Il y avait d'abord Dean. Elle avait eu beaucoup de mal à supporter ses constantes attentions ces derniers temps, et elle avait utilisé ce mauvais prétexte pour rompre. Elle y pensait depuis plusieurs semaines et se sentait mal à l'aise dans ce rôle d'amoureuse, un rôle auquel elle ne correspondait pas. Son regard pour Dean était devenu purement amical ; il l'avait toujours été. Mais ses sourires, ses petits gestes tendres et ses yeux pleins d'espoir lui avaient donné envie d'essayer de construire quelque chose avec lui.
Plus jeune, Ginny n'avait pas compris ces couples qui se faisaient et se défaisaient le temps de quelques jours. Elle avait toujours imaginé tomber amoureuse, rougir, embrasser la personne. Et commencer une belle et longue histoire. La réalité avait été toute autre.
Avec Dean, son coeur avait battu la chamade. Surtout quand il lui touchait la main alors qu'ils n'avaient que le temps de se croiser, sans demander plus. Encore plus quand il lui effleurait le cou de ses lèvres dans l'intimité de leurs rendez-vous amoureux.
Mais son coeur lui criait à présent qu'elle voulait embrasser un autre, se blottir dans ses bras, passer la main dans ses cheveux et rire avec lui. Contre lui.
Et Merlin savait qu'elle avait espéré que tout ça se passerait. Ginny en avait tant discuté avec Hermione qu'elle n'avait plus de secrets pour son amie. Les regards en coin, les yeux perdus, la fumée qui sortait du cerveau, ses doutes et le ventre qui se tordait.
Dean et Harry étaient un problème lié. Elle s'était sentie mal de rester avec Dean, d'entretenir sa vision d'un couple heureux et d'un monde construit à deux. Et elle se sentait mal d'éprouver aussi vite quelque chose de fort, quelque chose de flamboyant pour un autre.
Mais souvent, alors qu'elle voyait Dean la regarder tristement, Ginny ne pouvait s'empêcher de vouloir profiter des moments volés avec Harry. Des moments passés souvent avec Ron et Hermione aussi. Elle n'arriverait jamais à être la quatrième roue de leur amitié, elle ne le souhaitait pas non plus.
Elle profitait de leurs souvenirs communs, de leurs rires et du beau temps dans le parc de Poudlard. Le soleil était même chaud sur sa peau. S'il lui arrivait de se retrouver tout un coup seule à côté de Harry - ce qui arrivait assez souvent depuis que Ron avait rompu avec Lavande et partageait des discussions souvent houleuses avec Hermione, elle se sentait un peu timide. Loin de la timidité maladive qui la prenait lorsqu'elle avait onze ans, elle se sentait intrépide, presque fougueuse et tellement loin des premiers regards en coin qu’elle lui jetait. Non, il n'était plus question de ça.
Elle dépassait la chaleur qui prenait tout son corps, elle respirait et souriait, faisait une blague sur le destin qu'il fallait provoquer pour que ces deux-là ouvrent les yeux. Puis trouvait un sujet sur lequel entraîner Harry. Le garder un peu à ses côtés. Souvent le Quidditch. Parfois le futur.
Finalement, elle ne connaissait que des bribes de sa vie, de ses passions et de ses envies. Elle ne le voyait qu'avec son frère ou Hermione et ne trouvait jamais l'occasion de découvrir le Harry solitaire, celui qui se cachait derrière ce garçon un peu secoué par la vie et qui s'attirait des ennuis.
Elle n'osait pas aborder des sujets plus intimes, alors qu'avec d'autres elle n'avait aucun mal à parler de la vie et de ses aléas. Elle avait choqué Colin par sa franchise et ses questions presque trop directes les premières fois, mais ça leur avait permis de construire une solide amitié.
Ginny doutait tellement. Elle n'arrivait pas à déchiffrer les regards qu'il posait sur elle.
Lors des entraînements de Quidditch, elle avait l'impression d'être décortiquée. Harry analysait son jeu, comme tout Capitaine se devait de faire, évidemment. Mais elle espérait aussi... Espérait que ses yeux voyaient en elle la jeune femme qu'elle essayait d'être. Et quand ils se retrouvaient un peu à l'écart pour laisser Hermione et Ron se retrouver, Ginny ne savait pas s'il lui parlait par habitude, ou par véritable intérêt.
Elle doutait.
Aucune amie autre que Hermione avec qui comparer sa relation. Se comportait-il ainsi avec toutes les filles ? Elle ne pouvait empêcher la pointe de jalousie envers son amie, pour tout ce qu'elle avait partagé avec Harry. Et pourtant, les étoiles dans les yeux d'Hermione lui prouvait à chaque fois qu'elle était un peu plus amoureuse de Ron. Ron et Hermione. Et Harry.
C'était pour toutes ces raisons que Dean était un souci. Parce que lui, et parce que Harry. Et toutes les questions dans sa tête.
« Je trouve Harry vraiment distrait, lui confia Hermione.
- Y a un problème qui le tracasse ? Ses réunions avec Dumbledore ? »
Ginny n'était pas la seule à avoir remarqué que Harry recevait régulièrement des parchemins, et qu'il disparaissait ensuite des heures. Il y avait eu quelques entraînements annulés sans raison, des soirées où Hermione avait rouspété qu'il ne travaillait pas assez. Et le nom de Dumbledore bien trop prononcé.
« Mais non, un garçon, » lui répondit Hermione.
Ginny rit, de son rire chaleureux et irrépressible. De celui qui lui mordait les côtes et attirait les regards. De celui qui contaminait les gens. Il y eut d'autres sourires dans la Salle Commune, et même Hermione perdit un peu de son sérieux pour en esquisser un.
« Je suis sérieuse, reprit son amie. Il est obsédé par Malefoy. Il regarde tout le temps la carte du Maraudeur, le traque, pose mille questions, l'écoute parler avec ses amis. Tout le temps !
- On parle bien du même Harry et du même Malefoy, on est d'accord ? s'inquiéta Ginny.
- Mais oui ! Il veut prouver qu'il prépare un mauvais coup. »
Ginny la regarda, surprise. Ça ne ressemblait pas à Hermione d'être agacée ainsi. Et pourtant, elle avait bien vu elle aussi qu'il était parfois distrait, même pendant les entraînements. Mais jamais elle n'aurait pensé que c'était pour Malefoy, et pour le plaisir de le prendre la main dans le sac. Pour elle, les coups bas, c'était du passé ; des gamineries d'enfants en compétition.
Et Hermione pensait que s'ils perdaient le match du lendemain, Harry s'acharnerait encore plus sur Malefoy.
Le match du samedi était le deuxième gros souci de Ginny.
Elle voulait vraiment que Gryffondor gagne ce match haut la main pour avoir enfin la Coupe. Cette Coupe qui récompenserait tous leurs efforts fournis cette année, mais compenserait aussi les échecs des autres années alors qu'ils avaient chaque fois été si prêts... Les circonstances n'avaient jamais été favorables.
Ginny, comme Hermione, redoutait que cette éventualité - gagner - ne soit une pression trop importante pour Ron. Il s'améliorait doucement, se contrôlait et ça n'avait plus rien de comparable avec le premier match. Ce stress était même plus léger depuis sa rupture avec Lavande, avoir quelqu'un sur son dos ne l'avait pas aidé du tout.
Et pourtant, Ginny voyait son frère se ronger à nouveau les ongles, faire craquer ses articulations et laisser sa jambe gauche trembler quand il était assis. Des petits gestes qui ne trompaient pas.
Ron craignait encore le regard des supporters, celui plein d'espoir qu'aucun but ne passe. Mais aussi le regard des adversaires décidés, et surtout celui de tous ceux qui n'avaient rien vu chez lui de plus que l'ami de Potter, le gringalet roux maladroit.
Ginny savait très bien que le regard des autres pouvait amener des gens à perdre confiance, à perdre le contrôle de leurs gestes. Et que c'était quelque chose de contagieux, très contagieux. Mais elle, elle avait confiance. Un peu parce qu'elle suivait aussi ce que leur avait dit Harry.
En plus, marque ultime de confiance du Capitaine en son équipe et en sa capacité à être soudée, il avait réintégré Katie dès la fin de sa convalescence. Alors oui, ça avait creusé un peu plus le gouffre avec Dean pas remis de leur rupture. Mais d'un autre côté, l'entraînement plus intensif pour que Katie récupère les avait remotivés et ils voulaient gagner. Vraiment.
Assise sur un des canapés à côté d'Hermione plongée dans un livre, Ginny essayait de se remémorer les figures qu'ils avaient tant de fois répétées. Elle imaginait même marquer cent points à elle seule et tenir la Coupe dans ses mains... La chaleur du feu dans la cheminée la berçait et elle écoutait les bruits de la Salle Commune. Et, alors qu'elle commençait à somnoler, Hermione se leva et commença à parler vivement à Ron et Harry qui venaient de revenir.
Elle écouta les remontrances de son amie, s'énerva contre des arguments sans consistance - Hermione et le Quidditch, et puis quoi encore ! - et monta dans son dortoir fâchée et plus tendue qu'une heure auparavant.
Harry venait d'écoper de retenues tous les samedis jusqu'à la fin de l'année. A partir du samedi qui arrivait. Donc du match contre Serdaigle. Et tout ça à cause de cette obsession pour Malefoy dont lui avait parlé Hermione.
Ginny était d'accord avec son amie : c'était de la pure inconscience d'utiliser un Sortilège inconnu, écrit ou non dans le coin d'un bouquin d'un ancien élève. Et pourtant, elle pensait qu’Harry aurait été le premier à comprendre qu’avec la Magie, une toute petite chose, un tout petit mot pouvait chambouler des vies entières.
La colère la rongeait, et ce fut épuisée qu'elle s'endormit d'un sommeil tourmenté par la défaite et le sang. Du sang partout.
Les derniers jours de la semaine passèrent très vite, plus vite que ce que Ginny aurait voulu. Envolée sa confiance pour le match contre Serdaigle ! Chaque soir elle passait des heures sur le terrain à voler après le Vif et à aider Dean et Katie à retrouver leurs places de Poursuiveurs. Harry assistait toujours aux entraînements mais il n'appartenait plus à leur stratégie. Tous ces mouvements et figures répétées, toutes ces feintes travaillées... pour rien !
Elle mit complètement ses révisions de côté, la bêtise de Harry ne devait pas priver son équipe et Gryffondor de cette victoire tant attendue. Et puis au moins, elle aurait une personne contre qui rouspéter s'ils perdaient. Ca, elle n'y manquerait pas.
Le samedi matin pointa le bout de son nez par une belle journée, avec toujours ce soleil de presqu'été qui venait chatouiller son nez. Harry les regarda s'éloigner après le petit-déjeuner avec envie, mais elle y prêta peu attention. La joueuse voulait tout mettre derrière elle et se concentrer sur le match.
Il advint ce qu'il advint.
Ginny avait volé sans relâche après le Vif d'Or. Cho avait été une adversaire redoutable, elle devait le reconnaitre. Mais Ginny n'avait rien voulu lâcher. C'avait été sa petite revanche. Elle avait jeté des coups d'oeil réguliers au score, attendant avec impatience le moment où Gryffondor dépasserait de 150 points Serdaigle. Et là, elle devait agir, vite pour ne pas perdre cet avantage. 150 points c'était énorme, tellement qu'elle avait décroché, et ne suivait plus le score des deux équipes. Ginny ne sentait plus que le vent contre ses oreilles, ses jambes fatiguées de tous ces entraînements et des heures qui passaient.
Elle avait vécu ce match comme un face à face avec Cho, elles s'étaient serrées, s'étaient heurtées, s'étaient battues. Couverte de transpiration, elle avait attrapé ce Vif d'Or et, seulement en entendant les hurlements de Gryffondor, des hurlements qu'elle n'avait jamais entendus auparavant depuis son arrivée à Poudlard, elle avait compris. Ils avaient gagné.
Euphorie. Liesse.
Elle redescendit sur le terrain, courut vers ses camarades et laissa éclater sa joie avec eux. Elle embrassa Ron sur la joue, sauta de joie dans les bras de Katie, serra fort le bras d'Hermione. Ginny se sentit ridicule, mais tellement heureuse ! Ils l'avaient fait !
Même après les félicitations de McGonagall, elle n'arrivait pas à perdre ce gigantesque sourire. Elle n'arrivait pas vraiment à le réaliser, tout à l'enthousiasme de la victoire. Elle courut se changer avec le reste de l'équipe, gagna au concours de douche la plus rapide, et rejoignit la Salle Commune pour fêter dignement ça, les cheveux encore trempés.
Ginny se laissa engloutir par les embrassades et la Biéraubeurre qui lui remplit l'estomac. Elle avait déniché une ou deux bouteilles de Whisky-pur-Feu et même Hermione ne dit rien quand elle les descendit vite. Trop vite. Son amie souriait, la vie entière lui souriait et Ginny se sentait heureuse. Heureuse car une victoire comme celle-là redonnait envie, redonnait espoir et l'incitait à juste aimer. Et sourire.
Certes, elle avait seulement salué Dean de la tête parce qu'elle se sentait trop droite pour lui faire mal à nouveau, pour le contenter quelques minutes avant que les doutes ne reviennent. Mais même ça, ça ne vint pas entacher cette liesse, cette chaleur qui engourdissait son corps.
Ginny sentait moins la fatigue que sur son balai, la tension aussi s'était envolée. Le poste d'Attrapeur n'était pas taillé pour elle, elle n'aimait pas cette concurrence tacite avec celui adversaire. Elle préférait les tactiques surprenantes, la complicité entre partenaires. Accélérer, virer, cela devait avoir un but, être une part d'un tout. Pas juste poursuivre un petit truc doré qui pouvait fort bien par hasard avantager un camp ou un autre.
Mais la fatigue était toujours là, et avec le ventre vide et l'alcool, elle se sentait pompette. Et ça lui plaisait. Elle s'abandonnait presque à cette sensation, aux rires de la victoire. Elle vit même Ron dévorer des yeux Hermione, aussi excitée qu'eux par cette victoire. Ginny appréciait énormément que son amie soit si enthousiaste pour le Quidditch, pour une fois.
Le tableau de la Grosse Dame s'ouvrit alors qu'elle était en train d'exploser de rire en voyant Ron couvrir de bisous la Coupe en argent. Il laissa entrer une tête aux cheveux ébouriffés, le grand absent du jour. Harry avait les yeux écarquillés et un grand sourire vint étirer ses lèvres quand il vit que non seulement ils avaient gagné le match, mais qu'en plus ils l'avaient bien gagné !
Happé par leurs camarades et Ron qui paradait toujours avec la coupe, qui lui cria même le score, il lui sourit. Et Ginny eut envie de partager cette joie et cette chaleur avec lui. Elle se sentait reconnaissante des entraînements effectués pendant l'année, de la confiance qu'il lui avait donnée en lui donnant le poste d'Attrapeur - quoi qu'elle en ait dit, et en construisant cette équipe. Elle rougissait encore pour lui.
Ginny atterrit dans les bras de Harry, elle était chaleur, elle était flamboyante. Et il l'embrassa.
Ses lèvres douces et timides contre les siennes, aucun d'eux ne savait comment l'autre pouvait réagir, mais ils approfondirent le baiser et sans se soucier du regard et des sifflements, ils se découvrirent un peu. Langue contre lèvres, langue contre langue. Ginny se sentait idiote de fermer ainsi les yeux, mais elle mourrait de chaud et voulait juste fondre davantage dans ses bras, se laisser envahir totalement par cette chaleur.
Le rouge aux joues, le regard incandescent, la peau sensible, sourire aux lèvres, ils sortirent de la Salle Commune.
Ginny sentait vraiment qu'elle avait bu trop rapidement, et que courir plus longtemps lui donnerait un mal de cœur dont elle se passerait volontiers. Elle ralentit Harry, l'embrassa sans croire encore qu'ils étaient là, tous les deux, seuls. Heureux.
« J'ai la tête qui tourne, » avoua-t-elle
Il rit pour la forme, lui prit la main et ils continuèrent de marcher plus doucement.
« On pourrait aller aux cuisines si tu veux, suggéra Harry. Je n'ai rien mangé non plus et j'ai bien cru que Rogue ne me lâcherait pas avant le dîner... »
Elle acquiesça sans rien dire, silencieuse. Elle ne pouvait pas poser sa tête sur l'épaule de Harry comme elle avait toujours rêvé de le faire, car il n'était pas si grand. Mais ça lui convenait. Elle se pressa un peu plus contre lui et il se trouva contraint à passer son bras sur sa taille fine pour la tenir droite.
Sa tête tournait, et ce n'était plus seulement le Whisky pur Feu.
Ils s'assirent face à face au bout d'une des tables de la cuisine et profitèrent des bons soins de Dobby, et se retrouvèrent dans une bulle. Artificielle mais confortable.
Ginny avait l'impression qu'elle n'arrêterait plus jamais de rougir ; Harry la dévorait des yeux et buvait son récit du match. Elle bafouillait, se répétait, parlait la bouche pleine.
Et souriait.