3 novembre 1959
Le cri affamé d’un bébé résonne dans l’une des grandes chambres du manoir Black. Avec un soupir soulagé, Walburga se laisse retomber sur l’oreiller et ferme un instant les yeux.
Debout près de l’immense lit, la jeune médicomage serre le nouveau-né contre elle.
« Madame ? »
La jeune mère ne répond pas.
« Vous ne voulez pas le prendre ? »
Walburga pousse un soupir fatigué. Non, elle ne veut pas. Elle n’a pas le courage d’ouvrir les yeux. Et si c’est une fille ? Et si, en plus d’être la dernière à donner des descendants à son mari, elle n’a pas été capable de produire un héritier ? Et si, comme sa belle-soeur, elle se retrouve à élever une demoiselle ?
Le coeur serré, Walburga reste silencieuse encore un instant. Elle ne veut pas faire face à son échec.
« Qu’est-ce que c’est ? », finit-elle par articuler, les lèvres pincées.
L’enfant pousse un nouveau cri.
« Il doit mourir de faim », pense soudain la jeune femme.
« Qu’est-ce que c’est ? », répète-t-elle.
Elle n’est pas sûre d’avoir la force de nourrir le bébé si on lui annonce qu’il s’agit d’une fille.
« Un garçon, madame. »
Le coeur de Walburga fait un bond dans sa poitrine et elle ouvre enfin les yeux.
« Un garçon ? », répète-t-elle.
La médicomage lui sourit en hochant la tête. Walburga est soudain prise d’un haut le coeur. Son garçon dans les bras de cette jeune blonde au visage imparfait, avec ses taches de rousseurs indécentes et ses cheveux lâchés librement, cela lui donne la nausée.
« Donnez-le moi », ordonne-t-elle sèchement.
La médicomage se penche en avant et Walburga lui arrache le bébé des bras.
« Vous pouvez disposer. »
Walburga attend d’entendre la porte se refermer doucement pour s’autoriser un léger sourire. Elle prend une profonde inspiration et sent une bouffée de fierté s’emparer d’elle.
Bientôt, toute la famille sera réunie. Bientôt, les regards admiratifs se poseront sur elle et l’enfant. Et enfin, elle pourra affirmer sa supériorité face à Druella, elle qui n’a pas été capable de produire autre chose que des filles.
Walburga ramène son regard vers la fenêtre. La nuit est magnifique. Limpide, fière, scintillante. Pure. Comme elle. Comme son garçon.
« Sirius », murmure-t-elle.
A la lumière de la lune vient de naître une étoile. Et elle sera la plus brillante de toutes.
« Sirius », répète-t-elle, les yeux brillants.
Elle savoure la prononciation, s’habitue à la sonorité.
A la lueur de la nuit, le futur Roi des étoiles vient de voir le jour.
Cet enfant est sa plus grande fierté.