Je regarde la pluie tomber à travers la vitre de notre salon et je soupire en frictionnant mes bras pour mieux me réchauffer. Encore une journée d’automne idéale pour laisser le spleen s’installer. Encore une journée enfermés…
Un rire retentit et je me retourne vers vous. Mes deux amours. Alors, un sourire attendri s’empare de mes lèvres pour mieux faire mentir cette grisaille. Tant que vous serez là, à mes côtés, je n’ai aucune raison de laisser la morosité me gagner.
Ton père relève la tête et me surprend en train de vous observer. Après une seconde de flottement, il m’offre son plus beau sourire en t’agitant sous mes yeux pour me faire fondre davantage encore. Et ça marche. Si tu savais, Harry…
Oui, si tu savais… Là, aujourd’hui, alors que je sens mon coeur déborder d’amour pour vous - et cette envie de le partager me gagner -, j’aimerais te le raconter, cet amour. Nous raconter. Mais tu es encore trop jeune pour comprendre tout cela, n’est-ce pas ? Peut-être devrais-je te l’écrire ? Un jour, tu te demanderas sûrement pourquoi, ou plutôt comment, ton père et moi en sommes venus à nous aimer…
Je contourne le sofa pour venir m’asseoir à vos côtés tout en restant perdue dans mes pensées. Parfois, je ne peux m’empêcher de plonger mon regard dans celui de ton père pour y chercher ma vérité. Cette tendresse, ce réconfort et cette confiance qu’il m’a toujours offerts. Son amour, aussi, bien sûr. Mais ce n’est pas de celui-ci dont j’aimerais te parler. Les sentiments que je souhaite te dévoiler, ce sont les miens.
Comment Lily Evans est-elle tombée amoureuse de James Potter ? Cette question, beaucoup ont dû se la poser. Il était de notoriété publique que ton père m’exaspérait. Et c’était vrai ! Par bien des aspects, dès notre première rencontre, il a eu le don de m’énerver, de m’agacer. Je me suis souvent demandé si c’était parce que j’entrevoyais ce qu’il était, si je pressentais le potentiel qu’il avait et le gâchis qu’il en faisait…
Oh ! Pas sur le moment, évidemment. À cette époque, je le classais rapidement parmi les pires têtes-à-claques irrécupérables que la terre ait portées, c’était bien plus facile. Et si, parfois, l’idée que je me trompais peut-être m’effleurait, je la chassais bien vite dès que je reportais mon attention sur lui. Irrécupérable ! Inutile d’épiloguer. Oui, comme lui, j’étais du genre bornée - je le suis toujours un peu, d’ailleurs.
Mais heureusement pour moi, je ne l’étais pas au point de passer à côté de la vérité.
Ton père se pavanait peut-être beaucoup mais il n’était pas vraiment pédant. Tout du moins, les excès d’arrogance dont il pouvait faire preuve n’étaient pas tous sans fondement et, peu à peu, il a appris ce qu’était la modestie. Paradoxalement, la confiance en lui dont il débordait à juste titre au Quidditch et dans la plupart des cours, il en était dépourvu dans d’autres domaines. Et c’est justement lorsqu’il essayait de la feindre dans ces derniers qu’il était le plus horripilant. Quand il l’a compris, ses efforts pour se montrer tel qu’il était ont apaisé mes doutes ; le masque de la prétention est tombé au profit de la maladresse attendrissante.
Je préfère passer sur son animosité réciproque avec les Serpentard en général et avec Severus en particulier. Je crois que je ne cautionnerai jamais le système de Répartition de Poudlard, tellement arbitraire, tellement prématuré… Sans doute la période a-t-elle joué mais… je suis lasse des préjugés et de ceux qui en profitent pour mieux nous diviser. Tellement lasse…
À nouveau, je lève mon visage vers ton père à la recherche de réconfort et, déjà, ses doigts caressent ma joue pour me revigorer. Je ferme les yeux un instant pour profiter de ce contact, pour me reposer sur lui, me ressourcer.
Tu veux savoir, Harry, ce qui m’a fait craquer ? Même lui ne doit pas l’avoir réalisé. Je ne sais pas s’il se rend compte… Là encore, il y a un paradoxe. Ton père a pu parfois manquer cruellement de subtilité et de tact, tu sais. Mais malgré ce manque de délicatesse récurrent, il a aussi été la personne la plus prévenante que je connaisse à mon égard. L’attention qu’il m’a portée sans même s’en apercevoir, c’est la clé qui a tout débloqué.
Il se demande peut-être ce qui m’attire le plus chez lui, ce qui m’a fait succomber entre son intelligence irréfutable, sa loyauté sans faille envers ses amis, son courage certain, son charme, son humour ou encore tous les principes que l’on partage, que sais-je ? Mais, tout cela, je ne le voyais pas vraiment avant le moment qui l’a révélé à mes yeux. Et ce moment, je m’en souviens comme si c’était hier, Harry, alors que lui l’a probablement oublié. Oui, pour lui, je suis sûre que ce n’était rien, que c’était normal… mais c’était lui, justement, et c’était beaucoup, pour moi.
Je ne sais pas si tu hériteras de nos facilités. Nous avons tous les deux eu la chance de comprendre et d’apprendre très vite, ce qui nous a permis d’avoir toujours de bonnes notes à l’école puis à Poudlard. Je te le souhaite, bien sûr, mais s’il y a bien une chose que je ne veux pas pour toi, c’est que tu te mettes la pression pour être « à la hauteur de tes parents ». L’important est de faire de son mieux et non d’être le meilleur, tu verras, tout cela est tellement relatif.
Si ton père l’a très bien vécu, je crois, pour moi, ça n’a pas toujours été évident. À partir de Poudlard surtout, j’ai souffert de la jalousie des autres. De celle de ma soeur en premier lieu mais aussi de tous ceux qui n’avaient pas les mêmes dons ou d’aussi bons résultats que moi malgré tous les efforts qu’ils devaient fournir et fournissaient. Alors j’ai dû apprendre à faire avec et à ne plus prêter attention à leurs remarques sournoises. Et j’y suis parvenue, globalement.
Mais quand tu es habituée aux sommets et qu’un jour, tu tombes, la chute est difficile à encaisser. Tu ne connais pas. Tu comprends tout, d’habitude, mais là tu n’as pas saisi. Que s’est-il passé ? Tu te remets en question, tu doutes de toi, ne sais pas comment tu y arriveras alors que tout coule de source d’ordinaire. Quelque chose se serait-il détraqué en toi ? La chance incompréhensible que tu avais t’a-t-elle quittée ? À ce moment-là, tu aimerais juste avoir un moment de répit, seule, pour essayer de comprendre. Mais tu dois faire face aux remarques cinglantes, aux blagues lourdes et au soulagement jubilatoire des envieux.
Ah, ah ! Tu vois, finalement, tu n’es pas si exceptionnelle que ça.
Merlin ! Une mauvaise note ! Comment tu le vis, tu ne vas pas te mettre à pleurer, hein ?
Retourne chez les Moldus, Evans, ta place est là-bas !
Je savais bien que ça ne durerait pas, elle avait juste de la chance.
Si ça se trouve, elle trichait d’habitude.
Continue comme ça, Evans, et on vous passera bientôt devant pour la Coupe !
Ça alors, qu’est-ce qui s’est passé ? Même moi j’ai eu une meilleure note que toi.
Sérieux ? Elle a foiré ces devoirs ? Ils étaient pourtant faciles…
Avec le recul, je me suis bien sûr rendu compte comme tout cela était futile. Mais, sur le coup, ça m’avait juste fait mal. Mal parce que j’étais déjà blessée moi-même par ces résultats que je ne comprenais pas. Mal parce qu’au lieu de réconfort - celui que j’étais toujours prête à donner aux autres sans me poser de questions -, je me prenais de plein fouet la rancoeur de ceux qui souffraient d’ordinaire de leur infériorité présumée. Si seulement nous pouvions ne pas avoir cette manie de nous comparer aux autres sans arrêt...
C’est donc à ce moment-là, alors que même mes amis ne saisissaient pas l’ampleur de mon trouble, mon besoin de comprendre afin d’être rassurée, que James Potter s’est avancé vers moi.
C’était un jour d’automne pluvieux comme je les déteste. Un de ces jours où tout semble se liguer contre vous. Où tout s’accumule pour mieux vous enfoncer. Goutte après goutte, encore un peu plus bas. Autant te dire que je redoutais donc les mots blessants qu’il aurait pu me lancer pour faire rire l’assemblée. Nous n’étions pas vraiment amis. Il était dans sa période où il cherchait trop à briller aux yeux de tous et cela m’exaspérait, je préférais l’ignorer, la plupart du temps. Aussi, tu comprendras ma surprise, lorsqu’il me dit :
- Evans, ça tombe à pic ! J’ai besoin d’aide en potions. Tu vas me dire, je peux demander à n’importe qui, bien sûr, sauf que tu es la meilleure alors ça ira beaucoup plus vite avec toi. Donc, si je t’explique ce qui t’a échappé en Métamorphose, tu me donnes un coup de main pour le devoir de Slug ?
Je me souviens encore de ce que j’ai ressenti. Surprise tout d’abord. Puis gratitude. Lumineuse, chaleureuse gratitude qui s’est répandue dans mes veines pour mieux repousser les nuages de cette journée. Soulagement, aussi.
Pour la première fois, je l’ai vraiment regardé dans les yeux. Et je n’y ai vu ni moquerie, ni arrogance, ni pitié. Il me tendait juste la main, au propre comme au figuré, comme on le fait avec un ami, un secours ni vraiment intéressé, ni trop compatissant. Il me disait juste « c’est rien, tu vas voir, tu vas te relever ». James Potter, le petit génie si souvent fier comme un paon et adulé de tous - quand moi je devais presque m’excuser auprès de certains d’être plus intelligente qu’eux, cherche l’erreur -, avouait qu’on pouvait se tromper, qu’on pouvait avoir besoin d’aide et qu’il avait même foi en moi et en mes capacités pour la lui apporter, cette aide. Et il l’avouait pour moi.
Est-ce qu’il avait vu à quel point j’avais été blessée par la situation ? Est-ce qu’il avait déjà un faible pour moi au point de m’observer et d’en arriver à cette conclusion ? Ou est-ce que, malgré les apparences, il avait déjà éprouvé lui-même ce genre d’émotion, s’était reconnu en moi et avait voulu apporter le secours qu’il aurait alors aimé recevoir ? J’aime à penser un peu égoïstement qu’il ne l’aurait pas fait pour n’importe qui bien que son altruisme soit aussi une des choses que j’apprécie chez lui. Mais, comme il l’avait dit, il aurait pu solliciter l’aide de quelqu’un d’autre. Et il n’aurait pas eu besoin de le faire publiquement.
Annoncer devant tous nos camarades qu’il me reconnaissait comme étant la meilleure en potions, c’était leur clouer le bec en mettant sa fierté de côté, et sans écraser la mienne, bien au contraire. C’était me libérer de leurs remarques. C’était me soutenir. Être là pour moi quand les autres désertaient. Croire en moi quand ma propre confiance vacillait.
Alors, j’ai serré sa main pour la première fois et je ne l’ai pas regretté. Oh ! Notre relation n’a pas beaucoup évolué une fois notre entraide brillamment exécutée, ne va pas croire à un miracle. Il avait encore besoin de quelques années pour acquérir la maturité nécessaire à ce que je puisse le supporter plus d’une heure d’affilée. Mais la base de notre couple était plantée.
À partir de ce jour, de cet instant, j’ai su qu’il y avait en lui bien plus que je n’avais voulu voir jusqu’à présent. J’ai ouvert les yeux. Peu à peu, j’ai vu les qualités qui le définissaient, les sacrifices qu’il était prêt à faire pour défendre ses convictions et les gens qu’il appréciait. Et si j’ai longtemps cru qu’il n’aimait en moi que l’image qu’il se faisait du couple que nous aurions pu former, il a su me détromper. Par quelques gestes comme ce premier pas. Parfois maladroits mais toujours touchants. Au bon moment, quand j’en ai eu le plus besoin. Il était là.
Et il est là.
Encore et toujours.
Souriant, tendre, aimant et attentionné. Aussi bien avec moi qu’avec toi, Harry. À nos côtés.
Et tant qu’il sera là, je ne baisserai pas les bras. Pour vous, pour nous, je me battrai.
Peu importe la pluie et le froid, peu importe les ténèbres qui rodent. Tant qu’il sera capable d’illuminer ma vie comme il le fait chaque jour par ces petits riens qui sont tout, ça vaut le coup. Tout comme toi maintenant, Harry, il me rend forte, encore plus forte.
Je te souris et relève la tête vers lui. Il affiche cet air fier et heureux que j’aime le voir porter. Celui qui me montre à quel point il m’estime et tient à moi, à quel point il n’échangerait cette place pour rien au monde, à quel point nous le remplissons de bonheur. Celui que je porte également.
Car, grâce à lui, grâce à toi, octobre n’est plus jamais vraiment gris.