Ce fut d’abord un pincement au coeur venu en apparence de nulle part. Un de ceux qui vous laissent mal à l’aise sans explication. Un mauvais présage.
Ce fut ensuite cette tension lancinante, cette attente. Cette sensation que quelque chose ne va pas sans savoir quoi. L’impression d’être comme un lion en cage.
Ce fut par conséquent l’action, la vérification, la visite pour s’assurer qu’il était bien en sécurité. Mais le néant qui répond. Et le doute qui s’installe, se propage.
Ce furent alors peur, déni et précipitation. Vitesse vrombissante pour oublier et faire mentir plus vite. Faire taire l’indicible. Se rassurer.
Ce furent néanmoins stupeur et chaos.
Ce furent douleur et chagrin.
Ce fut la fin.
Lorsque Sirius arriva devant la maison en ruine des Potter, il eut l’impression que son coeur n’existait plus. Son coeur… qu’il se soit arrêté ou qu’on le lui ait arraché, quelle différence ? Il n’était plus. Parce qu’ils n’étaient plus. James, Lily et Harry. Sa famille. Ils n’étaient plus. Tués, assassinés.
En temps normal, il aurait sans doute été l’un des premiers à aller vérifier, à parcourir les décombres, à se lancer tête baissée à l’assaut des gravats.
Mais il avait senti, qu’une catastrophe s’était produite. Et le dernier espoir qu’il avait eu venait de s’effondrer devant le triste spectacle de leur demeure dévastée. Ils n’étaient plus. C’était fini.
Alors, sa tête se mit à tourner. Comme si l’information était juste impossible à enregistrer, comme si c’était juste impossible, juste... trop. Et il resta ainsi paralysé pendant plusieurs secondes, les yeux écarquillés et le coeur à l’arrêt.
Il aurait dû savoir. Comprendre. Tout de suite. Dès que son coeur s’était enrayé cette nuit. À part James, qui aurait pu l’impacter de cette manière ? Aucun lien, fut-il du sang, n’aurait pu être plus fort que l’amitié qui les liait. Aucun individu, personne, ne l’avait autant marqué. Il était son frère bien plus que Regulus ne l’avait jamais été. Il était son frère et on venait de le lui enlever…
Le bourdonnement du choc laissa bientôt place aux questions. À la question. Parce qu’ils étaient censés être protégés. Être à l’abri. Par conséquent, si leur Secret était tombé, cela signifiait…
Un bruit de gravats le mit aux aguets, arrêtant là sa réflexion. De sa baguette, il éclaira la silhouette massive qui émergea des ruines. Hagrid ?! Que faisait le gardien de…
Un son.
Un vagissement.
Et son coeur sembla reprendre sa place l’espace d’un instant.
Harry ?
Sans réfléchir, il s’avança vers eux :
- Hagrid ?
Il ne reconnut pas sa propre voix. Faible. Presque hagarde. Le géant leva les yeux vers lui en plissant les sourcils.
- Oh ! C’est toi, Sirius.
- Qu’est-ce que… Ha… Harry est vivant ?
- Abîmé, mais en vie, oui, souffla Hagrid avec un petit sourire triste.
Alors, malgré lui, un sursaut d’espoir le saisit. Fébrile, il scruta les amas de pierre et de bois et amorça même quelques pas :
- Et James ? Et Lily ?
- Non, Sirius, je suis désolé, l’arrêta Hagrid en lui posant une main sur l’épaule pour le retenir.
Mais c’était trop tard. Il les vit. Immobiles. Inanimés. Et il eut l’impression qu’une chape de plomb venait de s’abattre sur lui. Écrasant son coeur dans l’opération.
Il lui fallut plusieurs secondes, ou minutes, une éternité, pour réussir à détourner le regard de leurs corps sans vie. La main de Hagrid tremblait sur son épaule. Ou peut-être était-ce lui. Peu importe. Il ne sentait plus rien.
Ce fut un minuscule éternuement qui le ramena sur terre. Il tourna un regard dérouté vers le petit corps de Harry, comme surpris de le découvrir à nouveau ici. Alors il ferma les yeux pour mieux rassembler ses esprits et demanda :
- Mais… comment… ? Comment Harry… ?
- Aucune idée, soupira Hagrid en hochant tristement la tête de gauche à droite. Dumbledore m’a demandé de venir le chercher et il était là, balafré mais sage comme une image.
- Mais… Dumbledore ? Pourquoi ne m’a-t-il pas prévenu ? Je suis son parrain ! Oui… donne-moi Harry, Hagrid, je suis son parrain, je m’occuperai de lui.
- Non, Dumbledore a dit que Harry devait être confié à sa tante et à son oncle.
- Sa tante et son… ? Qui ? La famille de Lily ?! Mais… je suis son parrain… et James les déteste. Lily aussi…
- Désolé, Sirius, ordre de Dumbledore. Tu le connais, il sait ce qu’il fait.
- Mais…
En même temps qu’il prononçait ce mot, Sirius cherchait à comprendre. Que croyait Dumbledore ? Ce qu’il avait répété à James à de nombreuses reprises ? Qu’un traître était parmi eux… et qu’il était ce traître ? Cela faisait sens s’il le pensait être le Gardien du Secret. Il cherchait simplement à protéger l’enfant du danger. Et quelle meilleure place pour l’instant qu’un endroit où personne n’irait le chercher ? Même lui n’y aurait pas songé…
À cette pensée, il eut soudain la sensation de suffoquer. Il avait aussi assuré à James et à Lily que personne n’aurait pensé à Peter. Peter ! C’était lui, le Gardien. À cause de lui, c’était Peter. C’était à cause de lui si… Tout ça ! C’était sa faute. Parce que si le Secret était tombé… alors que la cachette de Peter était vide… sans trace de lutte… c’est qu’il était juste parti. Il les avait bel et bien trahis. Malgré leur amitié ! Alors qu’ils lui avaient fait confiance ! Qu’ils lui avaient confié leurs vies. Comment avait-il pu ? Comment avait-il osé ?
Une colère sourde monta peu à peu en lui à mesure qu’il réalisait. Peter les avait trahis. C’était lui, le traître, depuis le début. Et lui-même avait livré James et Lily en pâture à cette vermine sans se méfier une seule seconde. Quelle autre explication y avait-il ? Peter n’avait aucune raison de quitter son abri, pas quand cela concordait justement avec le pire…
Instinctivement, il resserra sa prise autour de sa baguette. Il ne tremblait plus. Il était résolu. Il ne laisserait pas un tel crime impuni. James et Lily... Et Harry ! Il ne pouvait même pas veiller sur Harry tant que le rat était en liberté. Peter lui avait tout pris. Tout. Il leur avait tout pris ! Alors il devait payer, il allait regretter. Oh oui ! Foi de Sirius Black, il allait se venger, les venger. Il le leur devait. Il allait le tuer.
Animés par cette nouvelle volonté, ses yeux cherchèrent un moyen de s’échapper, de partir à sa recherche. Ils rencontrèrent rapidement sa moto mais cette vision le fit frémir. Il se figea.
Il avait fait tellement de virées avec James dans les airs. Tellement. Si bien qu’à chaque fois qu’il s’apprêtait à enfourcher sa bécane, il pensait toujours à lui. Même cette année, alors que son meilleur ami avait dû abandonner sa propre moto pour rester caché, il avait toujours jeté un coup d’oeil autour de lui, machinalement, habitué à ce qu’il soit dans les parages. Et à chaque fois, il avait minimisé sa déception en se promettant que ce n’était rien, qu’ils pourraient bientôt faire route à nouveau ensemble. Mais c’était fini…
Il n’y aurait plus jamais d’escapades folles comme la fois où ils avaient réussi à bloquer des Mangemorts contre la voiture des policiers moldus qui pensaient les avoir coincés dans une impasse. C’était fini. Finies les courses où, sous le regard moqueur mais attendri de Lily, James lui affirmait avec conviction que son nouveau balai pourrait à coup sûr dépasser son bolide moldu cette fois-ci. C’était fini. Fini.
James ne volerait plus jamais.
Ses ongles entamèrent la paume de ses mains tandis que ses mâchoires, en silence, se combattaient.
Ses yeux le brûlèrent.
Alors, il se détourna de sa moto et, d’une voix lointaine, proposa à Hagrid de la prendre :
- Je n’en aurai plus besoin, maintenant.
C’était la fin.