ECHEC ET MAT
Il y a quelques jours de cela, son fils devenait assassin. C’était ce qu’ils disaient, tous, dans les journaux, en pleine rue, dans le bureau des honnêtes gens, partout. Elle savait bien, elle, qu’il n’avait jamais été partisan du Grand Lord. C’était son Fils après tout.
Il aurait trahi. Vendu ses amis. C’était ce qu’ils disaient, encore. Les ignorants. Cette nuit où son monde s’était écroulé une seconde fois, après la mort de son dernier.
Ils avaient fêté, s’étaient égayés de la chute du Grand Lord. Puis ils s’étaient mis à parler, colporter des âneries, le nom des Black revenait souvent dans les lèvres médisantes. Bella avait échoué à Azkaban. Comme tant d’autres. Comme lui, qu’on avait enfermé dans les ténèbres, ces ténèbres qu’il n’avait eu cesse de fuir toute sa vie.
Ils disaient que ses crimes étaient si graves qu’il ne pourrait jamais revoir la lumière. Pour l'achever, enfin, on l’avait destitué de son droit pourtant inaliénable à un procès.
Voilà où elle s’était arrêtée, sa destinée.
Le soir du 31 octobre 1981 ne pouvait être qu’un mauvais rêve, elle songeait. Un empire ne s’écroulait pas en si peu de temps. C’était absolument contraire à la logique humaine. Il fallait voir les Grecs et les Romains, à l’époque. On ne pouvait pas tout posséder un instant pour tout perdre le lendemain, pas de façon aussi subite. Pas lorsque l’on s’appelait Walburga Black.
Cela ne devait être qu’un mauvais rêve.
Il était parti, pourtant, celui qu’elle avait soutenu au prix de la vie de son second. Volatilisé, comme par magie.
Walburga, soufflée, esseulée, souffrait. Tant de sacrifice pour une fin aussi misérable, elle pensait. Un bébé, ils disaient. Un bébé avait mis fin au règne du Grand Lord. Un être pas plus haut qu’un tabouret. Jamais l’ironie n’avait été aussi violente. Beaucoup trop amère, cette ironie, même pour elle. Elle qui avait tant de fois ri des mauvais tours du destin. Elle qui s’était moquée de leur faiblesse - insupportable chez les autres. Son camp avait failli, minable. Ils avaient failli, l’avaient abandonnée, pièce maîtresse de l’échiquier. Seule. Le Roi, tombé à cause d’un bébé. Un bébé ! Et pas n’importe lequel. Car, oui, le destin s’amusait follement ! Sa cruauté était légendaire, tout comme la sienne. L’enfant Potter, voilà de quel bébé l’on parlait. L’enfant de cet autre Potter qu’elle avait déjà haï, une décennie plus tôt.
Mais il était mort, lui aussi. Celui qui avait sali. Honni. Celui qui avait pris. Ce qui était Sien. Il était mort et elle n’en éprouvait aucune amertume, aucun regret, rien. Qu’un sentiment de gâchis.
Peut-être même qu’elle y ressentait du plaisir. Qu’il y ait au moins un avantage à cette terrible nuit ; la disparition d’un ennemi. Pas le plus féroce, non, pas le plus vorace. Simplement un insecte, perturbateur. Pas véritablement un ennemi finalement. Une nuisance.
Elle s’était souvent représentée James Potter comme un cafard.
Les cafards, chacun le savait, étaient des sales bestioles vicieuses et sournoises. La ressemblance avec ce marmot était particulièrement terrifiante.
Ils étaient envahissants, s’attaquaient à vos affaires quand vous aviez le dos tourné, utilisaient leurs excréments dégoulinants de leurs bouches difformes. Lorsque l’on apercevait un cafard, il fallait réagir instantanément. Instinctivement. L’éliminer. Ne pas laisser à la saleté l’occasion de s’installer. Mais elle avait été trop lente. Pas assez prévenante. Considérant bêtement que son Fils ne serait pas contaminé par la bave du crapaud, qu’elle lui sauterait aux yeux avant de l’atteindre. Il était intelligent, comme elle. Elle avait pensé qu’il saurait l’éviter.
Première erreur dans sa stratégie de maître.
Pourtant, elle avait tout fait selon les règles. Elle avait appliqué chacune des notions fondamentales de la vie - et dans l’ordre, évidemment. D’abord, elle avait développé toutes ses pièces, rapidement. Si rapidement qu’elle avait gagné l’initiative. Parce qu’ils étaient plus lents, elle s’était occupée des cavaliers avant des fous et, pour ne pas perdre cette initiative si chère à son cœur, avait bien fait attention à ne bouger la même pièce deux fois dans l’ouverture. Peut-être qu’elle avait trop abusé de ses pions, au départ, cherché l’échec des autres dans la hâte, quand ce n’était pas nécessaire, cela avait dû lui coûter un peu. Mais à part ça, elle avait tout maîtrisé à la perfection. Pas la moindre erreur. Son territoire était immense, elle le contrôlait entièrement. Jusqu’à l’arrivée du Cavalier blanc. Elle avait minimisé le pouvoir de cette pièce parce que le fou était toujours plus puissant. Mais un Fou, limité par les pions est un mauvais Fou et, si la position est fermée, le Cavalier l’emporte.
A Gryffondor, la marche de manoeuvre était faible. Elle avait oublié ce détail décisif.
Le cafard s’était imposé dans sa vie, sans préavis. Il avait sali toutes ses possessions et même écrabouillé, il continuait à sévir.
Il était trop tard à présent.
La première fois qu’elle avait pris connaissance de son existence, à ce cafard-là, ça avait été par l’intermédiaire de son père, encore invité à quelques événements sacrés de l’époque. Elle avait vu l’enfant et avait retroussé ses lèvres avec suffisance, comme elle savait si bien le faire. Son manque d’éducation était évident. Sirius, lui, avait peut-être des allures de rebelle mais il savait comment l’on se tenait à table et il ne portait pas d’affreuses barboteuses. L’enfant Potter, tout comme le père, était une calomnie.
Heureusement, par la suite, on ne revit plus Fleamont Potter, ni son marmot, à ce genre d’événements. Il avait fini d’achever sa réputation dans le cercle très prisé des Divinités.
Voilà ce que lui inspirait le nom de Potter depuis. Un sentiment de dégoût. Encore plus maintenant qu’il avait massacré son empire, rendu vain les gouttes de sang versées pour la renaissance d’un Seigneur. Un Elu.
La mort de James Potter hahaha. Fallait-il s’en émouvoir ? s’en offusquer ? Mais elle, elle levait sa coupe de champagne pour l’occasion, et bien haut, s’il vous plaît !
Pourtant c’était lui que l’on retenait.
C’était absurde.
Regulus oublié, le Grand Lord méprisé, et Sirius… Sirius trompé, manipulé.
James Potter l’avait battu. Par sa simple mort, il les avait tous effacés, renvoyés au rang de cendre.
Cela, elle ne le supportait pas. Sa descendance, réduite à néant par le simple nom de Potter. Potter.
Il la hanterait encore après sa mort.
Potter.
Il continuerait à être la raison de ses malheurs.
Potter.
Saint Potter.
Ses ailes angéliques et son sourire enjôleur.
Potter, la pire création sur cette terre déjà malfamée.
Le diable en personne.
Comment avait-elle pu le sous-estimer à ce point ?
Sotte. Il lui avait tout pris.
Idiote. Dans l’ombre, il avait agi.
Et elle n’avait RIEN vu.
Elle observait ce destin qui s’envolait en fumée, comme les cigares de Orion, et elle ne pouvait s’empêcher de rire.
Potter dans sa tête, comme un tourbillon.
Même Sirius avait été vaincu par son ami. Sa mort l’avait menée droit en prison. Potter était impitoyable.
Ils avaient tout perdu, tous perdu, pour s’écraser devant le digne nom de Potter.
Cela la rendrait folle, ce tourbillon dans la tête. (Elle était déjà folle).
Depuis qu’ils étaient tous tombés, les un après les autres, comme des pions sur l’échiquier.
Orion, Regulus, Bellatrix, Sirius, le Grand Lord.
Il ne restait plus qu’elle. La triste reine. Endeuillée. Et ce nom de Potter, omniprésent dans ses oreilles.
Qui murmurait.
Avec un sourire ingrat.
Les antennes gigotantes.
Ses six longues pattes épineuses.
Qui murmurait.
Echec et mat, Walburga Black.
Gros défi pour moi d'écrire sur James Potter mais j'ai adoré car les filles de la Jamesie team ont proposé un projet où l'on pouvait choisir un personnage pour parler de la nuit du 31 octobre et de James Potter en particulier. C'était donc un merveilleux prétexte pour renouer avec Walburga :D Et franchement, ça m'a fait plaisir ! Alors merci au fan club de James pour l'organisation du projet, merci tout particulier à smittina pour la relecture et les corrections absolument détaillées, et bonne lecture à tous ! :D
Je poste ce texte un peu en avance pour des raisons d'organisation mais j'ai attendu qu'on soit au moins en octobre pour ne pas être trop HS :)
Oh et je suis fière d'avoir pu nommer le père de Potter en respectant le canon maintenant qu'on sait qu'il s'appelle FLEAMONT :mg:
N'hésitez pas à me faire part de votre avis ^_^
(J'espère que vous n'avez pas été trop perdus par le développement autour des échecs)