Hermione pose un pied hors de l'avion et suit les autres passagers. Elle tripote nerveusement son passeport, et se demande ce qu'elle fait là pour la trois cent quarante-deuxième fois depuis qu'elle a décollé.
La jeune sorcière a décidé de prendre l'avion plutôt que d'attendre l'autorisation du Ministère pour un Portoloin car elle veut reprendre autant que possible la vie qu'elle avait avant. Avant qu'elle n'abandonne ses parents, qu’elle ne les mette à l'abri si loin. Quand elle leur racontait avec des yeux émerveillés ce qu'elle découvrait à Poudlard, et qu'elle faisait entrer un peu de magie dans leur quotidien.
En récupérant sa valise, Hermione a une pensée dont elle a honte. Elle a l'impression de faire une purification en venant ainsi, et en logeant dans une auberge moldue sans chercher à rencontrer la communauté magique présente. Pourtant, ce n'est pas l'envie qui lui manque ! Mais elle part retrouver des personnes qui ont tout oublié des six années passées qu’elle a passées entre deux mondes. Des personnes qu'elle doit aborder tout simplement.
C'est un peu comme si elle regrettait d'avoir ce sang impur. La magie devient une souillure qui a détruit sa famille. Elle ne le pense pas vraiment, mais l’idée est latente…
Sur le chemin entre l'aéroport et l'auberge, ses grands yeux de petite fille découvrent avidement un paysage de contrastes. Hermione ne rencontre tout d’abord que des étrangers qui explorent comme elle ce territoire à la fois hostile et domestiqué. Elle flâne, retarde le moment redouté puis finit par se plonger dans les recherches.
Des Wilkins, il y en a pas mal sur cette immense île et Hermione a décidé de se concentrer sur la ville d’où a été expédiée l'unique carte de sa mère à sa meilleure amie. Elle a d’ailleurs bataillé pour expliquer maladroitement à cette femme la raison du départ de ses parents. Elisabeth et Charles Granger sont partis si rapidement en Australie que personne n’a compris. Ils ont tous vu ces amis s’envoler précipitamment et laisser derrière eux une maison vide.
Elle est allée voir les offices d’immigrations et Hermione a fini par les retrouver. Un couple de vieux amoureux qui goûtent une vie sans enfant et sans attache. Leur situation semble instable, ils ont après tout débarqué ici presque sans rien.
Pour Hermione, il a été très difficile d’avoir le courage de les aborder dans la rue et de trouver un prétexte pour boire un café. Elle a essayé d’abord d’expliquer la situation, leur a montré sa baguette magique et leur a donné des détails qu'elle n'aurait pas dû connaître.
Oh bien sûr, elle a lu la peur dans les yeux avant de dire les mots qui ont délivré leurs mémoires. Et le regard apeuré s'est transformé en regard vague, qui cherche à s'accrocher.
Ils se sont revus quelques fois. Hermione a laissé à ses parents le temps de réfléchir à ce qu'elle avait fait et à ce qu’ils voulaient faire à présent.
*
« Je suis un peu perdue... Je ne me sens plus l'âme d'être dentiste et pourtant, j'ai l'impression que l'Australie n'est plus qu'un rêve... dit Elisabeth Granger.
- Monica, ne t'inquiète pas, ça va revenir... On va se retrouver tous les trois, d'accord ? » rassure son mari en prenant la main de sa femme et de sa fille.
Hermione n'entend pas l'espoir dans la voix de son père. Elle n'entend que Monica, prénom venu si naturellement. Qu'a-t-elle cru ? Qu'il suffisait de murmurer quelques mots et d'un mouvement de main, pour que ses parents retrouvent leur identité ? Qu’ils se souviendraient de leur vie d'avant, de la place de la magie dans son quotidien ?
Elle hoche vaguement la tête et laisse les larmes couler. Ca fait mal, très mal.
Peut-être encore plus que de savoir qu'ils vivaient tranquillement leur nouvelle vie. Elle aurait pu repartir sans leur révéler la vérité et rien n’aurait changé ; elle aurait disparu de leur monde une nouvelle fois. Et les aurait laissés en paix…
Elle aurait dû les laisser en paix, peut-être les rencontrer différemment, en tant qu'étrangère. Ou même s'obliger à ne jamais les revoir.
Elle a joué avec la magie pour leur plus grand bien et ils en payent maintenant le prix.
Sa mère passe un bras hésitant autour de sa taille, et attira sa fille contre elle. Elle lui embrasse le front et pleura avec elle. Leur vie de famille recommence, mais ce sera bien différent. Et Hermione a peur de cet inconnu, un inconnu qui va mélanger tout ce qu'elle connait, tout ce qu'elle a espéré retrouver et qui vogue déjà vers des horizons étranges.
Ils discutent de beaucoup de choses, tombent d'accord sur certaines et doivent s'obliger à reporter les décisions sur d’autres. Hermione se sent toute petite et tellement perdue entre ces deux corps aimés. Elle est perdue elle aussi.
Ses parents rentreront en Angleterre dans un mois, le temps de dire au revoir à une vie tissée ici et trouver des points de repères auxquels s'accrocher.
Ils s'appellent encore souvent Monica et Wendell plutôt que Elisabeth et Charles ; sa mère ne reprendra pas son métier de dentiste mais continuera le bénévolat auprès des femmes seules, comme elle le faisait en Australie ; son père reprendra un cabinet, mais il pense plutôt s'associer à quelqu'un. Ils essayeront de revivre dans leur maison, bien qu'ils doutent la retrouver dans un bon état.
Hermione leur assure que leurs voisins se sont engagés à y faire des tours régulièrement.
Là-bas, d'autres personnes les connaissent, et il y a encore la famille qui a été à peine informée de ce voyage australien.
Peut-être qu'après tout, avec les mois et les années, Elisabeth et Charles retrouveront le sourire qui lui manque tant.
Hermione leur a demandé de regarder la photo prise d'eux trois sur la plage de Deauville, lors d'un voyage en France. Elle sait que son père garde toujours ce souvenir avec lui et elle espère qu'un an après il n'a pas changé ces petites habitudes
Il ouvre son portefeuille et découvre qu'Hermione a repris sa place, entre ses parents, sur la plage.
Il la regarde, surpris, et puis sourit.
« Je m'en souviens à présent, ça me semblait étrange dans ma tête de parfois parler dans le vide sans qu'Elisabeth me réponde. Il faisait si beau... Ce serait bien d'y retourner ensemble.»
Elisabeth pleure encore plus. Hermione aussi.
*
Dans l'avion du retour, Hermione savoure cette semaine passée avec ses parents. Ils lui ont montré des paysages magnifiques, aussi bien désertiques que montagneux. Elle a laissé la mer lui lécher les pieds, emmitouflée dans un gros pull à cause de la saison fraîche. Elle a parcouru leur ville sous la neige en rencontrant des personnes qui construisaient leur nouvelle vie.
Ils n'ont pas beaucoup parlé de magie, ni même de Poudlard et encore moins de ses amis qui l'attendent en Angleterre. Elle leur a juste dit qu'elle y retournait pour une nouvelle année mais passerait du temps avec eux, beaucoup plus qu'avant. Elle obtiendrait le droit de passer des week-ends hors de l'école, dut-elle enfreindre le règlement !
C'est une décision qu'elle n'a pas encore avouée à Harry et Ron. Ils ont respecté son silence jusqu'à ce qu'elle retrouve ses parents, mais il lui faut à présent trouver les mots.
Elle retournera à Poudlard et les laissera tous vivre un peu leur vie.
Hermione respire, sourit à la serveuse qui lui propose de l'eau et part dans la contemplation de la mer qui s'étend.
Elle va reconstruire son monde, elle se le promet.