Cela fait plusieurs mois maintenant que que tu passes ton temps à te cacher. Tapis dans l'ombre, près à sortir de son trou quand tu le pourras, quand l'occasion se présentera. Tu te caches, comme un rat. Comme celui que tu abhorres tant. Parfois, cette idée t'est insupportable. Car tu le hais tant - comment pourrais-tu être comme lui ? Mais au fond, tu le sais bien, tu n'as rien en commun avec le rat. Lui s'est corrompu, il a vendu son âme et la vie de ses amis. Contre quoi ? Rien. Des ténèbres. Tu n'aurais jamais fait la même chose, tu le sais. Tu es quelqu'un de bien, d'honnête. Après tout, si tu te caches, c'est pour pouvoir mener à bien ta mission, ta dernière mission. Pour ceux que tu as perdu, ce jour là, de la main du traître. Il n'a pas lancé le sort, mais c'est tout comme pour toi. Tu veux les venger, et sauver la vie de leur fils. Car il ne sera jamais en sécurité tant qu'il sera là, tu le sais.
Mais pour l'instant, tu restes caché. Après le fiasco d'Halloween, ils se sont tous affolé. Ils sont sur leurs gardes maintenant, à l'affût de la moindre de tes traces. Tu sais pertinemment que ce n'est pas prudent de rester cacher dans la Forêt interdite, dans l'enceinte du château. Pourtant, tu es toujours là, tu ne peux pas abandonner Harry.
Tu es caché au plus profond de la forêt, pourtant, ton seul allié parvient tout de même à te trouver. Tu aperçois une tâche orangée dans les buissons, au loin, et tu sais immédiatement que c'est lui. Cette couleur, tu as appris à la reconnaître entre mille. Il t'apporte toujours ce dont tu as besoin, il est là pour t'épauler, comme un ami. Qui aurait pu croire que tu sois un jour ami avec un chat, toi, le grand chien noir qui aimait tant la compagnie de ton loup-garou ? Sûrement pas toi. Mais un ennemi commun rassemble les pires ennemis, comme on dit. Et finalement, vous vous êtes pris d'affection l'un pour l'autre. Il est loin d'être stupide, ce vieux matou. Bien au contraire. C'est lui qui t'avais rapporté la liste des mots de passe. Il t'a bien aidé, tu ne peux que le reconnaître. Même si l'opération s'est soldée par un échec, sans lui, rien n'aurait été possible. Et tu détestes rester inactif. Alors tu attends le prochain tour. Et tu sais que dès qu'une occasion se présentera, il t'en fera part.
Il se rapproche, et jette au sol le papier qu'il tenait dans sa gueule. La Gazette du jour. Il s'arrange souvent pour te ramener des journaux, il sait que tu aimes ça. Une fois, tu t'es demandé s'il n'était pas un peu legilimens. Il arrive toujours à savoir ce que tu veux, ce dont tu as besoin. Pourtant, tu ne peux pas lui parler, pas sous cette forme. Tu as toujours adoré les animaux magiques, mais celui ci te fascine tout particulièrement. C'est vrai qu'il est impressionnant.
Il se blottit contre toi. Tu n'aimes pas spécialement ça, mais c'est un chat, tu ne peux pas lui en vouloir. Tu jettes un coup d’œil au journal. Tiens, tu fais encore la une. « Black repéré à Poudlard, la sécurité autour du château renforcée ». Ce qu'ils sont bêtes : tu es dans l'enceinte du château. Tu ries, et ce son se transforme en un aboiement joyeux dans ta gorge. Décidément, ce ministre est vraiment incompétent. Il n'a toujours pas été capable de te retrouver. Tu leur files toujours entre les doigts, comme s'ils voulaient capturer de la fumée. Tu te souviens, quand il était bébé, Harry adorait faire ça. Ça vous faisait beaucoup rire, James et toi. Mais le traître a mis fin à tout ça, il a détruit tout ce qui faisait ton bonheur. Mais tu ne veux pas penser à lui. Tu en auras le temps plus tard.
Intrigué, tu jettes un coup d’œil à la date. C'est vrai que, depuis que tu es entré dans le château, tu n'arrives jamais à savoir quel jour on est. Ce n'est pas vraiment de ta faute. Mais les journaux que te ramène ton ami te permettent de te repérer, un peu. Tu sursautes en lisant le jour et le mois. Aujourd'hui, c'est le 3 novembre. Tu relis, et t'aperçois que tu ne t'es pas trompé. Aujourd'hui, Sirius, c'est ton anniversaire. Et tu ne le savais même pas. C'est vrai pourtant, tu te souviens maintenant : trois jours après Halloween, que tu disais toujours. Mais ton échec t'as tellement obnubilé que tu as oublié.
Tu soupires et repousse le journal du bout du museau. Tu t'allonges par terre, sur le tapis rougeoyant que t'offrent les feuilles mortes. C'est la treizième fois, tu devrais t'y être habitué pourtant. Personne ne le fêtera, personne n'aura la moindre pensée pour toi, le petit Sirius. Combien d'années fêtes-tu déjà ? Tu n'en es plus vraiment sûr. Tu comptes. Trente-quatre ans. Déjà ? Oui, déjà Sirius. Le temps est passé vite. Et qu'as-tu fait de ta vie, jusqu'à maintenant ? Pas grand chose. Passer douze ans en prison a largement réduit tes chances de faire quelque chose de ta vie.
Tu lances un regard à ton compagnon orangé qui se niche contre ton flan. Il era le seul à tes côtés pour ton anniversaire. Mais après tout, à quoi bon le fêter ? Les anniversaires sont là pour célébrer le nombre d'années qu'a compté ta vie. Mais es-tu encore vraiment vivant ? Tu n'en es pas sûr. Evidemment, ton coeur bat encore, et du sang chaud coule dans tes veines. Ton cerveau fonctionne, tu peux manger, marcher, courir, dormir, et même te transformer sous la forme qui te plait le plus. Mais à l'intérieur, tu te sens vide. Comme si toute émotion t'avait quitté. Tu as tout perdu, ce trente et un octobre, il y a douze ans. Tu as été déchu, tu as sombré dans la bassesse des ténèbres malgré toi. Ils ont dit que tu étais un criminel, et t'ont pris les dernières choses qui te rattachaient à cette existence. Ils ont tué ta dernière amitié, et ont brisé tes chances de te venger.
Coquille vide au cœur qui bat. Un pied dans chacun des deux mondes, ni mort, ni vivant pourtant. Tu es une ombre, un fantôme. A quoi bon fêter l'anniversaire d'un fantôme ? Ton âge n'a plus aucun signification pour toi. Ces douze dernières années, tu ne les as pas vécues. Tu t'es perdu quelque part dans l'espace temps, tu n'as plus d'âge. Tu l'as perdu, comme tout ce que tu avais, comme toutes tes certitudes.
Mais tu ne dois pas te morfondre, tu le sais. Ça ne te sera d'aucune utilité. Tu secoues la tête. Ton acolyte ouvre de grands yeux ronds. Pour une fois, il n'a pas vraiment l'air de comprendre ce qu'il t'arrive. Tu voudrais bien lui expliquer, mais ce serait bien trop long. Et puis, tu ne peux pas lui parler. Et c'est un chat. Peut-être te fais-tu des illusions, peut-être ne te comprend-t-il pas. Mais il est tout de même pour toi ce qui se rapproche le plus d'un ami.
Tu te replonges dans tes pensées, loin du bois, loin du chat. Oui, il y a treize ans, tu as tout perdu. Tu aurais tort de vouloir te le cacher. Oui, pendant près de treize longues années, tu as traîné cette carcasse vide, qui avait perdu le sens de son existence. Mais une chose t'a maintenu en vie et t'as permis de t'évader. Ton innocence ? Ton désir de vengeance ? Tu ne sais plus trop. Mais il y a bien une chose dont tu es certain maintenant. Tu as un but. Tu te l'es juré : tu protégeras Harry, envers et contre tout. Et pour commencer, tu dois éliminer le premier danger - Peter. Tu t'es fixé une mission, un objectif. Alors tu le vois, maintenant. Ta vie a retrouvé son sens. Cesses de vivre dans le passé, tu n'arrêtes pas de te le répéter, tu sais que ce n'est pas bon. Tu seras sûrement encore hanté par les ombres, les échos revenus d'outre tombe. Mais tu ne deviendras pas l'un d'entre eux. Tu ne peux pas te le permettre.
Tu n'es plus un fantôme. Tu n'es plus une ombre.
Tu es Sirius Black. Aujourd'hui, tu as trente quatre ans. Ces années n'ont pas toutes été belles. Mais tu en as encore un paquet devant toi, tu en es convaincu. Alors tu feras tout pour que jamais plus tu ne redevienne ce fantôme, cette ombre de toi même. Cette renaissance, c'est ta deuxième chance. Tu ne dois pas la gâcher.
Bientôt, tu tueras Peter. Tu seras innocenté quand ils apprendront qui il est. Remus t'accueillera à nouveau comme un ami, à bras ouverts. Et tu pourras enfin être pour Harry ce que tu n'as pas pu être, et pourtant aurait dû. Son parrain. Celui qui sera là pour l'épauler, le protéger. Pour continuer ce qu'avait commencé James. Lui permettre de grandir, avec à ses cotés quelqu'un pour l'aimer et le soutenir quoi qu'il arrive.
Tu es Sirius Black. Aujourd'hui, tu as trente quatre ans.