« Draco, t’as un visiteur, lui dit Marjorie de sa voix geignarde en rejoignant son bureau.
- J’arrive. »
Il dit toujours ça mais ça lui prend un temps fou de se décrocher de son travail.
Il est plongé dans la lecture d’un dossier et griffonne des idées, ou encore reprendre des passages qui lui semblent primordiaux. Il écrit des pages et des pages, revient en arrière, s’arrête et laisse le bout de sa plume caresser son menton. Draco lève les yeux du Traité des échanges de Potions de catégorie A entre l’Angleterre et la Russie et regarde par la fenêtre.
Le ciel limpide qu’il voit par la fenêtre artificielle l’invite à s’aérer un peu l’esprit et lui donne plus envie que le passionnant traité qu’il décortique. Alors il se redresse sur sa chaise, étire ses bras jusqu’au craquement familier qui soulage son dos et se lève. Il a déjà hâte de sortir de l’atmosphère étouffante des bureaux qui sentent la transpiration.
En attrapant sa cape, il entend Marjorie lui dire :
« Il est toujours là.
- Par Merlin, je l’avais complètement oublié ! Ca fait combien de temps qu’il attend ? » s’inquiète Draco.
Elle grommelle quelque chose comme trente minutes et Draco se sent mal d’avoir fait patienter aussi longtemps quelqu’un ; surtout une personne venue le voir à son bureau !
Il resserre sa cape, car ce que la fenêtre lumineuse ne dit pas, c’est que le froid est mordant dehors. Il sort du bureau et cherche des yeux cette personne qui a eu le courage de l’attendre autant de temps.
Draco hausse un sourcil et se dit qu’il n'a pas du tout envie de l'attendre, par contre. Un coup d’œil à sa montre lui indique qu’il est une heure de l’après-midi ; s’il veut manger et finir le traité avant sept heures, il devra donc manger au lance-pierres. Il s’engouffre dans l’ascenseur et a à peine le temps d’appuyer sur le bouton du rez-de-chaussée que quelqu’un lui emboîte le pas.
Draco regarde le mur à côté de lui. Il a encore du mal à supporter le regard des autres employés du Ministère.
Ce n’est pas de la honte, c’est un peu de peur, un peu de lâcheté. Toujours le même cocktail, la même rengaine. Que vont-ils penser ?
Il redoute le mur de mépris, qu’il ne trouve pas sa place. Et qu’on ne voit chez lui que ce qu’il a été, que l’image qu’il avait travaillée, le fils de son père.
« Salut », dit l’autre personne.
Draco regarde discrètement si, par hasard, il n’y pas une troisième personne dans l’ascenseur. Mais non, ils ne sont que deux. Par politesse, il va dire bonjour et essayer de comprendre s’il doit catégoriser cette personne avec les Malefoy-fils-de-son-père-il-a-acheté-son-poste ou avec les C’est-un-Mangemort-fuyez-le.
Il lève la tête et retient au dernier moment sa réponse. Parce que devant lui, ce n’est pas un illustre inconnu.
« Qu’est-ce que tu fous là Potter ?!
- Je ne m’attendais pas à un accueil très chaleureux, mais là, tu bats tous les records… dit Harry. »
Si le ton se veut légèrement moqueur, Draco lit la déception sur son visage et dans la main qui triture le bord de sa cape. Peut-être aurait-il voulu une poignée de mains.
« Non mais tu débarques comme si on s’était vus hier ! C’est toi qui attends depuis une demi-heure ?
- Oui, lui répond nerveusement Harry.
- Pourquoi ? »
Potter bafouille un peu. Puis il se ressaisit avant de suggèrer :
« On pourrait déjeuner ensemble ?
- Et parler de Poudlard ? Du Quidditch ? Des gamins qu’on était et des conneries qu’on a faites ? s’énerve Draco. Tu me vois te dire « Ah oui, c’était le bon temps Harry, c’est super sympa d’être venu manger avec moi ! » Tu crois vraiment qu’aujourd’hui on peut se comporter comme si rien ne s’était passé ?! »
Il ne dit pas tout. Il ne dit pas comme si je n’avais pas vu Granger hurler de douleur au Manoir, comme si je n’avais pas failli mourir du Feudeymon, que tu ne nous avais pas encore une fois tous sauvés !
Putain.
Il le pense si fort qu’il est certain que Harry entend ce qu’il lui crie.
Le voir, là, devant lui, a réveillé tant de choses…
Draco s’en veut d’être si agressif mais il ne sait pas comment réagir autrement. Potter, c’est son passé. C’est tout ce qu’il essaye d'user, de noyer dans ce qu’il veut devenir.
Et putain, non, il ne veut pas revenir en arrière. Il ne veut pas !
Harry le regarde de ces grands yeux verts, si simples, si imprégnés d’altruisme naïf qui le mettent mal à l’aise. Draco trouve que l’ascenseur met longtemps à descendre cinq pauvres étages.
« Juste déjeuner », dit-il en insistant.
C’est si simple de dire non, de le repousser du bras et se barrer. Si simple et tellement lui, comme à Poudlard.
Alors il soupire, et accepte. Il rajoute qu’au vu des goûts déplorables de Potter, il choisit le restaurant – et se mord la langue pour ne pas qualifier son pull de vert vomi. En fait, il ne va pas s’emmerder et juste aller à sa petite cantine. C’est un petit restaurant à deux rues de l’entrée du Ministère qui, à première vue, ne paye pas de mine. Ils l’accueillent toujours comme un roi et ça lui plaît.
Draco flatte son ego en y retournant presque tous les jours. Quitte à manger seul, il préfère manger bien et être servi par cette sympathique serveuse. Elle n’a pas couru chercher un photographe de la Gazette, elle lui a juste souri et dit bonjour.
Il y mange pour son sourire chaleureux, pour la tarte aux pommes encore fumante et la simplicité du lieu. Draco ne se sent pas oppressé, il le trouve calme et vient respirer avant de replonger dans ses dossiers.
Potter le suit, intrigué, et ils n’ajoutent pas un mot avant de commander. Ils ne sont pas les seuls clients, heureusement.
« Voilà, on déjeune. Tu veux quoi maintenant ? demande Draco rudement.
- Savoir ce que tu deviens.
- Pourquoi une telle réponse ne m’étonne pas de toi ? T’as une liste avec le prénom de toutes les pauvres victimes, et tu fais ta tournée de Comment ça va aujourd’hui ? Le travail, les enfants, la famille ? Et là t’es arrivé à la lettre M et tu t’es dit Et si j’allais voir ce bon vieux Draco ?
- Pourquoi tu es aussi agressif ? »
Retournement de situation. Draco ouvre la bouche mais ne sait pas quoi dire. Il refuse de penser qu’il se cache, qu’il veut que Potter dégage et le laisse seul. Parce que c’est derrière lui.
Alors il avoue :
« Je ne comprends juste pas. Toi et moi dans ce restaurant.
- Et pourquoi pas ? sourit Harry. Je veux dire, ça fait cinq ans maintenant, Malefoy. Cinq ans. Et je me suis dit que t'étais peut-être un type bien.
- Dis-moi quand est-ce que je dois rire qu'on en finisse, dit Draco.
- Nulle part.
- Et alors ?
- Tu as sûrement entendu parler du projet de créer une Brigade Internationale pour éviter que le problème Waterhaja ne se reproduise ?
- Je travaille à la Coopération Internationale, alors bien sûr que j'en ai entendu parler ! Réfléchis deux minutes… »
Waterhaja. Problème très épineux. Un tueur en série qui avait laissé son empreinte en Angleterre, du côté français et un ou deux cadavres au Maroc. Repéré pour la dernière fois le long de la frontière mexicaine des Etats-Unis. Un petit malin qui avait filé entre les doigts de chaque Brigade Locale pour cause de manque de coopération et de renseignements entre les pays.
Potter continue, entre deux bouchées :
« On aimerait organiser un sommet. Un genre de Sommet de la Sécurité Internationale. Qui dit sécurité dit Aurors. Qui dit international, dit vous. Mon mentor a vu qu’on avait fait Poudlard ensemble et s’est dit que je serais le plus apte à t’en parler. »
Il prononce ces derniers mots sur un ton agacé. Tout le monde sait que Harry a défendu les Malefoy, qu’il a tenu le sort de la « Famille pourrie » entre ses mains et qu’il ne les a pas écrasés de son mépris.
Il se passe la main sur la nuque. Draco voit bien qu’il est mal à l’aise ; que lui non plus ne comprend pas pourquoi eux.
« On est à peine arrivés dans leurs départements… Pourquoi nous alors ? l’interroge-t-il. Ca fait quelques mois que j’ai les pieds dans la paperasse et tous les autres dossiers. Toi t’es encore à enchaîner tes stages sur le terrain. En vrai, on y connaît rien. C’est comme dire à un première année Eh, tu veux pas être Préfet ? Ca devrait pas être moi, ça devrait être John Attard, ce vieux cinglé.
- C’est pas mon truc non plus, tu sais… avoue Harry.
- Les sommets, parler à droite à gauche, organiser, sourire, tu as l’habitude pourtant ! »
Le ton sardonique de Draco refroidit Harry. Celui-ci repose sa fourchette, il n’a tout d’un coup plus faim.
Il a essayé de fermer les yeux sur les remarques, l’air buté et fermé et la franche antipathie qui se dégage de Malfoy. Mais ce serait trop bête d’arrêter là, pour quelques mots de trop !
Et pourtant, Harry doit avouer que ce petit connard prétentieux a touché la corde sensible : la célébrité imposée.
Il respire, repousse son assiette et d’un geste demande l’addition. Capituler ne lui ressemble tellement pas pas qu’il espère attirer l’attention du crétin devant lui. Sans un mot, Draco le regarde payer leur repas, remercier la serveuse d’un sourire et sortir.
Et il reste assis, à attendre que Potter revienne. Il revient toujours.
*
Potter n’est jamais revenu.
Draco a laissé le mois de février se terminer avant de ravaler sa fierté, poussé par la curiosité. Il a envoyé un hibou à Potter :
Ce serait quand ce Congrès ?
La réponse, toujours aussi sèche lui déplaît : du premier au trois juin.
Début juin c’est aussi son anniversaire et Draco préfère prendre des congés pour le fêter seul ou non, mais surtout loin du boulot et des regards condescendants. Il déteste tous ces employés du Ministère qui n’arrivent pas à surmonter leurs préjugés et qui restent coincés des années en arrière...
Draco n’ose même pas se joindre à la compétition de Quidditch inter-départements.
Mais organiser le Congrès sur la sécurité serait une bonne chose pour sa carrière et pour montrer aux autres que non, il ne va pas passer sa vie à regretter ce qu’il a fait avant.
Car, justement, c’était avant.
Alors il répond simplement : Déjeuner ?
Cette fois, il paye le repas. Ils discutent longtemps et passent finalement toute l’après-midi dans ce restaurant, à commander des cafés ou à se laisser tenter par leurs excellents déserts, recommandés par Draco lui-même.
Il prend beaucoup de notes des idées d’Harry et des attentes de son directeur de département.
« Donc on partirait sur le thème Eviter la panique dans l’urgence ? demande Harry en passant machinalement sur son visage la plume qu’il tient.
- Oui, avec le cas Waterhaia dont on parlait. Ce serait bien de faire intervenir l’inspecteur qui l’a laissé filer au Mexique, tu crois pas ?
- Sans le culpabiliser ? demande Harry avec un regard suspicieux.
- Pas du tout mon genre Potter, tu le sais bien ! » répond Draco avec un grand sourire. »
Les premières heures autour de cette table sont tendues mais leur professionnalisme et leur intérêt, tous deux, pour cette conférence réussissent à les dérider. Malfoy est moins agressif et Harry lui pose moins de questions.
Cette coopération pourrait peut-être marcher après tout ?
Ils se mettent d’accord sur les intervenants qu’ils veulent et listent ceux potentiellement intéressants en cas de désistement. Harry laisse à Draco le soin de s’occuper de la communication avec les autres pays, et son collègue le maudit pour le nombre de hiboux à envoyer, les appels de Cheminée à passer pour convaincre et expliquer l’intérêt d’un tel sommet.
Tous ne sont pas d’accord pour reconnaître que cet échange est nécessaire, mais les deux sorciers arrivent à rassembler les personnalités qui vont échanger. Ils dressent ensuite la liste des services et des journaux à inviter et ce sommet se construit.
Fin mars, quand ils présentent le dossier devant leurs deux directeurs de Départements, ils ne sont plus aussi sereins que leurs dernières soirées passées dans ce restaurant. Ils sentent l’angoisse qu’un détail fasse clocher l’ensemble, qu’un pays ne se présente finalement pas ou que les journalistes en profitent pour critiquer les Ministères. Ils stressent et ont du mal à le cacher.
C’est là qu’ils ont choisi de se retrouver, parfois deux fois par jour, pour travailler ensemble ; cet endroit paisible est neutre. Et la neutralité, ils en ont eu bien besoin pour ne pas s’étriper.
Quand Harry a vu la liste des intervenants voulus par Malfoy, il a immédiatement repéré l’absence de femmes.
« T’en connais une compétente, toi, de femme dans la coopération internationale ? Parce que moi pas. »
Et Harry de rétorquer qu’il connaissait au moins Mademoiselle Faenza puisqu’ils s’étaient fait prendre en photo dans Londres. Il lui rappela même le titre de l’article « L’envol de l’héritier Malfoy vers l’Italie ? ». Draco grommela que c’était bien pour ça qu’il n’avait pas mis le nom de cette femme sur la liste.
Quand leurs supérieurs ont accepté, ils sont allés boire un verre dans ce restaurant et ont commandé leur plat préféré. Ils ne se considèrent pas encore comme des amis, mais savent qu’ils retravailleront ensemble.
*
« Oh par Merlin j’ai cru qu’ils n’allaient jamais se mettre d’accord sur ce point ! grogne Draco. Trois heures ! Trois foutues heures à débattre sur ça ! Ma tête va exploser… P’tain !
- Arrête de te plaindre un peu, au moins ils sont passionnés et c’était le but, non ? dit Harry en lui donnant un coup de coude. On a réussi, réjouis-toi ! »
Draco grommelle, il marche encore un peu avant d’ajouter :
« Tu sais qu’on est le 3 juin ?! Et je me tape ces longues conférences et ces débats à mourir tellement ils tournent en rond alors que je pourrais être en congé, tranquillement… Par ta faute ! C’est toi qui as choisi ces dates ! »
Cette fois, il est vraiment énervé. Trois jours déjà qu’ils écoutent, prennent des notes, applaudissent les décisions et meurent d’ennui parfois.
Oui, bien sûr, pour une première conférence, c’est un succès ! Tellement de délégations et de pays différents sont venus. Et ces quelques jours finalement n’annoncent que des mois et des mois d’une coopération nouvelle, réaffirmée.
Mais là, dormir était son rêve. Une semaine au moins. Voire plus.
Alors Draco salue Harry d’un geste et se dirige vers la zone de transplanage.
« Malfoy, attends ! s’exclame Harry en le rattrapant par la manche.
- Qu’est-ce que tu veux Potter ? lâche Draco, exaspéré, avec une seule envie : retrouver son lit. Tu froisses encore plus ma chemise…
- Tiens, prends-le, dit Harry gêné en lui tendant une petite boîte verte. Joyeux anniversaire.
- Quoi ?! Je suis certain que c’est ensorcelé. Un sort dans une boite pour me punir... Ou des chaussettes. T’as pas intérêt !
- Oh ferme-la un peu ! »
Draco ouvre la boite et ne trouve pas de mots.
Il prend délicatement le vif d’or entre ses doigts.
« Si j’avais su que ça te laisserait sans voix, je t’en aurais offert un avant ! rit Harry.
- Potter, tais-toi un instant. »
Draco caresse le métal de ses doigts, ce vif était très beau. Les gravures, les arabesques délicates et les ailes se s’étaient ouvertes dans un bourdonnement familier.
Puis ses yeux se posent sur le mot écrit dans le couvercle :
Joyeux anniversaire, j’ai pensé que tu apprécierais savoir ce que ça faisait d'attraper un vif !
Harry
Et Draco soupire : « T’es un incroyable petit con, Potter ! » avant de rire avec lui. Il murmure même un « Merci » avant de mettre la boite dans sa poche et de s’en aller.
Harry regarde cet ami qui s’en va, et retourne chez lui, plus joyeux.