Sirius était allongé sur le sol de la cave, bras et jambes écartés, paupières baissées. Il sentait les gouttes d'eau du bain qu'il venait de prendre dans la rivière toute proche glisser le long de son corps fourbu.
La respiration lente et régulière, il se concentrait. Sur la brise automnale qui s'engouffrait dans son antre et caressait sa peau avec indifférence. Sur le bruit des feuilles brunes et pourpre moissonnées par la fin de l'été qui raclaient le sol avec un bruit léger. Sur le chant des oiseaux dans les hautes branches, sur l'odeur des nuages chargés de pluie qui s'amoncelaient au dessus des montagnes surplombant Pré-au-lard.
Ah, la liberté.
Ah, la vie.
Sirius avait haït la vie. De toutes ses forces, de toute son âme, il l'avait haïe jusqu'à en être malade. La vie qui trouvait toujours un chemin, la vie qui grouillait, pourrie, tout autour de lui à Azkaban. La vie qui naissait d'un quignon de pain humide abandonné dans un coin de sa cellule, et grouillait de vers et de moisissures. La vie qui envoyait cafard et autres insectes traverser les dalles grises. La vie qui ne l'avait jamais quitté malgré toutes les coupures, les morsures, qu'il s'était infligées dans le secret de sa prison, aux plus noires années de son incarcération.
Oh, oui, il l'avait haïe, avec son obstination à créer, à continuer, à se renouveler, à ne jamais baisser les bras.
Aujourd'hui il se réconciliait un peu avec elle. Le vent, les nuages, les oiseaux, la pluie, la rivière.
Sirius inspira un grand coup. Un battement d'aile, un pépiement. Un choucas n'avait pas l'air content.
La liberté.
Les sourcils de Sirius se froncèrent.
Sauvage et libéré, il l'était, libre il ne l'était pas. Il ne saurait pas vraiment comment l'expliquer,. Prisonnier par son statut d'évadé et de meurtrier, interdit de choisir sa vie, de choisir ses combats, condamnés à la fuite, encore et toujours. Il n'était pas vraiment libre,
Être sauvage n'était pas être libre.
Et quand bien même être sauvage lui plaisait, ça ne lui suffisait pas. Il faisaient les choix qu'il pouvait ; rentrer en Angleterre, se poster au plus près de Harry, mais ce n'était pas assez.
Il était tellement plus, Sirius. Il valait mieux. Il pouvait faire tant de choses si on lui en donnait la possibilité.
Il se redressa, secoua la tête, envoyant des milliers de gouttes d'eau dans tous les sens, et reprit sa forme de chien.
Il avait moins faim ainsi. Moins froid aussi.
Sirius laissa alors ses pensées flotter vers le môme. Ce gamin qui ressemblait tant à James. James avec les yeux de Lily.
Ton fils est plus beau que toi, mon vieux.
Une douleur amère étreignit la poitrine de Sirius. James n'avait pas vieilli.
Et pourtant, malgré la douleur, malgré la faim, le froid, la peine, Sirius se sentait mieux qu'il ne l'avait été depuis des années. Grâce au môme. Grâce à ce gamin, qui l'avait regardé avec des yeux écarquillés et empli d'un bonheur intense lorsque Sirius lui avait proposé de vivre ensembles.
Quatorze ans plus tôt, lorsque James lui avait demandé d'être le parrain de son bébé, Sirius avait eu l'impression de grandir de plusieurs centimètres. Il s'était sentit heureux, mûr, responsable de ce petit bout de vie. Et l'idée lui avait plu. Il s'était senti comme investi d'une mission sacrée.
En prison, bien sûr, il avait pensé au gamin. Mais quelqu'un qu'on ne connaît pas ne peut pas nous manquer beaucoup... Et puis il l'avait rencontré, et aimé.
Et il était redevenu parrain.
Et ça lui avait redonné le goût de vivre.
Sirius fronça ses sourcils de bête, conférent un expression plutôt comique à son faciès de canidé. Il lui semblait oublier quelque chose, sans pouvoir mettre le doigt, ou la patte, dessus. L'animagus s'étira, gueule ouverte, et s'élança hors de son refuge d'un pas silencieux et élastique à la recherche de sa pitance journalière.
Manger, baiser, dormir, la vie était plus simple pour un chien. Enfin, sans la partie baiser, ça c'était compliqué. Manger, être là pour Harry, dormir. Voilà, c'était ça. C'était ça, sa vie, désormais, puisqu'on l'avait privé de tout le reste.
Il se laissa aller à la joie de la course, le nez dans le vent, tentant par jeu et sans y parvenir de semer la pluie qui le talonnait, respirant à pleins poumon l'odeur de la terre mouillée et des champignons, heureux de sentir la terre, les roches et les feuilles mortes sous ses coussinets, presque hilare, comme à chaque fois qu'il s'élançait ainsi à travers les sentiers de la montagne.
Dans l'indifférence aveugle de la nature rouge et dorée qui l'entourait, perdu dans les dates, insouscient des traditions, il avait oublié qu'il venait d'avoir trente-cinq ans.
Et ça n'avait aucune importance.