisait si peur à Rose.
Il y avait quelque chose, en elle, qui, soudain, se rebellait. Son intelligence bafouée s'insurgeait contre la langueur forcée à laquelle elle s'était contrainte.
Les paroles envoûtantes de brillance qui franchissaient parfois la bouche écarlate de désir refoulé de Rose en étaient la preuve. L'ennui dans lequel elle se prélassait commençait à la fatiguer. Elle avait senti, ce matin-là, ce point de non-retour, cet ennui extrême qui allait la dévorer toute entière si elle ne réagissait pas, l'ennui qui lui ferait perdre Scorpius, sans doute, et, pour la première fois, le désespoir s'était mêlé à son ennui. Convier Harry avait été le moyen de la réveiller de la transe volontaire dans laquelle elle s'était plongée ... Comment exactement, Harry attendait de le découvrir, mais il sentait un effroi inexpliqué s'infiltrer lentement dans ses veines.
L'homme qui vendrait le monde pour Rose était aimé en retour, pensa Harry, et curieusement, cette réflexion lui fit froid dans le dos.
- En fait, Scorpius, quand je te disais que je serais prête à tuer pour m'en sortir, ce n'était pas une exagération.
- Je sais, chérie. Ça ne va pas tarder, il a bu tout son thé.
- Oh, merci Scorpius. J'ai toujours détesté Oncle Harry, soupira-t-elle, et Scorpius pris à pleines mains sa chevelure couleur sang, qui dégoulina le long de sa paume.
Rose fit un sourire charmant à Harry, et attendit sagement.